Dans son entretien télévisé de mercredi soir à l’occasion du début de la troisième année de son mandat, le président Michel Aoun a clairement reproché au Hezbollah de soulever, à la dernière minute, ce qu’on appelle « le nœud des sunnites indépendants ». « Il ne faut pas mettre en danger les choix stratégiques pour des manœuvres tactiques », a-t-il lancé pour résumer sa position.Le message est clair et il est certainement parvenu à ses destinataires, d’autant que le chef de l’État a mis l’accent sur le fait que le Liban passe par une période critique, en raison des circonstances régionales et internationales et dans le cadre des sanctions américaines renforcées contre le Hezbollah, mais qui ont aussi des répercussions sur l’ensemble du système. Dans un tel contexte, le Liban a plus que jamais besoin d’une unité nationale solide, pour ne pas laisser des brèches par lesquelles les pêcheurs en eaux troubles pourraient s’introduire. Dans le même sillage, les sources proches du courant du Futur expliquent qu’au sein du groupe des « ministres sunnites indépendants », certains sont membres du bloc parlementaire présidé par Tony Frangié et d’autres membres du bloc du Hezbollah (Walid Succariyé) ou de celui du président de la Chambre (Kassem Hachem). Par conséquent, il n’existe rien qui puisse réellement s’appeler le bloc des « sunnites indépendants », puisqu’il ne reste que deux députés, Abdel Rahim Mrad et Adnane Traboulsi, et, seuls, ils peuvent difficilement briguer un portefeuille ministériel. Cette approche est également adoptée par le CPL, selon les sources proches de ce parti, celui-ci ayant, dès le début, prôné l’adoption d’un critère unifié pour la distribution des parts gouvernementales.
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Face à cette logique, il y a celle du Hezbollah qui estime que les sunnites dits indépendants doivent absolument obtenir un portefeuille ministériel pour de multiples raisons. D’une part, le Hezbollah estime être actuellement la cible d’une campagne sans précédent visant à l’isoler, à l’encercler et à l’affaiblir, pour l’empêcher de bénéficier de la victoire en cours, qui est sur le point d’être remportée par le régime syrien et à laquelle il a largement contribué. Le Hezbollah estime même que cette campagne pour l’affaiblir va aller crescendo, c’est pourquoi il a besoin de renforcer sa position interne au Liban. Il a ainsi mené une bataille politique aux côtés du président de la République pour faire adopter une loi électorale basée sur le mode de scrutin proportionnel, pour permettre aux personnalités sunnites qui appuient la résistance à se faire élire au Parlement.Ceci étant fait, il ne veut pas s’arrêter en si bon chemin et estime avoir besoin de toutes ses alliances pour lutter contre l’impact des sanctions qui le frappent. De même, le Hezbollah estime, selon ses sources, qu’il est nécessaire dans l’étape à venir que des personnalités sunnites qui ne sont pas dans la mouvance saoudienne soient plus présentes sur la scène publique et il n’est plus permis que les personnalités ou courants qui sont dans la mouvance saoudienne conservent le monopole de la représentation sunnite au gouvernement et au Parlement. Dans cet esprit, le Hezbollah aurait pu trouver une solution en faisant un échange avec le chef de l’État, d’un ministre sunnite contre un ministre chiite, sans ainsi toucher à la part du Premier ministre désigné. Mais toujours pour les raisons qui lui sont propres et qui portent sur son sentiment d’être pris pour cible, le Hezbollah estime avoir besoin de ses trois ministres chiites dans l’étape à venir. Il a décidé maintenant d’entamer une nouvelle phase de son action en choisissant d’intégrer l’administration publique après en être resté éloigné pendant des années. Pour ce faire, il a besoin de ses trois ministres. C’est pourquoi, en principe, il refuse de faire un échange avec le président de la République. Face à cette position du Hezbollah, le mouvement Amal, qui détient en principe lui aussi trois ministres chiites (il y en a six au total dans un gouvernement de trente), pourrait lui céder un des siens pour un échange, comme il l’avait fait lors de la formation du gouvernement Mikati en 2011, lorsqu’il avait renoncé à un ministre chiite pour faciliter l’arrivée de Fayçal Karamé au gouvernement. Jusqu’à présent, le président de la Chambre n’a toutefois manifesté aucune intention de ce genre, se contentant de dire, mercredi, dans le cadre de la rencontre hebdomadaire avec les députés : « Il ne nous reste plus qu’à faire des vœux et des prières. »
De son côté, le Premier ministre désigné ne veut pas entendre parler du fait de céder un de ses ministres sunnites pour ouvrir la voie à la participation des « sunnites indépendants » au gouvernement. Selon certaines sources proches du courant du Futur, il songerait même à garder pour lui les six ministres sunnites (il y a autant de ministres sunnites que chiites dans le gouvernement de 30), et ne plus en céder un au chef de l’État pour obtenir en contrepartie un ministre chrétien.
À ce stade, les positions semblent donc totalement inconciliables. Pour l’instant, aucun des protagonistes n’a l’intention de faire des concessions puisque chacun d’eux a de bonnes raisons pour justifier ses revendications.
Selon des sources qui suivent le dossier gouvernemental, le règlement de ce « nœud » ne devrait, malgré tout, pas tarder, parce que, d’une part, les protagonistes veulent tous la stabilité du Liban et la consolidation de la paix interne et, ensuite, parce que tous sont conscients de la gravité de la situation, tout en n’étant pas d’accord sur les moyens d’y faire face.
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commentaires (10)
Pourquoi les maronites sont représentés par 2 partis concurrents et les sunnites pas? quand il y a de la place pour 30 autour de la table on peut rajouter une chaise. Un ministère qui gérerait le rapatriement des réfugiés syriens, et la présence des syriens sur le marché du travail, et le confier à un sunnite pro-syrien.
Shou fi
19 h 17, le 03 novembre 2018