Qu’est-ce qui a poussé le Hezbollah à revendiquer en son nom la nomination d’un ministre sunnite hostile au courant du Futur au moment où tous les obstacles à la formation du cabinet ont été levés ? Raviver le problème de la désignation des ministres sunnites dits du 8 Mars serait-il strictement lié à des calculs de quotes-parts ? En l’occurrence, en ne se contentant plus de la nomination d’un ministre sunnite indépendant, non partisan du courant du Futur, mais d’un ministre sunnite entièrement acquis au Hezbollah, celui-ci tendrait-il à asseoir une légitimité multiconfessionnelle au sein du cabinet, susceptible de consolider son emprise de facto (bien que minimisée par les différentes parties au pouvoir) sur les institutions ? Mais par-delà l’équilibre du cabinet, le Hezbollah envisagerait-il désormais d’en bloquer carrément la formation ?
L’ancien Premier ministre Fouad Siniora tend à retenir toutes ces hypothèses, les jugeant « proches de la logique et des capacités (du Hezbollah) même si personne ne saurait s’exprimer avec une entière certitude » sur les motifs de ce parti. Il y ajoute néanmoins un élément qui dépasse la politique interne, en s’interrogeant sur les intérêts iraniens actuels que la démarche du Hezbollah aurait par définition vocation à servir. « Il faut s’interroger sur les intérêts actuels de l’Iran à provoquer des situations d’instabilité à différents endroits » en réponse notamment à l’hostilité de l’administration Trump à son égard, qui se concrétise par des sanctions contre Téhéran et le Hezbollah. La réaction de l’Iran à ce stade serait d’« exercer des pressions sur l’administration américaine là où il le peut : au Liban, c’est un message qu’il chercherait à renvoyer à Washington », précise M. Siniora. Recréer le nœud dit sunnite servirait à rappeler aux Américains que « l’Iran est capable de blocage », c’est-à-dire de faire le contrepoids aux sanctions américaines sur le terrain libanais, explique-t-il en substance. Le timing de la résurgence du nœud dit sunnite n’est d’ailleurs pas anodin : il survient à une semaine des élections de mi-mandat aux États-Unis, d’une part, et à une étape avancée de la normalisation des relations entre les pays du Golfe et Israël, de l’autre, une étape que Fouad Siniora dit pour l’instant ne pas cerner tout à fait. « En fonction des élections de mi-mandat, l’lran saura s’il lui faudra encore vivre avec l’administration Trump pour deux ans ou six ans », fait remarquer l’ancien Premier ministre, l’un et l’autre cas devant vraisemblablement amener des réactions différentes de la part de Téhéran. L’heure serait donc à l’attente pour au moins une semaine encore pour ce qui est du gouvernement, laisse-t-il entendre.
(Lire aussi : De mieux en nœud, l'éditorial de Issa GORAIEB)
Hariri, seule cible
En attendant, de « nouvelles coutumes » constitutionnelles, étrangères à Taëf, que le camp aouniste s’attelle à opposer aux autres, servent de « prétexte » au Hezbollah pour défendre la nomination de ministres sunnites de son camp, fait remarquer l’ancien député de Saïda en se contentant de vagues allusions au chef de l’État et à son équipe. Il revient sur les préceptes constitutionnels qu’il défend, surtout lorsque sont remises en cause les compétences du Premier ministre désigné dans la formation du gouvernement : présumer que cinq députés méritent un ministre est une hérésie, puisqu’aucun critère contraignant ne saurait lier les décisions du chef du gouvernement, relève-t-il en substance. « Ce dernier est désigné en vertu de consultations contraignantes, alors que les consultations parlementaires qu’il mène pour mettre sur pied le cabinet ne le sont pas », indique-t-il encore pour valoriser la primauté du rôle du Premier ministre désigné sur les desiderata des uns et des autres. Cela étant dit, son travail ne sera avalisé – et c’est cela l’ultime test – sans le vote de confiance du Parlement, qui peut mener à la révocation du Premier ministre désigné.
Pourquoi dès lors ne pas recourir à ce mécanisme constitutionnel plutôt que de dénaturer des coutumes existantes ? À moins que cela ne pave la voie à « un basculement des rapports de force » si le Hezbollah prend la décision de resserrer l’étau autour de Saad Hariri, en lui imposant de nouvelles coutumes jusqu’à – cela est aussi plausible aux yeux de M. Siniora – le contraindre à la démission. La complémentarité entre le régime syrien et le Hezbollah se traduit ici par la tentative de délégitimer Saad Hariri en mettant en cause sa représentativité au sein de la communauté sunnite, affirme-t-il en réponse à une question. Le chef de l’État, dont l’éventuel ministre sunnite du 8 Mars doit faire partie de sa quote-part, ne serait pas visé par le Hezbollah, selon M. Siniora qui rejette la lecture selon laquelle le parti chiite entendrait imposer son ministre au président de la République pour lui ôter le tiers de blocage. Une dichotomie Aoun / Hezbollah ne serait, pour lui, que vue de l’esprit…
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commentaires (13)
et derrière Siniora c’est le vide sidéral!
Fredy Hakim
21 h 31, le 31 octobre 2018