Après s’être prévalu, des mois durant, de son rôle de « facilitateur » du processus de formation du gouvernement, faisant notamment preuve d’une ambition limitée en matière de portefeuilles, le Hezbollah vient de démentir cette image qu’il s’était donnée en faisant monter les enchères à la veille du dénouement du feuilleton.
Son insistance pour le moins surprenante à vouloir réserver un portefeuille à l’un des députés sunnites du 8 Mars en bloquant carrément la naissance du cabinet – les milieux du parti chiite ont explicitement laissé entendre qu’il n’y aura pas sinon un gouvernement – a suscité une série d’interrogations sur les motivations réelles de ce parti.
L’argument avancé par le Hezbollah, qui évoque une « revendication juste » en assurant à qui veut l’entendre qu’il ne lâchera pas ses alliés sunnites à qui il aurait promis, dès le début, une participation dans le nouveau cabinet, reste peu convaincant. Il l’est notamment pour un analyste proche des milieux du Hezb qui se disait, il y a quelques jours, persuadé que le parti chiite, qui avait soutenu par intermittence mais sans ténacité la requête des sunnites non haririens, n’irait pas jusqu’à mener une « bataille à leur place », encore moins « bloquer la naissance du gouvernement ».
Cette analyse était d’ailleurs corroborée par la réaction il y a à peine une dizaine de jours du député sunnite prosyrien Abdel-Rahim Mrad, qui avait laissé éclater sa colère contre le Hezbollah, dans une déclaration à L’Orient-Le Jour, du fait précisément que ce parti n’avait pas suffisamment soutenu la requête des sunnites antihaririens.
Le Hezbollah a donc créé la surprise ces jours derniers en remettant sur le tapis cette question et par le ton ferme utilisé à cette fin, renvoyant dos à dos le Premier ministre désigné, Saad Hariri, et le chef de l’État, Michel Aoun. Pour le parti chiite, c’est à eux deux de résoudre ce nœud.
Dans les milieux du courant du Futur, on avance plusieurs interprétations pour expliquer le durcissement de la part du Hezbollah. Certaines sources haririennes considèrent que c’est la désignation escomptée par le chef de l’État de Fadi Assali, PDG de la banque Cedrus, à l’un des portefeuilles qui lui sont consacrés qui aurait suscité le courroux du Hezbollah. Selon cette thèse, le parti chiite se méfierait des bonnes relations qu’entretiendrait M. Assali avec les États-Unis qui viennent de resserrer l’étau sur le Hezbollah par l’adoption d’une version renforcée de la loi intitulée Hezbollah International Financing Prevention Amendments Act (Hifpa 2015).
Une analyse que l’ancien député et membre du bureau politique du courant du Futur Moustapha Allouche n’avalise pas. « Si l’on considère que la moitié au moins des membres du prochain gouvernement entretiennent de bonnes relations avec les Américains, je ne vois pas comment un ministre de plus pourrait affecter à ce point le Hezbollah », confie M. Allouche à L’OLJ.
Les craintes du parti chiite de devoir faire face, via le futur gouvernement, aux lourdes sanctions que vient d’entériner le président américain, Donald Trump, sans une force supplémentaire de renfort, en l’occurrence un allié sunnite, ont été balayées dans un premier temps par le conseiller politique de Hassan Nasrallah, Hussein Khalil. Ce dernier, qui s’est réuni hier à Haret Hreik avec la délégation des députés sunnites
anti-haririens, a affirmé que la position du Hezbollah n’était pas dictée par les questions extérieures. « Cela dit, a-t-il nuancé, on pourrait à la rigueur admettre, à la faveur d’une analyse, qu’il serait effectivement dans notre intérêt de former un gouvernement d’union nationale pour faire face à ces sanctions. » Le responsable chiite a réitéré la position claironnée par le parti, à savoir que « la résolution de ce problème revient au chef de l’État et au Premier ministre Hariri ».
(Lire aussi : De mieux en nœud, l'éditorial de Issa GORAIEB)
Polarisation
Ce que M. Khalil ne dit pas cependant, c’est que le Hezbollah – parfaitement conscient que Saad Hariri ne peut pas aller plus loin dans les concessions sans se compromettre lui-même ainsi que sa marge de manœuvre au sein du futur gouvernement – s’attend plutôt à ce que ce soit le chef de l’État qui réponde à ce défi.
N’étant plus un « allié inconditionnel » du Hezbollah, le chef de l’État et, par extension, le CPL devraient ainsi, aux yeux du Hezbollah, montrer à la veille de la formation d’un gouvernement, appelé à durer un peu moins de quatre ans, jusqu’où ils seraient déterminés à le soutenir sur les questions stratégiques au sein du futur cabinet. Car s’il est désormais clair que les équilibres au sein du gouvernement pourront fluctuer selon les dossiers examinés, le tiers de blocage devenant ainsi une variable selon les alignements en présence sur des questions relatives à la gestion de vie publique et des services, il n’en reste pas moins que le parti chiite s’attend à ce que les sujets stratégiques qui l’intéressent directement – que ce soit la question des sanctions, le verdict attendu du Tribunal spécial pour le Liban dans l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri ou encore les relations avec la Syrie – ressuscitent la vieille polarisation entre 8 et 14 Mars.C’est probablement la raison pour laquelle le parti chiite cherche à tester dès à présent les futurs équilibres au sein du prochain gouvernement, et plus particulièrement les dispositions du président de la République et du bloc aouniste à appuyer le parti chiite face aux nouveaux défis qui se profilent à l’horizon. Autrement dit, le Hezbollah s’attend à ce que le chef de l’État tranche en sacrifiant un portefeuille en faveur de l’un des sunnites du 8 Mars de sa propre quote-part en le substituant éventuellement à Fadi Assali.
La visite en soirée de M. Hariri à Baabda visait également à montrer que la balle se trouve aujourd’hui dans le camp du chef de l’État, sachant, comme l’a déclaré le Premier ministre au terme de l’entretien, que ce dernier a une nouvelle fois exprimé devant le président son refus d’accorder à un ministre du 8 Mars un portefeuille déduit de sa part, a rapporté la LBCI en citant des sources proches de M. Hariri.
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Le Hezbollah tient-il tellement à représenter les sunnites du 8 Mars ?
commentaires (8)
Merci beaucoup pour votre réponse l'OLJ. Je vais désormais m'efforcer à faire plus attention à mes envois de message. Je m'en excuse. Très amicalement à toute l'équipe Mes respects à toutes et à tous et bien sûr à Mme Jalkh. Serge Tateossian
Sarkis Serge Tateossian
14 h 30, le 31 octobre 2018