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Culture - 8ème ART

Rawan Mazeh, ou la photographie messagère de mémoires silencieuses

À la galerie Artlab, à Beyrouth, la photographe expose un travail sensible, qui s’intéresse aux épisodes de guerre entre le Liban et

Israël, et leur lecture contemporaine.

L’atmosphère à la fois silencieuse et grave de l’exposition « In Their Place » de Rawan Mazeh.

La première image sur laquelle tombe le visiteur de la galerie Artlab, c’est celle de douilles d’obus jonchant le sol par dizaines. Puis le regard se lève et s’arrête sur l’image de la tétine d’un enfant tué à Cana en 2006. On entre alors dans l’atmosphère à la fois silencieuse et grave de l’exposition In Their Place.

Pensée par la photographe Rawan Mazeh, son leitmotiv est d’aller « au-delà » de l’image : témoigner d’une humanité et forcer la rencontre entre spectateur et sujet. Passionnée de photographie depuis son enfance, la jeune femme est diplômée de l’Université Notre-Dame (Beyrouth) en 2017. Elle présente son travail à la galerie d’art Artlab, après une participation remarquée au Byblos Bank Award 2017 (qualification parmi les dix finalistes) et une collaboration avec le Arab Documentary Program (http://arabdocphotography.org/project/in-their-place), qui lui alloue une bourse pour développer son projet.

Cette série photo est le résultat d’un travail de longue haleine, qui se confond avec l’histoire de la jeune femme. Originaire du Liban-Sud, elle est à Beyrouth en 2006, lorsque la guerre éclate entre Israël et le Liban. Lorsqu’elle retourne dans la maison familiale, elle trouve des objets abandonnés par des personnes sans doute venues trouver refuge dans cet endroit miraculeusement épargné par les bombes. Elle décide de conserver ces objets et, 12 ans plus tard, les photos, traçant ainsi un sillon vers In Their Place, une série toujours en construction. La photographie documentaire se fait ici messagère de mémoires silencieuses et tente d’écrire l’histoire. Ce travail touche à la « réalité cachée » des épisodes de conflits entre le Liban et Israël. Il a pour vocation d’en restituer la dimension présente, bien que tue par les médias, et de rendre la parole aux oubliés. Rawan Mazeh montre les terres du Liban-Sud, encore minées de bombes en sommeil. Elle montre également les meurtrissures de civils dans leurs corps et leurs esprits.


(Lire aussi : « Nous voulons aider à développer une culture visuelle dans le monde arabe »)


« Avant et après »
Le montage de l’exposition n’accentue que davantage l’impact des clichés. Dans une première salle, sont exposés des « couples » de photographies dont l’une cache la seconde. Il s’agit de paysages représentés avant et après l’explosion des obus désamorcés par les volontaires de l’association Peace of Generations, suivis par Rawan Mazeh dans quinze de leurs opérations. On y voit l’omniprésence de la mort au détour d’un sentier et l’angoisse de poser ne serait-ce qu’un pied sur le sol. La seconde partie de l’exposition se tapit dans les tiroirs d’une commode noire. Cet arrangement singulier est une volonté de calquer le quotidien des personnes qui ont accepté de témoigner et d’être photographiées dans le cadre de ce projet. Des individus qui conservent les souvenirs dans leurs armoires, en sécurité. Rangées dans les tiroirs, une galerie de portraits des victimes des bombardements, mais aussi des reliques. Des objets du quotidien : brosse à dents, cartes de vœux, tétine. Les seuls souvenirs qui subsistent de proches. Aucune légende n’accompagne les visages, les courbes des objets. Encore moins de mention à une affiliation politique ou religieuse. Seule indication : des dictaphones disséminés au gré des tiroirs, racontant l’histoire de chacun. La photographe s’efface pour laisser la place à un processus d’assimilation des images qui sont vécues, et non plus simplement vues.

Premier travail d’une très grande force, In Their Place véhicule un sentiment d’universalisme et « d’humanité ». Avec douceur, simplicité, mais assurance aussi, Rawan Mazeh signe une œuvre engagée, mais pas politique, qui déconstruit le regard. Une exposition à vivre et penser pendant quelques jours encore.

ARTLAB

Jusqu’au 9 octobre


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