Le président de la République Michel Aoun a remis hier sur les rails le gouvernement d’entente nationale (30 ministres) que le Premier ministre désigné, Saad Hariri, chercherait à former.
S’exprimant lors de la cérémonie tenue à l’École militaire à l’occasion de la fête de l’Armée, M. Aoun a fait état de sa « détermination à ce que le prochain gouvernement rassemble toutes les composantes politiques, loin de la marginalisation et du monopole de la représentation d’une communauté » – même si cela ne s’applique pas à la communauté chiite, dont le tandem Amal-Hezbollah monopolise la représentation.
Les propos du chef de l’État revêtent une importance certaine. Et pour cause : ils interviennent au lendemain d’une déclaration faite mardi dans laquelle il avait fait savoir à ses visiteurs que « si les entraves à la formation d’un gouvernement d’union nationale persistent, un cabinet de majorité (24 ministres) devrait être formé avec ceux qui souhaitent y participer. Et que l’opposition s’exprime à l’hémicycle ». Il faisait ainsi suite à des propos tenus dimanche par le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil. Ce dernier avait accusé « ceux qui nous poussent à des choix arbitraires de vouloir un gouvernement de majorité, et non d’union nationale ». Des déclarations auxquelles Nagib Mikati, ancien Premier ministre, a répondu hier depuis Dimane. « Personne ne peut adresser des avertissements au Premier ministre désigné qui œuvre pour mettre sur pied un gouvernement capable de faire face à tous les défis. Il est donc normal qu’il inclue les diverses formations politiques », a-t-il déclaré à l’issue d’un entretien de son bloc parlementaire avec le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï. Une façon pour lui d’affirmer son appui au Premier ministre, à l’heure où certains le rangent parmi les députés sunnites non haririens qui briguent une représentation gouvernementale. C’est sur base de cette même logique que M. Mikati a estimé que la possible tenue d’une séance législative sous un gouvernement démissionnaire « n’est pas sérieuse ».
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Outre leur timing, les propos tenus hier par le chef de l’État, interprétés dans certains milieux politiques comme une rétractation par rapport à sa prise de position de mardi, sont importants dans la mesure où ils constitueraient un message politique tant au chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, qu’au courant du Futur, notamment en ce qui concerne « le refus du monopole de la représentation communautaire ».
Pour rappel, un différend oppose M. Joumblatt à son principal rival sur la scène druze Talal Arslane, le leader de Moukhtara insistant sur son droit à nommer les ministres druzes au sein du futur cabinet. Saad Hariri, quant à lui, refuse d’intégrer un représentant des dix députés sunnites ne gravitant pas dans son orbite à son équipe.
Mais certains proches de la présidence refusent la thèse selon laquelle Michel Aoun aurait changé de position. Dans ces milieux, on explique à L’Orient-Le Jour qu’en évoquant le cabinet de majorité, Michel Aoun ne faisait qu’exposer les alternatives à un éventuel échec à former un gouvernement d’entente nationale. « Dans sa déclaration d’aujourd’hui (hier), le président Aoun a fixé les normes qui devraient être respectées lors de la formation de l’équipe ministérielle », ajoute-t-on de même source, notant que le cabinet d’entente nationale ne peut voir le jour si une composante politique monopolise la représentation d’une communauté.
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En face, les joumblattistes persistent et signent : il revient au PSP de nommer les trois ministres druzes. C’est ce que déclare à L’OLJ un proche de Moukhtara prié de commenter les propos de Michel Aoun. « Des élections législatives ont eu lieu récemment. Les résultats de ce scrutin devraient être respectés », dit-il, notant que « certains ont provoqué ce qu’on appelle “le nœud druze” en formant un bloc parlementaire rachitique, dont les députés appartiennent à un autre bloc ». Une allusion à peine voilée au bloc « La garantie de la Montagne » présidé par Talal Arslane et formé des députés aounistes Mario Aoun, César Abi Khalil et Farid Boustani. Le proche de Moukhtara insiste, par ailleurs, sur le fait que le PSP n’envisage pas de faire de concession au sujet de sa quote-part gouvernementale. Il assure aussi que le Premier ministre désigné affirme « comprendre » la position de Walid Joumblatt.
Un constat que confirme à L’OLJ des proches du courant du Futur. Dans ces milieux, on fait même valoir que Saad Hariri ne formera pas un cabinet qui n’inclurait pas le PSP. On s’empresse, toutefois, de préciser que le Futur ne s’opposera pas à une éventuelle concession joumblattiste.
Pour ce qui est des propos de Michel Aoun, les haririens invitent Michel Aoun à céder un poste ministériel qui relèverait de sa propre quote-part à un représentant des dix députés sunnites (majoritairement) proches du 8 Mars, assurant, par ailleurs, que M. Hariri continuera à faire face au forcing effectué actuellement par le Hezbollah et ses alliés pour obtenir le tiers de blocage.
En ce qui concerne le nœud chrétien né du différend opposant le CPL aux Forces libanaises autour de leurs quotes-parts gouvernementales respectives, Saad Hariri a reçu hier soir le leader des FL Samir Geagea à la Maison du Centre. Étaient présents les ministres de la Culture, Ghattas Khoury (Futur), et de l’Information, Melhem Riachi (FL), au sein du cabinet chargé de l’expédition des affaires courantes. M. Riachi est en outre attendu ce matin à Baabda pour un entretien avec Michel Aoun.
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Berry temporise
Du côté de Aïn el-Tiné, le président de la Chambre Nabih Berry semble désormais exclure une possible convocation du Parlement à une séance législative, sous un gouvernement démissionnaire. Une éventualité qui avait suscité une polémique dans les milieux politiques, notamment pour ce qui est de sa conformité à la Constitution. Lors des audiences du mercredi tenues à Aïn el-Tiné, M. Berry a déclaré : « L’article 69 de la Constitution est très clair quant au droit de la Chambre de légiférer dans la situation actuelle. Un avis que confirment des constitutionnalistes, ainsi que des précédents. Mais je préfère temporiser, pour ne pas ouvrir la voie à de fausses explications. »
À l’instar des constitutionnalistes cités par M. Berry, Boutros Harb, ancien député de Batroun, a estimé hier que les séances législatives sous un gouvernement démissionnaire sont constitutionnelles (article 69). « Rien n’empêche le Parlement de se réunir pour voter des lois, mais cela devrait s’appliquer uniquement aux projets de loi et accords internationaux urgents », a-t-il déclaré à l’agence locale al-Markaziya, rappelant que « le blocage d’une institution ne devrait pas paralyser le pays dans son ensemble ».
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commentaires (6)
Des gesticulations tous azimut..... Le Hezbollah a sa liste toute prete.
IMB a SPO
16 h 19, le 02 septembre 2018