C’est un vrai travail d’équilibriste qu’a effectué hier le Conseil national de la recherche scientifique, pour réintroduire des nuances sur un sujet qui en manque cruellement depuis quelque temps, la pollution de la côte libanaise. « La situation est délicate, mais pas désespérée », a déclaré Mouïn Hamzé, secrétaire général du CNRS, au cours d’une conférence de presse tenue hier au siège de l’institution. En d’autres termes, définir les points de la côte où l’eau de la mer est considérée comme « propre » ou « passable » n’exclut pas le fait que les activités polluantes se poursuivent bel et bien – sinon s’aggravent puisque de nombreux nouveaux dépotoirs sauvages côtiers ont vu le jour ces derniers mois, selon M. Hamzé – et qu’on doit y mettre un terme. (Voir ici le rapport du CNRS)
Tout d’abord, les faits : suivant des tests effectués régulièrement sur trente mois, et en 25 points de la côte (plages publiques, embouchures de fleuves, plages de sable et de rochers, points proches d’industries pour la comparaison), il en existe 16 où la qualité de l’eau a été jugée bonne, sinon passable, donc qui sont propres à la baignade et aux autres activités. Les principaux indicateurs pris en compte sont ceux de la pollution bactériologique, les streptocoques fécaux et les coliformes fécaux. Tous les tests ayant révélé la présence de 0 à 200 colonies bactériennes par 100 millilitres d’eau sont un indicateur d’une bonne qualité de l’eau, de 200 à 500, l’eau est considérée comme passable, et à plus de 500, elle est de mauvaise qualité et polluée.
Quels sont donc les sites les plus propres, selon le CNRS ? Du Nord au Sud, on retiendra la plage de sable de Minyé, la plage rocheuse près de l’Université arabe à Tripoli, la côte de Deir el-Natour à Enfé, la plage de sable de Héri à Chekka, la plage rocheuse de Selaata, la plage protégée près du Centre d’études marines à Batroun, les plages de galets et de sable de Jbeil, la plage de galets de Fidar, la plage rocheuse de Tabarja, la plage de galets de Maameltein à Jounieh, la plage de sable de Damour, la plage du couvent du Saint-Sauveur à Rmeilé, la réserve marine de Tyr et la plage près du port de Naqoura.
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Pour les sites « passables », toujours du Nord au Sud, il s’agit de la plage de galets près de l’aéroport de Qleïate du Akkar, la plage rocheuse de Mina à Tripoli, l’embouchure de Nahr Ibrahim à Aqaïbé, le nouveau port de pêche de Beyrouth, la plage publique de Saïda (celle-ci est dans la limite haute de cette catégorie, mais on a salué les efforts de fermeture de nombreuses bouches d’égouts, d’où une nette amélioration), et la plage publique de Sarafand.
Parmi les sites extrêmement pollués, c’est Antélias qui décroche la palme avec des chiffres qui comportent nettement plus de zéros que d’autres. Selon Milad Fakhry, directeur du Centre des études marines du CNRS, les égouts se déversant en ce point de la côte y rendent la pollution intenable. Parmi les autres endroits très touchés, notons la côte rocheuse de Manara à Beyrouth, où tant de pêcheurs s’installent tranquillement avec leurs cannes, ou encore la plage de sable de Ramlet el-Baïda qui, bien qu’étant la seule publique dans la capitale, est à la merci des eaux usées. La plage publique de Tripoli n’échappe pas à la malédiction de la pollution, avec des taux élevés.
(Pour mémoire : Les eaux du fleuve Nahr el-Kalb ... vertes)
Des poissons propres à la consommation
La qualité de l’eau de mer préoccupe les baigneurs, mais pose aussi le problème des poissons et fruits de mer qui y sont pêchés et que l’on consomme. Les nouvelles apportées hier par le CNRS sont loin d’être inquiétantes, puisque des analyses effectuées sur plusieurs espèces locales de poissons, coquillages et crustacés montrent que les taux de métaux lourds – plomb, mercure et cadmium – à Tripoli, Beyrouth et Saïda, sont bien en deçà des normes autorisées.
Alors que penser de ce rapport qui survient après d’autres, bien plus alarmants ? Faut-il le considérer comme une bonne nouvelle ? La réalité est plus mitigée. Mouïn Hamzé a résumé la situation en ces quelques mots : « Nous avons cherché à montrer que la côte n’est pas entièrement polluée, qu’il existe des points épargnés pour l’instant, ce qui n’empêche pas que notre littoral souffre beaucoup et que si nous ne le protégeons pas, nous allons droit à la catastrophe. »
Interrogé par L’Orient-Le Jour en marge de la conférence de presse, Mouïn Hamzé reconnaît qu’une recrudescence des nouvelles décharges sauvages est constatée sur la côte et que la pollution résultant des déchets solides s’est accrue dernièrement. « Nous avons pu établir que la pollution chimique, qui est la plus dangereuse et irréversible, n’a pas augmenté, ce qui est rassurant, poursuit-il. La pollution dont souffrent nos côtes provient des déchets solides et des eaux usées, cela veut dire qu’elle est réversible si les mesures adéquates visant à mettre un terme aux activités polluantes à partir de la terre ferme sont prises. Sinon, nous continuerons de polluer cette mer fermée qu’est la Méditerranée. »
(Pour mémoire : Mais qu’avons-nous fait, nous Libanais, de toute notre eau...)
« Demandez des comptes aux pollueurs ! »
Les décharges sauvages – que le CNRS dit avoir évitées dans son échantillonnage, ainsi que les bouches d’égouts, étant donné l’évidence de la pollution dans ces endroits-là – ne sont cependant plus le seul problème à prendre en compte : sur la côte se trouvent désormais deux décharges « contrôlées » et étatiques, celles de Bourj Hammoud et Costa Brava, défrayant régulièrement la chronique en raison de soupçons de pollution.
Au cours de la conférence de presse d’hier, c’est la juge Ghada Aoun, procureure générale du Mont-Liban, qui a posé la question de savoir si les tests du CNRS portent aussi sur ces deux points chauds du littoral. À cela, Mouïn Hamzé a répondu que d’importantes infiltrations de liquides provenant des déchets sont constatées au niveau de l’ancienne décharge de Bourj Hammoud, utilisée pour le remblayage de la mer, et que le phénomène est observé à toutes les profondeurs, notamment dans les sédiments, ce qui est le plus inquiétant. Il a promis de pourvoir la juge en chiffres et données scientifiques dès que ceux-ci seront disponibles. Il lui a aussi demandé « de faire ce qui est en son pouvoir pour demander des comptes aux pollueurs sur la côte, car il s’agit là de la seule façon de mettre un terme à ces activités ».
Une seule autorité responsable
Interrogé par la LBCI sur d’autres rapports antérieurs à celui du CNRS, dont certains nettement plus alarmants, Mouïn Hamzé a refusé de commenter, estimant que le CNRS n’est pas responsable des autres documents en gestation. Il a cependant estimé que les Libanais « sauront qui a de la crédibilité » et qu’il « n’est pas possible de prélever des échantillons près de bouches d’égouts et de décréter que toute la côte est polluée ».
Cette profusion de rapports contradictoires pose la question de savoir quel organisme devrait être officiellement chargé d’effectuer des analyses sur la côte et d’annoncer des résultats de manière régulière à la population (les plages privées devant effectuer elles-mêmes les tests et les afficher clairement). « Il faut que les autorités désignent une institution qui soit une référence chargée d’effectuer les analyses et d’annoncer les résultats régulièrement à la population, quelle que soit cette institution », a estimé Mouïn Hamzé, qui a regretté « le manque de coordination entre les différents ministères concernés par la pollution de la côte ».
Pour mémoire
A Costa Brava et Bourj Hammoud, les plages sont devenues de vraies décharges
En Méditerranée, des côtes toujours sous la pression du béton
Je n'y crois pas une seule seconde.. La mer a Bey 11 et a Jounieh est jugee bonne, c'est la blague du jour!
08 h 13, le 21 juillet 2018