Le mécanisme extra-étatique instauré par le Hezbollah pour le retour des déplacés syriens a été mis en branle. La « commission du retour », présidée par l’ancien député Nawar Sahili, a entamé hier son travail en publiant par voie de communiqué les adresses et numéros de téléphone des bureaux récemment aménagés par le parti chiite pour accueillir les demandes de « déplacés qui souhaitent rentrer volontairement dans leur pays ». Une précision est faite sur les heures d’ouverture : « Tous les jours sauf les dimanches de 9h à 17h. »
La lecture des adresses permet de constater que celles-ci se limitent aux bastions du Hezbollah : Baalbeck-Hermel, la banlieue sud et le Liban-Sud (Nabatiyé, Bint Jbeil, Tyr et Odeissé).
Le plan de retour instauré par le Hezbollah est circonscrit à ses zones d’intérêt. De l’avis d’un chercheur indépendant sur le dossier des déplacés, qui a requis l’anonymat, le parti chiite cherche à « nettoyer ses régions au Liban » d’une présence sunnite considérée comme une intrusion dans son environnement, quelles que soient les allégeances politiques des déplacés qu’il accueille.
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« Refoulement »
Le Hezbollah aurait donc un intérêt réel au retour des Syriens basés dans ses régions : son souci ne serait pas tant le retour des déplacés du Liban vers la Syrie que la sécurisation de ses zones d’influence au Liban. Sous couvert de proposer un mécanisme de retour plus efficace que les canaux étatiques et onusiens, le parti chiite organise « un refoulement des déplacés en fonction d’un agenda politique », note ce chercheur.
C’est pourquoi le régime de Damas serait, selon lui, dans une approche de coopération avec le Hezbollah pour le retour des Syriens présents dans ses bastions libanais. Le nombre de ces déplacés est estimé entre « 50 000 et 100 000 », et leur lieu de provenance varie entre Homs, Raqqa et Hassaké, souligne le chercheur. Mais comment concilier l’intérêt du Hezbollah à « nettoyer ses zones » au Liban et son intérêt, qui est aussi celui du régime syrien, de préserver les territoires syriens purgés de toute présence sunnite pour composer la Syrie utile ?
Il serait probable, estime le chercheur, que le régime choisisse des localités qui ne l’intéressent pas stratégiquement pour y renvoyer les déplacés, que ceux-ci en soient originaires ou pas. Comme des « camps de concentration improvisés par le régime et le Hezbollah », renchérit un notable sunnite de la Békaa.
(Lire aussi : Sami Nader : Le Hezbollah utilise le dossier des déplacés pour se renflouer)
Conciliation d’intérêts
Si le Hezbollah veut et peut « forcer » le retour de Syriens parce que ses intérêts politico-militaires l’imposent, le Courant patriotique libre, qui a lui aussi établi, par le biais des municipalités, des comités de suivi du retour, pourrait toutefois ne pas avoir le moyen d’honorer ses promesses. « Le Mont-Liban compte au moins 300 000 réfugiés, la plupart des opposants au régime, venus des villes et villages situés sur l’axe vital du régime et du Hezbollah, de Deraa à Damas, en passant par Homs : ceux-là, le régime syrien est-il prêt à les accueillir ? Si oui, vont-ils accepter de rentrer sous ses conditions, c’est-à-dire en dehors de leur localité d’origine et sans consensus entre tous les acteurs impliqués sur le terrain syrien ? » s’interroge le chercheur.
Les zones d’ombre sont si marquées que les initiatives respectives du Hezbollah et du chef du CPL, Gebran Bassil, sur le dossier du retour ont été implicitement contestées hier par Bkerké. À l’issue de la réunion mensuelle des prélats au siège patriarcal, ceux-ci ont insisté dans le paragraphe 4 de leur communiqué sur la nécessité de trouver un accord sur « un plan national et global relatif aux réfugiés et à leur retour ». Et de souligner la nécessité de « travailler avec les organismes internationaux concernés parce que la crise syrienne dépasse le Liban » (voir par ailleurs). Selon des sources proches de Bkerké, il est entendu que les déplacés ont un droit au retour et que ce retour doit leur être assuré dans des conditions sûres. Toutefois, « rien de sérieux » n’est fait pour paver la voie à ce retour, ajoutent ces sources, déplorant l’incapacité des acteurs politiques à « unifier leurs voix » et à mettre en œuvre un plan d’action commun sur ce dossier. Si bien que « les acteurs étatiques étrangers et les citoyens ne vont plus nous prendre au sérieux », ajoutent-elles, en confirmant que le message de Bkerké vise aussi bien le Hezbollah que le CPL.
Pour Ziyad Sayegh, expert en politique publique et réfugiés, le communiqué des prélats maronites sert à rationaliser la question du retour en la sortant « du populisme et de la démagogie ». Il y voit aussi « un appel à immuniser le pays contre l’instrumentalisation à laquelle se prête ce dossier, devenue une menace aux institutions ». « Le communiqué consacre les principes fondamentaux devant être appliqués par l’État : le recours aux institutions comme seule référence et à la coopération avec la communauté internationale aux fins d’aboutir à des solutions effectives », conclut M. Sayegh.
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commentaires (10)
Si tel était la préoccupation du Hezbollah, il n’aurait pas accueilli ces réfugiés en premier lieu. Ceci est un faux débat. La question des réfugiés syriens est une question humanitaire tout d’abord, avant d’être un problème économique et sociale pour les terres d’accueil. Le Hezbollah fait ce qu’il peut pour aider réfugiés syriens (que personne ne force à partir) et habitants libanais où il peut. Si le Hezbollah décidait d’instaurer les mêmes mécanismes de retour à beirut ou dans des régions sunnites par exemple, les gens trouveront quand même quelque chose à y redire si ce n’est pire.
Chady
17 h 21, le 07 juillet 2018