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Liban - Réactions

Le Hezbollah sur le front de la « guerre culturelle »... contre Nadine Labaki

Après Manar Sabbagh, Nawaf Moussaoui tourne en dérision l’accomplissement de la réalisatrice libanaise tout juste récompensée par le Festival de Cannes.

Nadine Labaki et le petit Zain donnent-ils mauvaise conscience au Hezbollah ? Alberto Pizzoli/AFP

Ce n’est pas la première fois que les artistes libanais qui brillent à l’étranger se retrouvent dans le collimateur du Hezbollah, et ce ne sera probablement pas la dernière. 

Après Amin Maalouf, Ziad Doueiri ou encore Wajdi Moawad, qui avaient été la cible de campagnes menées par les médias proches du parti chiite, c’est au tour de la réalisatrice Nadine Labaki, à peine auréolée du prestigieux Prix du jury du Festival de Cannes pour son film Capharnaüm – elle est venue s’ajouter à une liste légendaire de récipiendaires qui compte entre autres Joseph Losey, Andreï Tarkovski, Éric Rohmer, Alain Resnais, Milos Forman, Jacques Rivette, Bertrand Blier, Wim Wenders, Jim Jarmusch ou Maroun Baghdadi –, de faire face à une campagne similaire visant à ternir l’éclat de cet exploit. 

À l’heure où une bonne majorité de Libanais exprimaient sur les réseaux sociaux l’accomplissement remarquable de Nadine Labaki, le Hezbollah a tenté de minimiser son ampleur pour braquer à nouveau les projecteurs sur la chose qui lui importe : la culture martiale de la « résistance » et sa systématisation au Liban.


(Lire aussi : Nadine Labaki à L’OLJ : Il est temps que l’État libanais se réveille)


Les tweets de Sabbagh et Moussaoui 

Tout a commencé samedi soir, lorsque la journaliste Manar Sabbagh (présentatrice de la chaîne al-Manar, organe du Hezbollah) a écrit un tweet dans lequel elle a rappelé « aux fils de la Phénicie et autres intellectuels que la gloire des martyrs du Hezbollah est suffisante » pour le Liban. « À l’occasion des discussions à profusion sur les personnalités qui portent haut le nom du Liban pour avoir remporté un prix ou gagné une compétition, ci-dessous une photo des martyrs tombés lors du premier jour de la bataille de Qousseir (en Syrie) en 2013. » Mme Sabbagh faisait référence à l’engagement militaire de la milice chiite en Syrie aux côtés du régime Assad pour en assurer la pérennité, dans le mépris total de la politique de distanciation adoptée par le Liban, avec l’aval du Hezbollah lui-même, conformément à la déclaration de Baabda. 

Après Mme Sabbagh, c’est le député Nawaf Moussaoui qui s’est invité dans le débat en écrivant à son tour sur son compte Twitter : « Pas de Labaki (jeu de mots, “labaki” signifiant casse-tête en arabe) et pas de mal de tête : il n’y a que tes armes qui te protègent lorsqu’il le faut. » 

 Ces deux tweets ont suscité de vives réactions sur les réseaux sociaux : des internautes se sont aussitôt déchaînés contre le Hezbollah, insistant sur le fait que seule l’armée libanaise est à même de défendre les Libanais « quand il le faut ». D’autres, à l’instar de la journaliste Joumana Haddad, ont souligné que le cinéma, l’art et la culture sont une autre forme de résistance, et surtout une manifestation d’attachement à la vie. « Nous continuerons à parler fièrement des réalisations des Libanais et Libanaises dans le domaine de l’art et de la culture parce que nous sommes les fils et les filles de la vie », a écrit Mme Haddad sur son compte Twitter. 

Une menace identitaire
Culture de vie vs culture de mort. C’est donc en ces termes que la polémique a pris toute son ampleur, certains internautes évoquant le slogan « J’aime la vie », que le 14 Mars avait lancé après la guerre de juillet 2006. Mais, au-delà de ce « choc des cultures », voire de cette guerre culturelle entre le « modèle d’Athènes » et celui « de Sparte », l’épistémologue Antoine Courban voit en les réactions du Hezbollah au prix remporté par Nadine Labaki une « menace identitaire » contre l’entité libanaise. « Le Hezbollah n’accepte pas la différence. Et cela menace l’identité du Liban », explique M. Courban à L’Orient-Le Jour, avant d’enchaîner : « Cela constitue une atteinte à la nature même du Liban, en sa qualité d’espace de liberté et de vivre-ensemble. » Selon lui, ces méthodes s’inscrivent dans le cadre du projet iranien dans la région, qui « n’est pas uniquement militaire, mais aussi culturel – et c’est précisément là que réside le véritable danger ». 


(Lire aussi : "Capharnaüm", ou juste le droit d’exister...) 



Complexe de culpabilité
Pour Mona Fayad, psychologue et professeure universitaire, un tel comportement face au triomphe de Nadine Labaki constitue « une atteinte au visage culturel du Liban ». « Le film Capharnaüm relate l’histoire d’un enfant syrien de Deraa qui a fui la guerre dans son pays. Cela a peut-être créé un complexe de culpabilité chez le Hezbollah, dans la mesure où les combattants de ce parti ont contribué à la misère des enfants qu’incarne le jeune garçon dans le film », estime Mme Fayad. Le bourreau a mauvaise conscience et chercherait donc à étouffer dans l’œuf l’émotion que suscite cette sensibilisation internationale à la cause de ses victimes.


Assurer l’hégémonie sur le Liban
Même son de cloche chez Hanine Ghaddar, analyste politique et chercheuse au Washington Institute for Near East Policy aux États-Unis. Contactée par L’OLJ, elle souligne que le film porte sur la cause des réfugiés syriens, un dossier auquel l’opinion publique mondiale est particulièrement sensible et que le Hezbollah a aggravé. Mais elle va encore plus loin. « En dépit de sa victoire aux législatives du 6 mai, le parti chiite enregistre des pertes significatives au niveau régional, notamment en Irak et en Iran, d’où ses tentatives d’assurer son hégémonie au Liban, à tous les niveaux », poursuit la journaliste. Mais tout cela n’occulte aucunement l’atteinte aux libertés commise par le parti. « Les libertés constituent un grand problème pour le Hezbollah. S’il ne parviendra pas à édifier son propre État, il continuera à essayer d’étouffer les voix qui s’opposent à lui », conclut-elle. 




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Ce n’est pas la première fois que les artistes libanais qui brillent à l’étranger se retrouvent dans le collimateur du Hezbollah, et ce ne sera probablement pas la dernière. Après Amin Maalouf, Ziad Doueiri ou encore Wajdi Moawad, qui avaient été la cible de campagnes menées par les médias proches du parti chiite, c’est au tour de la réalisatrice Nadine Labaki, à peine...
commentaires (18)

On oppose souvent le modèle d'Athènes contre celui de Sparte. On oublie aussi que la Déesse Athena était déesse de la Guerre mais aussi de l'Art et de la Culture. C'est ce que les ardents défenseurs de la guerre ne comprennent pas. On fait la guerre avec sagesse, sans oublier la culture et les arts. Même au-delà de cela, on devrait faire la guerre afin de ne pas oublier notre identité, et défendre notre attachement à la culture et aux arts. Sinon, à quoi servent les guerres? A défendre un lopin de terre ou une identité?

GHORAYEB Yasmine 3871

00 h 49, le 24 mai 2018

Tous les commentaires

Commentaires (18)

  • On oppose souvent le modèle d'Athènes contre celui de Sparte. On oublie aussi que la Déesse Athena était déesse de la Guerre mais aussi de l'Art et de la Culture. C'est ce que les ardents défenseurs de la guerre ne comprennent pas. On fait la guerre avec sagesse, sans oublier la culture et les arts. Même au-delà de cela, on devrait faire la guerre afin de ne pas oublier notre identité, et défendre notre attachement à la culture et aux arts. Sinon, à quoi servent les guerres? A défendre un lopin de terre ou une identité?

    GHORAYEB Yasmine 3871

    00 h 49, le 24 mai 2018

  • Bravo Mme Nadine Labaki Pour cette distinction du jury du plus beau festival du monde qui place le Liban sur un piédestal. Tous les phéniciens sont fiers de vous et de la cause que vous défendez . Il y en a pourtant qui se débrouillent pour remetttre en cause avec un mépris inapproprié l’origine des libanais ....alors que c’est clair comme un nez au milieu d’un visage.lol... A en lire les commentaires sur le net de certains « journalistes » ou pseudo penseurs , nous sommes dans le fondamentaliste et l’obscurantisme le plus abscons et inique. Le mot Liberté , notamment, a incontestablement été éliminé de leur dictionnaire . A en donner des sueurs froides ! Nous sommes descendus très bas...au fonds de la piscine .

    L’azuréen

    22 h 21, le 22 mai 2018

  • Qui aura la force et le courage de faire sortir le Liban de l'auberge iranienne dans laquelle le Hezbollah veut nous enfermer ? Irène Saïd

    Irene Said

    21 h 15, le 22 mai 2018

  • Ils sont jaloux , il faut dire Hezbollah Daech il n' y a pas une grande différence, tous le s deux veulent que les femmes portent le tchador

    Eleni Caridopoulou

    18 h 13, le 22 mai 2018

  • Et pas qu'a Nadine ... à l'école française de Beyrouth aussi.... hahahahaha... Pauvre liban ta culture du bon vin du bon pain et du saucisson fout le camp....hahahaha..

    FRIK-A-FRAK

    15 h 11, le 22 mai 2018

  • Yallah! Avec dessus tweet de ce type, le hezb bien pour obtenir le ministère de la culture ou celui de l'éducation et Manar pour avoir le poste de charge de communication et de locution... Akh ya baladna... Oh pardon à Manar et ses amis! Akh ya balad al iraniyin....

    Wlek Sanferlou

    15 h 05, le 22 mai 2018

  • P'tet si elle avait porté un tchador bien épais à Cannes.....

    Christine KHALIL

    13 h 23, le 22 mai 2018

  • Allons nous croire de nouveau que deux négations ne font pas une nation ? A jour malheureusement vrai .

    Antoine Sabbagha

    12 h 31, le 22 mai 2018

  • les Libanais eclaires de toutes les confessions doivent 'resister' aux tentatives du HEZB de changer le visage culturel et social du liban.il l'a deja fait politiquement.Heureusement la diversite du liban est un obstacle au Hezb si non on serait tous devenus comme eux aujourd'hui.

    EL KHALIL ABDALLAH

    12 h 23, le 22 mai 2018

  • Un voleur passait devant une église, il entend les fidèles chanter "Alléluia", il a compris "Ah le voilà", aussitôt il prend ses jambes à son coup pour fuir à 100 à l'heure.

    Annie

    12 h 12, le 22 mai 2018

  • Nadine Labaki n'a pas besoin de moi pour s'opposer à la flétrissure que le hezbollah tente si mesquinement de porter. Par contre j'aimerais répondre à Mme Manar Sabbagh (la bien-nommee). La photo que vous avez posté de "martyrs à Qousseir" n'a rien à voir avec le Liban et encore moins la phénicie. ce sont des combattants irréguliers, tués en terres étrangère, sur ordre d'une tierce puissance. Ceci est la définition du mercenaire dans toute sa splendeur

    Lebinlon

    12 h 05, le 22 mai 2018

  • Devant la campagne de dénigrement envers la Phénicie, Etat qui s'étendait d'Ugarit (Ras-Chamra près de Lattaquié) jusqu'à Akka en Palestine et pour un terme définitif aux fausses prétentions, j'ai fait un test ADN pour définir mes origines une fois pour toutes. Les résultats ont démontré que mon ascendance remonte aux Phéniciens de la lignée du roi Melkart. Maintenant, je souhaiterais poursuivre les recherches pour savoir si mes ancêtres avaient des propriétés foncières dans l'Île de Rouad ou à Carthage en Tunisie, anciennes possessions phéniciennes. On peut prévoir n'importe quoi à l'avenir mais on ne peut pas effacer le passé.

    Annie

    11 h 45, le 22 mai 2018

  • n'allons pas loin : on l'a toujours compris- ceci n'est , pour eux qu'une preuve parmi 1 millions de la nuisance de la culture occidentale. MAIS C SURTOUT que wali fakih & ses sbires se sentent serieusement menaces ces derniers temps. C que Trump les effraie comme jamais AUCUN americiain ne l'avait fait.

    Gaby SIOUFI

    10 h 05, le 22 mai 2018

  • Pour faire un pays il faut les deux: une force militaire pour se faire respecter(et pour le moment, l'armée libanaise ne constitue pas, quoi qu'on dise, une force de dissuasion) et une culture ouverte sur le monde. Je suis autant fier de la résistance libanaise qui a libéré mon pays en 2000 de l'occupant israélien et de Mme Labaki qui a été primée au festival de Cannes. Je ne comprends pas les vitupérations des uns et des autres.... Où étaient ils quand Israël occupait le sud? ont ils oublié déjà Ersal?

    HIJAZI ABDULRAHIM

    09 h 46, le 22 mai 2018

  • QUALIFIER LE HEZBOLLAH DE MODELE DE SPARTE C,EST BAFOUER LES NOBLES HEROS SPARTIATES VRAIS PATRIOTES A L,APPARTENANCE UNIQUEMENT SPARTIATE. D,AILLEURS CE SONT EUX QUI ONT INFLIGE LES PREMIERES DEBACLES AUX PERSES !

    ECLAIR

    08 h 15, le 22 mai 2018

  • Pour le Hezbollah, seule compte la guerre, et encore la guerre, et toujours la guerre. Quand il entend le mot "culture", il sort sa kalachnikov.

    Yves Prevost

    06 h 59, le 22 mai 2018

  • ENTARTATE KUNST, ou l'art dégénéré, comme chez les nazi depuis le debut des annees 20... leurs commentaires sont a vomir

    George Khoury

    06 h 27, le 22 mai 2018

  • Mais c’est l’évidence même, depuis des années que l’opposition systématique au phénomène Hezbollah se manifeste dans les colonnes de l’OLJ, que des bien-pensants reprochent cette alliance contre nature du CPL avec eux, c’est bien parcequ’il était évident que ce parti d’obédience théocratique est une menace identitaire absolue contre l’entité Libanaise, comme le dit si bien Antoine Courban. En effet, bien que le tissu social Libanais est multi-confessionnel, mais nous avions gardé une certaine culture démocratique, une ouverture d’esprit sur le monde, une liberté d’expression, une vie culturelle et artistique... Or, le système Iranien des Mollahs, avec son Wilayat El Fakih au Liban qui veut imposer sa vision de domination culturelle d’un état islamique chiite, ne peut tolérer aucune forme de différence, et réagit toujours en rappelant sa dictature par les armes! Finalement, le monde civilisé était révulsé par l’apparition du phénomène Daech, extrémisme religieux hyper-violent et intolérant d’obédience sunnite étiqueté terroriste. Mais quand on y pense, l’autre dictature théocratique d’obédience chiite cette fois-ci n’en est pas très différente, sauf qu’elle s’impose de manière plus subtile et intelligente, ce qui la rend encore plus dangereuse pour le Liban!

    Saliba Nouhad

    03 h 47, le 22 mai 2018

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