Rendu nerveux par les déclarations d'intention de certains pays arabes qui ne voient plus de raison de ne pas « normaliser » leurs rapports avec Israël et craignant une contagion interne, le Hezbollah, semble-t-il, a décidé de réagir à l'avance à un courant qu'il anticipe et redoute. Il le fait toutefois par des voies primaires qui desservent sa cause et braquent contre lui une opinion qui refuse d'être infantilisée, de plier la nuque devant la pensée unique et de ne plus réfléchir.
Après l'insensé découpage d'une publicité pour Israël dans le quotidien Le Monde, une nouvelle action de censure de la pensée a été perpétrée mercredi contre ce que le Hezbollah et les médias qui gravitent dans son orbite considèrent comme relevant d'une « normalisation » avec Israël.
En effet, quelques dizaines d'étudiants de cette mouvance, dont des étudiants de l'USJ, une université qui s'enorgueillit d'être le symbole même de la liberté d'opinion et d'expression, ont tenté d'empêcher la tenue, mercredi soir, d'une conférence-débat du cinéaste Ziad Doueiri, organisée par l'Université pour tous (UPT).
Intervenant en plein débat, les étudiants ont commencé à hurler des slogans anti-israéliens et ont brandi des pancartes où l'on pouvait lire notamment « Pas de normalisation » et « Mort à Israël ». Leur chahut a interrompu la séance, et aucun effort pour les raisonner et permettre au cinéaste de répondre à leurs objections n'a été possible. Massés à l'extérieur, quelques-uns d'entre eux ont même lancé du gravier sur les vitres de la salle de cours et fait barrage à l'entrée.
Images transmises par Belinda Ibrahim
Pour sa part, Ziad Doueiri a exprimé sa détermination à poursuivre sa présentation et à « ne pas céder à l'intimidation ». De fait, la séance a repris avec le retrait de la salle de cours des protestataires. « Ce sont des risques à prendre, des risques que l'on connaît lorsqu'on est réalisateur, a affirmé après leur départ le cinéaste. Certains sont là pour m'intimider, d'autres veulent m'entendre à propos de ce film. C'est aussi ça, la démocratie. »
Commentant par la suite les incidents, Ziad Doueiri y verra « la preuve que le Liban est un pays qui reste instable. S'il ne suffit que d'une étincelle pour que les choses s'enflamment, c'est que nous avons besoin d'une réconciliation nationale ».
Dans un communiqué diffusé hier, l'UPT a précisé qu'elle avait reçu des menaces dès 10h du matin mercredi, de la part « d'un petit groupe d'étudiants de l'USJ », disant vouloir manifester devant les portes de l'UPT contre la présence de Ziad Doueiri. Les étudiants protestataires, partisans, dans leur majorité, d'Amal ou du Hezbollah, selon l'UPT, ont affirmé ne pas vouloir « s'attaquer à la personne de Ziad Doueiri, mais s'opposer catégoriquement à sa présence dans l'une des institutions de l'USJ », l'accusant d'avoir « traité avec l'ennemi ». Des forces de l'ordre ont alors été dépêchées sur les lieux « pour assurer la protection de l'institution », l'UPT refusant de céder à la menace.
Le 10 septembre dernier, rappelle-t-on, la Sûreté générale avait confisqué, à l'aéroport de Beyrouth, les passeports libanais et français du réalisateur. Ce dernier rentrait de Venise où son film, L'Insulte, avait été primé. M. Doueiry avait comparu, le lendemain, devant le tribunal militaire pour justifier ses diverses visites en Israël, où il avait tourné il y a quelques années le film L'Attentat (The Attack). Un film qui soutient la cause des Palestiniens face à Israël. M. Doueiri avait obtenu un non-lieu.
Attachés à leur propre justice et à la logique de la rage, les étudiants considèrent, eux, que le tournage en Israël d'une partie du film L'Attentat relève de la trahison. Inspiré d'un roman de l'auteur algérien Yasmina Khadra, le film avait été en partie tourné en Israël, malgré l'article 285 du code pénal libanais interdisant à tout ressortissant d'entrer « en territoire ennemi ». Pour le tournage, le cinéaste avait fait valoir son passeport français.
Le Liban, un pays « compliqué »
L'incident de mercredi fait contraste avec l'excellent accueil réservé au cinéaste et à son nouveau film, L'Insulte, par la population de Damour, mercredi soir. La projection était la dernière d'une série de séances organisées dans diverses régions, à l'issue desquelles le public avait la possibilité d'interagir avec le réalisateur et ses vedettes Adel Karam, Camille Salamé, Rita Hayek, Christine Choueiri et Julia Kassar. La tragédie vécue par Damour, il y a quarante ans, est en effet au cœur de l'intrigue du long-métrage, précise-t-on.
S'exprimant à l'issue de la projection, le président de la municipalité de Damour, Charles Ghafari, a affirmé que « justice a ainsi été rendue à Damour, puisque toute une génération a pu apprendre ce qui s'y est déroulé il y a 40 ans ».
« Le Liban est un pays difficile et compliqué, a dit de son côté le réalisateur. Notre histoire n'a pas été débattue complètement. Ce que j'ai voulu dire, c'est que ceux qui ont souffert n'appartiennent pas à un seul camp, que tous ont souffert, mais que justice n'a pas été rendue à certains. Il nous faut tourner la page et admettre qu'il existe un autre point de vue, sinon le pays restera instable, et presque volatile. »
Pour mémoire
Adel Karam : « Voir le Adel de "Ma Fi Metlo" signer un autographe à Venise à une Italienne émue... »
Qu'y a-t-il au-delà d'une simple insulte proférée au Liban
L'insulte réparatrice de Ziad Doueiri
Avant-première de L'Insulte, de Ziad Doueiri : Quand la culture obtient gain de cause
Par contre les gens qui manifestent parfois brutalement leur refus d'accueillir des réfugiés syriens, cela sont des démocrates par excellence... dans une république bananière bien entendu. Hezbollah ou pas, nous n'acceptons pas qu'un traitre a la nation viennent donner des conférences, ou que se soit sur le sol libanais. Sa place est en prison
12 h 02, le 15 octobre 2017