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Liban - Hommage

La force de Samir Frangié

Il y a un an, jour pour jour, Samir Frangié tirait sa révérence au terme d’une formidable lutte contre la plus féroce des maladies. 

Nous nous sommes connus en d’autres temps, autrement plus héroïques. Nous étions jeunes. Nous militions tous les deux pour les droits des Palestiniens. Comme tout cela semble lointain aujourd’hui, alors que le peuple palestinien est abandonné par le monde entier et que le ghetto de Gaza ressemble de plus en plus à celui de Varsovie...

Ensemble, emportés par la fougue de la jeunesse, nous avons notamment visité l’île et la forteresse de Kronstadt, à Leningrad, où la révolte des marins, en mars 1921, avait été écrasée par la contre-révolution de Lénine – mais aussi Gori, la ville natale de Staline, en Géorgie… 

Samir était un compagnon de route, un grand ami au vrai sens du terme, entier, toujours sincère, toujours cassant lorsqu’il le fallait, sur les questions cruciales, contre le compromis pour le compromis. La finalité de la personne humaine, la liberté, la justice, la solidarité et surtout l’empathie : il vivait en vertu de ces valeurs, qu’il n’aurait abandonnées pour rien au monde. Héritées de la gauche, il en avait fait son credo humaniste. Bien mal inspiré était celui qui osait s’opposer, par réalisme, à ce mélange d’optimisme, de lucidité, d’idéalisme, d’intransigeance et d’opiniâtreté qui le caractérisait. Le bey voyait alors rouge et entrait dans une grande colère. Il valait mieux ne pas être l’objet de ses foudres ! 

Je regrette qu’il n’y ait plus à présent d’interlocuteurs francs et directs comme lui. Les temps ont tellement changé…


(Lire aussi : Samir Frangié, en jeune-turc)


En partant sur la pointe des pieds, Samir Frangié a laissé un vide énorme derrière lui. Samir avait un talent particulier pour générer des débats d’idées et des initiatives politiques. Aujourd’hui, la médiocrité l’emporte partout. Le discours politique se résume à des idées passéistes, des slogans imbéciles ou des échanges grossiers. Personne n’a de projet consistant pour un Liban indépendant. La nouvelle loi électorale ultraconfessionnelle est en passe d’effriter encore plus le paysage politique. Je ne sais pas s’il y aura une relève ou pas. Je l’espère, mais je ne le crois pas. 

Samir rêvait de sortir de ce système confessionnel et de la corruption généralisée. Mais comment le faire à présent? Le pays s’enlise à un point tel qu’il est désormais semblable à l’Irak ou au Nigeria. Les revenus du pétrole ne serviront jamais les jeunes. Le racket est là pour régner. La société civile, en laquelle Samir avait fondé beaucoup d’espoirs, notamment lors de la crise des déchets, s’est dispersée. 

Mais il ne faut pas pour autant oublier tout ce qui a été accompli. Il ne faut pas s’abandonner à la paresse intellectuelle et ne plus rien faire. Samir était un lutteur, et quel lutteur ! Il n’a jamais renoncé. La nouvelle génération doit savoir tout ce qui a été accompli par Samir Frangié, ce que nous avons fait ensemble, avec le patriarche Sfeir, Farès Souhaid, Nassib Lahoud, Samir Kassir et tant d’autres. 

Au sein du Rassemblement de Kornet Chehwane, sous l’égide de l’évêque Youssef Béchara, Samir a été un pilier central de la réconciliation de la Montagne d’août 2001. Le travail assidu conclu avec Samir et l’évêque Béchara a déclenché toute une dynamique. Nous étions parrainés par la grâce du patriarche Sfeir. Puis Rafic Hariri s’est rallié à nous en 2004 au Bristol… Cela a débouché sur la nouvelle indépendance.

Le 14 mars 2005 a constitué un rêve. Nous avons rêvé, comme tant d’autres ont rêvé : comme les jeunes Égyptiens de la place Tahrir, comme les Yéménites avec Tawakkol Karmane, comme les Syriens au tout début de la révolution pacifique… 

Ce rêve a duré un an. Nous avons pourtant tenu bon après, malgré tout, et avons réussi à arracher ce Tribunal international pour le Liban… qui est peut-être une chimère, mais qui, peut-être, pourra nous rendre un jour justice… 


(Lire aussi : Le bey du vivre-ensemble)


Mais le vivre-ensemble et le rejet de la violence, dont Samir avait fait son propre combat, restent le message principal. Un message qu’il faut rappeler, toujours : la nécessité de dialoguer et de ne pas tomber dans les antagonismes confessionnels et religieux. Hélas, la loi électorale actuelle est diabolique, et le pays se retranche de nouveau derrière les barricades du sectarisme. Samir défendait toujours l’idée que l’équilibre et la modération étaient les vraies sources de la force. Pour lui, le modèle du président fort était Fouad Chéhab : fort par son sens du consensus politique et par sa vue d’ensemble économique et sociale. Il avait raison ; tout le reste n’est qu’aventurisme et fanfaronnades… 

Samir est resté lucide jusqu’au bout. La maladie a certes considérablement affaibli son corps, mais elle n’a pas eu raison de son esprit, qui est resté résolu et combatif. J’ai eu l’occasion d’être moi-même le témoin de cette force tranquille en me rendant à son chevet. Qui plus est, Samir est resté clairvoyant, intransigeant et « fort », à l’heure où le pays tout entier perdait la boussole et s’engonçait dans une série de compromis que, fidèle à ses valeurs, il avait tôt fait de rejeter, sans jamais être dupe de ce que le Liban était en train de devenir : un État failli, un morceau de la « Syrie utile », une satrapie perse…

Il est parti sans jamais renoncer ni à son intégrité, ni à sa cohérence, ni à ses rêves et ses idéaux. 

C’est là la marque d’un esprit singulier, d’un serviteur d’État. 

Pour beaucoup d’entre nous, dans les arcanes du pouvoir, c’est aussi et surtout une grande leçon de politique. 

Il nous manque beaucoup.



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Il y a un an, jour pour jour, Samir Frangié tirait sa révérence au terme d’une formidable lutte contre la plus féroce des maladies. Nous nous sommes connus en d’autres temps, autrement plus héroïques. Nous étions jeunes. Nous militions tous les deux pour les droits des Palestiniens. Comme tout cela semble lointain aujourd’hui, alors que le peuple palestinien est abandonné par...

commentaires (3)

Walid Beik, tres bon article - Bravo!

IMB a SPO

19 h 00, le 11 avril 2018

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Commentaires (3)

  • Walid Beik, tres bon article - Bravo!

    IMB a SPO

    19 h 00, le 11 avril 2018

  • ALLAH YIR7AMOU ! LES HOMMES S,EN VONT ET LES HEBETES RESTENT...

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 00, le 11 avril 2018

  • Je cite quelques passages de l’hommage du chef druze : ...""Samir était un compagnon de route, un grand ami au vrai sens du terme, entier, toujours sincère, toujours cassant lorsqu’il le fallait…"" ...""Le bey voyait alors rouge et entrait dans une grande colère. Il valait mieux ne pas être l’objet de ses foudres !..."" Paix sur les cendres de Samir Frangié. C’est l’hommage d’un bey druze à un bey maronite, un peu les Dupond de la ""Révolution"". Après le nettoyage du Chouf de ses ""nobodies"", juste au début de la guerre, Samir Frangié, le bey rouge, tenait un meeting sur les ruines de Jyeh, village dévasté au sud de Beyrouth. J’en ai encore le souvenir des slogans lancés par l’assistance, dans le style : Soyez réalistes ! Demandez l’impossible. Mais Samir Frangié n’était pas originaire du Chouf… Heureusement pour lui !

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    11 h 50, le 11 avril 2018

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