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Liban - Commémoration

Quelles leçons retenir de Samir Frangié ?


Un an après la disparition de Samir Frangié, le 11 avril 2017, ses compagnons de route, promoteurs du vivre-ensemble, se sont dispersés, esprits libres en quête d’une nouvelle force cohésive, pour mettre à profit le legs de ce digne voyageur au bout de la violence. Celui qui a identifié la « culture du lien » entre individus comme prélude à la paix civile a été, pour de nombreux acteurs civils, l’initiateur et/ou le repère de leur processus d’individuation. Un cheminement long et très intime qui commence par une décision personnelle de s’autonomiser par rapport à son groupe d’appartenance primaire, de préférer l’aventure de la liberté à la tentation de sécurité que fait miroiter l’identité collective (tribale, partisane, communautaire…). Bien que moral avant que d’être politique, cet itinéraire est en principe voué à progresser vers la recherche d’un projet politique commun. Et c’est de la maturation de chaque individu, pierre d’angle d’une citoyenneté par le bas, que relèvent l’innovation d’un projet d’État moderne, ainsi que son applicabilité. 

Cette citoyenneté a trouvé, pensait Samir Frangié, sa plus nette expression le 14 mars 2005, et l’intifada de l’indépendance a été scellée par le retrait des troupes syriennes du pays. Le projet de l’État, ou « l’intifada de la paix », pour reprendre les termes de M. Frangié, aurait dû prendre le relais et suivre la même dynamique que celle du projet de l’indépendance face à l’occupation syrienne. Un projet pensé alors par une élite civile, qui avait constitué, au lendemain de la guerre, l’embryon d’un éveil citoyen. Il a fallu des intellectuels engagés pour penser ensemble la démarche à suivre sur la voie de la deuxième indépendance, ainsi que l’audace d’autorités religieuses progressistes, comme le patriarche Nasrallah Sfeir, l’imam Mohammad Mehdi Chamseddine, l’évêque Youssef Béchara et l’uléma Hani Fahs, suivies de figures politiques, pour relayer cette pensée. 

Parmi les notions fondamentales élaborées par ce groupe d’intellectuels au sein du Congrès permanent pour le dialogue libanais, celle d’un dialogue orienté non pas vers un compromis comme fin en soi, mais vers la restauration du lien en vue de renouveler le contrat social par-delà les communautés. La coexistence entre ces communautés, sur laquelle repose le Liban, est remplacée par la notion de vivre-ensemble autour d’un projet citoyen commun. Toute dynamique interne est condamnée à l’échec si elle n’est pas transcommunautaire, transtribale, transrégionale et débarrassée des barricades identitaires, depuis la pacification des mémoires – comme par le biais de la réconciliation de la Montagne en août 2001 – jusqu’à la résistance pacifique face à une occupation présente. L’indépendance nationale n’est possible que par le biais de cette unité politique. 

La violence et sa conjuration, pivot de l’œuvre de Samir Frangié, sont comprises comme étant mimétiques. Il est donc impossible de mettre fin à la montée aux extrêmes sans que l’une des parties ne décide volontairement d’y mettre fin. Il y a donc une exigence de proposer une alternative de paix, suffisamment fédératrice pour rassurer ces parties, suffisamment concrète pour leur offrir une perspective d’avenir inclusive de tous. Cette perspective était plus ou moins aisée à cerner sous l’occupation syrienne, l’occupant servant de cible clairement identifiable. 

Mais, après le retrait de l’occupant, plutôt que d’être investi dans le chantier interne de la démocratie, le legs du vivre-ensemble a été comme mis en réserve. Comme l’ont été d’ailleurs les acteurs civils de l’intifada de l’indépendance par les leaders politiques autoproclamés garants de cette révolution. La suite verra l’inversion progressive de la dynamique souverainiste, puis l’inversion, sinon la perversion, plus dangereuse, de la dynamique de paix. 

La première dynamique s’est éteinte lorsque le chantage de l’instabilité a eu raison du combat pour le monopole de la violence. La seconde a été minée lorsque le dialogue est redevenu l’apanage des leaders politiques, et a été reconverti en outil de compromis entre des parties à forces inégales, au nom d’un pseudoréalisme politique. Les mécanismes du pouvoir exécutif ont été réduits à une loya jirga, légitimée par l’abus de la notion de consensus. Un abus amené par la démagogie ultracommunautaire de parties politiques, toutes confessions confondues, s’arrogeant tour à tour l’exclusivité de la représentation de leur communauté. C’est la spirale d’une violence qui mime le modèle communautariste du Hezbollah et sa propension à intimider par ses armes.



Leçons
Partisan invétéré du dialogue, Samir Frangié avait parié dans un premier temps sur une « libanisation » du Hezbollah et un retour aux réalités libanaises, loin des fantasmes régionaux de l’Iran. Ses espoirs seront rapidement déçus. Aujourd’hui, cette « libanisation » impossible du Hezbollah a été elle aussi pervertie. Elle est devenue synonyme d’une normalisation des armes au sein du système politique, dont le prochain Parlement promet d’être le pilier. 

Quelles leçons retenir aujourd’hui de Samir Frangié ? Comment les repenser en partant de la base de la pyramide ? Les Libanais sont-ils ouverts à un projet d’avenir, indépendamment de leur chef ? C’est cette question qui lui aurait importé le plus. À ce sujet, la remarque d’un éminent indépendant chiite, le journaliste Ali el-Amine, serait peut-être d’utilité. « Ce qui s’enracine dans toute idéologie, c’est l’inquiétude, et c’est ce que ressentent les chiites dans leur profonde conscience (…). Percevoir en permanence une menace serait un moyen de refouler le sentiment profond d’avoir commis un tort (…), et c’est le même schème psychologique chez toutes les communautés au Liban », dit-il. C’est ce que Samir Frangié a appelé « un fonctionnement sur le mode du complot », chaque communauté se sentant victime, trahie par une autre, qui aurait comploté contre elle. 

Ce sont ces peurs mutuelles qu’alimente « la mémoire “historique” chargée de tous les malheurs du passé », elle-même « support de violence ». Pour se détacher de son groupe, encore faut-il franchir ce mur de la peur de l’autre en comprenant que cette peur n’est pas la sienne, mais celle de la collectivité. Un début serait d’écarter d’entrée tout ce qui alimente le fantasme d’un passé victimaire. Telle est la première leçon à retenir. 

L’autre leçon de Samir Frangié est de trouver impérativement un substitut aux structures communautaires, si l’on veut s’en affranchir. Parce que cet affranchissement n’est pas à confondre avec le nivellement des différences. Être libre serait en quelque sorte accorder à ses différences la latitude de s’exprimer sans devoir passer par la violence. Il faudrait doter le pays de mécanismes à même de compenser « l’effacement de ses structures traditionnelles ». C’est tout le travail qui s’impose, celui de repenser la démocratie libanaise, dont le pouvoir actuel a en tout cas fait table rase.
Une dernière leçon enfin, d’une profonde humilité, est de comprendre que la maturité politique, aussi profonde soit-elle, est constamment mise au défi des irruptions de violence. Penser le vivre-ensemble devient, partant, un engagement ininterrompu. Un engagement à vie.



Un an après la disparition de Samir Frangié, le 11 avril 2017, ses compagnons de route, promoteurs du vivre-ensemble, se sont dispersés, esprits libres en quête d’une nouvelle force cohésive, pour mettre à profit le legs de ce digne voyageur au bout de la violence. Celui qui a identifié la « culture du lien » entre individus comme prélude à la paix civile a été, pour de nombreux...

commentaires (3)

L,HEBETUDE NE RETIENT PAS DE LECON... CE QU,IL FAUT EN FAIRE C,EST DE S,EN DEBARRASSER !

LA LIBRE EXPRESSION

13 h 46, le 11 avril 2018

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Commentaires (3)

  • L,HEBETUDE NE RETIENT PAS DE LECON... CE QU,IL FAUT EN FAIRE C,EST DE S,EN DEBARRASSER !

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 46, le 11 avril 2018

  • Samir Frangie homme unique parmi les grands de notre pays....mais les grands hommes se font rares...triste..Beaucoup de de lecons a retenir de ce geant...

    Soeur Yvette

    12 h 01, le 11 avril 2018

  • =la « culture du lien » entre individus comme prélude à la paix civile =la notion de vivre-ensemble autour d’un projet citoyen commun =Toute dynamique interne est condamnée à l’échec si elle n’est pas transcommunautaire, transtribale, transrégionale et débarrassée des barricades identitaires, =c’est de la maturation de chaque individu, pierre d’angle d’une citoyenneté par le bas, que relèvent l’innovation d’un projet d’État moderne, ainsi que son applicabilité. =Les Libanais sont-ils ouverts à un projet d’avenir, indépendamment de leur chef ? =Ce qui s’enracine dans toute idéologie, c’est l’inquiétude, et c’est ce que ressentent les chiites dans leur profonde conscience (…). Percevoir en permanence une menace serait un moyen de refouler le sentiment profond d’avoir commis un tort (…), et c’est le même schème psychologique chez toutes les communautés au Liban CE SONT LA les points essentiels du probleme libanais ET les Idees Cles qui nous en sortiraient ! Maturation des libanais - inquietude ie. des chiites (fausse en vue des liens du hezb avec l'Iran)- Projet d'avenir Hors des chefs proclames - culture - etc... MAIS POURQUOI DIEU en sommes nous a encore tirer les memes conclusions sans jamais avancer ? POURQUOI donc nous, libanais nous contentons de "digerer" ce probleme , d'etre satisfaits de ce qui EST ?

    Gaby SIOUFI

    09 h 16, le 11 avril 2018

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