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Liban - Hommage

Le bey du vivre-ensemble

Samir Frangié s'est éteint à l'heure où le débat sur la démocratie représentative bat son plein. Il n'est pas étrange non plus qu'il se soit éteint la veille du 42e anniversaire de la guerre civile libanaise, au moment où d'aucuns se plaisent à parlementer du pacte et de la formule libanaise au point d'en défigurer profondément les concepts fondateurs, et de dévier des parcours qui servent pourtant de bouclier à la formule du vivre-ensemble.
Il y a quelques années, déjà, Samir bey avait pressenti que le vivre-ensemble, aussi bien au Liban que dans la région et le monde, se dirigeait d'un pas sec vers le précipice. Innombrables étaient nos entrevues sur le « minoritarisme » et « les protections fictives », toutes deux gangrenées d'une mentalité maladive. Toutefois, tenace et résistant, il refusait de se résigner au triomphe de cette phobie. Il voulait plutôt investir dans l'esprit civil des jeunes, cherchant inlassablement à combler les fossés en développant une approche intellectuelle de la vie en commun, laquelle repose sur l'histoire et la géographie, se sustente de l'importance de faire prévaloir une gestion saine du pluralisme et ne néglige nullement les défis qu'impose cette dernière. Il n'a point craint de reconnaître qu'au-delà de la détresse politique, le Liban relevait un défi à un double niveau.
Le premier niveau, selon lui, était l'abnégation des intellectuels, académiciens et experts à changer, voire tenter de changer, une structure en décrépitude et à asseoir une mentalité qui considère l'exercice politique comme l'engagement le plus noble pour le bien commun.
Le second niveau se rapportait à l'importance de réveiller la communauté des hommes d'affaires, de la sortir de son apnée « exclusionniste », de l'inciter à investir ses profits pour insuffler une vie nouvelle dans le quotidien et la qualité de vie du commun libanais, à commencer par la mise sur pied d'une gouvernance efficace au sein d'un État qui monopolise la gestion des secteurs de service.
Quiconque examine ces deux niveaux en profondeur – la mise en relation des intellectuels, académiciens et experts en matière de politique publique, et l'implication de la communauté des affaires dans le développement de l'infrastructure de l'État – trouvera en Samir Frangié un catalyseur, voire un trait d'union entre la gauche prônant les principes et le libéralisme de la production ouvrière, d'une part, et l'homme de vision qui tisse sa relation avec la réalité et croit en la capacité de changer par apports cumulatifs, d'autre part ; bien qu'au Liban le cumul des déceptions l'ait emporté sur la possibilité de faire vivre l'espoir.
Telle est la raison pour laquelle Samir Frangié constitue, par excellence, le bey d'un vivre-ensemble dont tous, au prix du sang versé, cherchent à définir les contours autour des fissures causées par un séisme géopolitique dont il saisissait les remous destructeurs.
Ainsi Samir bey avait-il fait preuve d'une sagesse inédite et d'une clairvoyance exceptionnelle lorsqu'il avait constaté que l'Europe, qui se débat dans une crise identitaire fondatrice ou affluente, devrait trouver dans le modèle libanais défectueux une planche de salut. Il avait également affirmé que le monde arabe penchait pour l'adoption d'une démocratie de type consensuelle, différente du modèle libanais infirme, mais plutôt proche de la véritable version de cette démocratie libanaise basée sur le pacte.
Samir Frangié s'est éteint en riant, j'en suis persuadé, de tout ce tintamarre sur la reconfiguration du pacte dans le moule des veto mutuels et remaniement de la Constitution comme plateforme technique permettant de s'arroger des prétendues victoires.
Samir Frangié s'est éteint révolté, j'en suis persuadé, contre la miniaturisation du modèle libanais, désormais réduit à des émotions vides et jaunies, un modèle bloqué dans les compromis des non-constantes, aussi importants soient-ils durant la phase intérimaire.
Samir Frangié s'est éteint, certes. Mais il sera à jamais la raison d'un Liban qui demeure au stade fœtal et que nous nous devons d'engendrer, en hommage au combat de Samir, au moment où nous glissons vers la défiguration de la formule et l'égorgement du pacte.

*Écrivain

Samir Frangié s'est éteint à l'heure où le débat sur la démocratie représentative bat son plein. Il n'est pas étrange non plus qu'il se soit éteint la veille du 42e anniversaire de la guerre civile libanaise, au moment où d'aucuns se plaisent à parlementer du pacte et de la formule libanaise au point d'en défigurer profondément les concepts fondateurs, et de dévier des parcours qui...

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"Compromis des non-constantes" c'est à dire?

Beauchard Jacques

10 h 13, le 20 mai 2017

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Commentaires (1)

  • "Compromis des non-constantes" c'est à dire?

    Beauchard Jacques

    10 h 13, le 20 mai 2017

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