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Liban - Quarantième

Samir Frangié, celui qu’on n’a pas envie de laisser partir...

Avec Mgr Youssef Béchara, à Kornet Chehwane.

Elle est inconsolable, la tristesse des proches, des compagnons et des amis de Samir Frangié, quarante jours après sa disparition, le 11 avril dernier, des suites de la maladie. Le temps, tenu généralement pour ce sorcier génial, à même d'apporter du baume à toutes les blessures et d'effacer toutes les déchirures, n'y pourra rien. Le temps, aussi puissant soit-il, ne peut pas faire de miracles. Car, sur le plan humain – comme, du reste, sur celui de la réflexion, de l'analyse, de la prospective et de l'initiative, entre autres –, le vide que cet homme laisse derrière lui est incommensurable. Et c'est en partie parce que l'empathie, principe premier chez Samir Frangié, n'est pas l'énergie motrice du commun des mortels. Partant, les hommages se multiplient et ne tarissent pas. Personne n'a en effet trop envie de laisser Samir (et tout ce qu'il représente) partir trop loin ou trop longtemps...

C'est à la fois à l'ami authentique et débonnaire et au serviteur du bien commun visionnaire et chevronné qu'un vibrant hommage a été rendu hier, pour le quarantième de sa disparition, en l'église Saint-Maron (Gemmayzé), en présence d'une foule de personnalités politiques, académiques et de la société civile.
L'office, qui a été célébré par l'archevêque maronite de Beyrouth, Mgr Boulos Matar, a été généreux, chaleureux, apaisant, représentatif de l'esprit de Samir Frangié.
Il a par exemple été l'occasion pour l'un de ses compagnons de route, Mohammad Hussein Chamseddine, de réciter à la suite quelques passages du « Notre Père », du « Je Vous salue Marie » et de la « Fatiha », dans le cadre d'une intention à la mémoire de l'ami disparu. « Ces quelques phrases me font penser à Samir », a-t-il dit, simplement, d'un ton dépareillé, mais d'une voix prise par l'émotion. La symbolique du geste n'est pas sans rappeler, en Samir Frangié, l'écrivain nahdawi Ahmad Farès Chidiac, qui avait su s'élever au-delà du communautaire comme espace de réclusion pour que ne prime, in fine, que la personne humaine, libérée de toute claustration.

L'occasion aussi pour Hind Darwish, éditrice, d'évoquer le legs puissant de l'intellectuel dans le rejet de la violence, du repli sur soi, de l'intolérance et du despotisme, et le souffle de paix qu'il a su communiquer à ses camarades et disciples.
L'occasion enfin pour le journaliste Akl Awit d'envoyer des mots d'amour à celui qui prie, à sa façon, « pour le Liban de la paix et du vivre-ensemble, pour l'homme et sa dignité ». « Tu innoves, organises des conférences de dialogue, jettes des ponts et réconcilie les anges disputés, convaincs les plus pessimistes qu'il y a de l'espoir et guides la mort vers la vie et la liberté », a-t-il déclamé.

 

(Lire aussi : Samir Frangié, en jeune-turc)

 

L'hommage de la raison
Mais l'hommage le plus flamboyant, le plus fort, celui de la raison, est venu de l'évêque émérite d'Antélias, Mgr Youssef Béchara, ancien parrain du rassemblement de Kornet Chehwane et très proche de Samir Frangié. Mgr Béchara s'est livré à un témoignage de plus de 25 ans d'amitié et de complicité, mettant en évidence trois aspects de la vie du grand disparu : l'intellectuel défenseur du droit et des valeurs, le militant politique national et le croyant.

Loin des sentiers traditionnels, c'est la culture, dans ce qu'elle est comme recherche de la vérité, attachement à cette dernière et défense des valeurs humaines et morales, que Samir Frangié a embrassée, a expliqué le prélat, en rappelant que Samir répétait souvent que la crise libanaise et arabe était « une crise de valeurs que nous avons abandonnées pour des acquis immédiats à plusieurs niveaux ». « Il ne manquait aucun nouvel ouvrage de valeur (...) et ne se contentait pas des nouveautés. Il s'est immergé dans les œuvres de penseurs célèbres, dont Martin Luther King (...), notamment son livre La force d'aimer, dans lequel ce dernier appelle à rejeter la violence et à adopter les moyens pacifiques pour recouvrer la liberté et les droits, sur base des enseignements du Christ, a poursuivi Mgr Béchara. Lorsqu'on lui demandait quel était son slogan dans la vie, il citait Martin Luther King, et répondait : "Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons tous mourir ensemble comme des idiots." » Pour Youssef Béchara, Samir Frangié a mis sa culture au service du bien, du droit et de la dignité humaine, mais aussi et surtout de l'autre, multipliant ainsi les textes et les initiatives, même à ses heures les plus difficiles, et toujours avec beaucoup d'ouverture et de modestie.

Quoique fils d'une famille politique, c'est la recherche du bien commun que Samir Frangié privilégiera au cours de son parcours, souligne l'évêque émérite d'Antélias, « loin de l'acception de la politique propre à beaucoup, par amour d'un leadership populaire fondé sur l'exploitation des sentiments des gens ou par souci de glaner des postes officiels à des fins matérielles ». Le militant politique Samir Frangié a lutté contre la violence et œuvré pour la paix et, profondément affecté par les ruptures interlibanaises, s'est dédié à rapprocher les adversaires à travers des chantiers de dialogue. Grand défenseur du vivre-ensemble islamo-chrétien, « solution pratique et modèle idéal pour les sociétés pluralistes », il a également œuvré pour une politique regroupant les pays du bassin méditerranéen autour de la modération comme vecteur de solution à la montée des extrêmes.

 

(Lire aussi : Le bey du vivre-ensemble)

 

Mgr Béchara a notamment évoqué dans ce cadre l'expérience du rassemblement de Kornet Chehwane, lancé au lendemain du communiqué des évêques maronites prônant le retrait des forces syriennes du Liban, en septembre 2000, expérience menée « en dépit des pressions, menaces et attentats contre certains de ses militants les plus importants ». « Il ne s'agissait pas d'un rassemblement sectaire, mais national (...) », a-t-il souligné.

Pour Youssef Béchara, Samir Frangié, avec son intégrité, sa probité, sa liberté, son dévouement, sa sincérité, sa hauteur d'âme et sa simplicité, est resté « loin des tours d'ivoire », se souciant « des affaires des citoyens et de leur avenir au sein d'un pays souverain, libre et indépendant ». Il n'a jamais perdu espoir en des lendemains meilleurs, « à condition que les intentions soient bonnes et que les responsables s'élèvent au-dessus de leurs intérêts privés en faveur du bien de la patrie et des citoyens ».
C'est enfin la contribution de Samir Frangié « le croyant » à l'Église maronite, à l'exhortation apostolique et aux textes du synode maronite ainsi que sa complicité avec le patriarche Nasrallah Sfeir que Mgr Béchara a mis en relief – tout cela en dépit de sa genèse à gauche, mais « une gauche ne reniant pas la religion (...) et engagée dans la défense des droits des opprimés, de la justice sociale, de la dignité humaine (...) ». « Tu n'es plus là, mais tu resteras dans nos pensées, nos cœurs et nos prières (...) parce que tu as vécu avec toute ton humanité et tu as fait fructifier les nombreux dons que Dieu t'a donnés pour édifier l'homme et la patrie et lutter pour la liberté, la paix et les valeurs », a-t-il conclu.

 

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