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Liban - Disparition

Zghorta rend un ultime hommage à Samir Frangié, le bey rebelle

Une messe de requiem a été célébrée samedi à l'intention de l'ancien député, dans son village natal.

La messe s’est déroulée dans l’église Saint-Joseph à Zghorta. Photo « an-Nahar »

Le dernier voyage de Samir Frangié l'a ramené à Ehden, à ses origines, à l'endroit où, encore tout jeune, il avait fait son premier face-à-face avec la violence. Dans son ouvrage Voyage au bout de la violence, Samir Frangié dit avoir fait l'apprentissage de la violence la première fois de sa vie le 16 juin 1957. Le jour où l'horrible massacre de Miziara fut perpétré marquera en effet à jamais le fils de Hamid Frangié, alors âgé d'environ douze ans.

Alors que plus personne dans le village n'ose évoquer ce massacre, Samir Frangié avait choisi de relater cet événement qui constituait, à ses yeux, un tournant dans l'histoire de Zghorta et une sorte de prémonition dans l'histoire du pays, selon les premières pages de son essai.

Soixante ans plus tard, et en guise d'adieu à Samir Frangié, Zghorta a pleuré ce qui manquait le plus à sa société, depuis le temps et jusqu'à aujourd'hui, et qui se trouvait en abondance dans le personnage de Samir Frangié : la modération et le discours de la non-violence.

Des banderoles étaient accrochées le long de la rue al-Abi, notamment devant l'église Saint-Joseph où une messe de requiem a été célébrée. Sur ces banderoles était inscrit noir sur blanc : « Samir Frangié, la voix de la modération et les prises de position audacieuses », « Nous avons perdu Hamid Frangié une seconde fois », ou encore « Samir Frangié, le courage est l'apanage des grands hommes ».

Ceux qui étaient présents à la messe samedi pour pleurer Samir Frangié n'étaient cependant pas assez nombreux par rapport à l'envergure du combat mené par le bey. Trop rares restent en effet les Zghortiotes qui ont su apprécier cet enfant du pays, pourtant immanquablement l'un des leurs. Leader d'une révolution nationale à portée universelle, son esprit ne pouvait être confiné à des horizons aussi étroits. Vivace à Beyrouth, son message de paix n'a pas encore imprégné le village de ses origines, n'a pas encore transformé les siens comme il l'aurait souhaité.

Sur la place de l'église, d'énormes photos de Samir Frangié étaient dressées. À l'intérieur, les proches de Samir Frangié ainsi que ceux qui l'ont connu et aimé ressentaient une certaine amertume. Ils avaient le sentiment qu'on leur avait volé leur droit de faire le dernier adieu à Samir, à Zghorta, dans son village natal. Les funérailles ont eu lieu dans la capitale, avant que le corps ne soit rapatrié à Ehden.

Devant l'autel, le père Estéphan Frangié a évoqué ce dernier voyage du bey rebelle, celui du retour à Ehden. « Samir Frangié est retourné à la terre de son enfance et de ses rêves, à Ehden, au beau milieu de la montagne et à la lisière de la vallée de la Qadischa. Il a hérité d'Ehden la dureté de ses roches, mais également la flexibilité et la finesse de ses brises printanières. De tout temps, le dialogue est resté son seul moyen de résolution des conflits », a affirmé le père Frangié lors du sermon prononcé devant nombre de personnalités.

« Samir Frangié, ou le bey blanc, a toujours occupé la place qu'il voulait occuper, et non pas celle qui lui a été imposée, a ajouté le père Estéphan Frangié. Il a payé très cher le prix de ses choix et de ses décisions, tout en les défendant et en assumant la responsabilité jusqu'au bout. » Et de poursuivre : « Samir Frangié, vous êtes maintenant dans les bras du Christ, le rebelle qui, lui aussi, n'avait ni armées à sa disposition ni batailles militaires. »

 

(Pour mémoire : Samir Frangié, l’homme qui donnait à la politique ses lettres de noblesse)

 

 

Le regard des Zghortiotes
L'émotion se lisait sur les visages de la plupart de ceux qui sortaient de l'église vers le salon pour présenter leurs condoléances à la famille de Frangié. « Il a réussi à proposer une image du Zghortiote autre que celle gravée dans les esprits des Libanais », dit Marina Arayji, jeune femme zghortiote qui s'est présentée aux dernières élections municipales sur une liste indépendante à laquelle Samir Frangié avait affiché son soutien.

« Le parcours de Samir Frangié a été profondément marqué par le massacre de Miziara, depuis qu'il était encore tout jeune. Mais contrairement aux autres leaders de l'époque, il est parti de cet événement non pas pour répandre une haine encore plus ravageuse et se construire un plus grand pouvoir, mais pour consacrer sa vie et son activité à la paix, au dialogue et à la modération », a-t-elle ajouté.

Également proche de Frangié et de sa famille, Mme Arayji dit avoir été inspirée du personnage de Samir pour mieux mener sa vie quotidienne : « Il m'a appris l'amour de l'autre et l'importance de s'autocritiquer. »
« Le Liban, tout comme Zghorta et Ehden, a perdu notre grand ami Samir bey Frangié. Un penseur avant-gardiste, un vrai homme d'État comme rares le sont dans notre pays. Une personnalité de l'étoffe de Fouad Chehab et de Raymond Eddé », affirme l'anthropologue et écrivain Antoine Douaihi en sortant de l'église.

Pour Antoinette Kashanna, professeure de français au lycée, « Samir Frangié représente l'intellectualisme mélangé à la particularité libanaise et qui laisse rêver d'un avenir meilleur ». L'avocat Jean-Pierre Frangié estime de son côté que Samir Frangié représentait une importante valeur ajoutée pour son village, « il était différent des autres ». M. Frangié réussit à décrire la vraie différence qu'incarnait Samir Frangié par rapport à la mentalité zghortiote qui reste malgré l'écoulement du temps fortement imprégnée dans le féodalisme. Il dit : « Ce qui distingue Samir Frangié des leaders politiques zghortiotes, ou encore des responsables libanais, c'est qu'on ne marchait pas derrière lui mais à ses côtés. »

Au terme d'un long exil d'un demi-siècle dans la cité, où il a œuvré inlassablement pour un autre Liban et d'autres valeurs, l'enfant terrible de Zghorta est enfin rentré au bercail et repose désormais dans son paradis d'Ehden.
Zghorta saura-t-il se montrer fidèle à celui qui a dédié toute sa vie à une seule cause, celle de transcender cette violence locale, originelle, latente, qui a irrémédiablement changé le cours de son existence, pour un État de paix, de sérénité et de vivre-ensemble ?

 

 

 

 

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commentaires (1)

"IL A RÉUSSI À PROPOSER UNE IMAGE DU ZGHORTIOTE AUTRE QUE CELLE GRAVÉE DANS LES ESPRITS DES LIBANAIS". ÇA C'EST BEAU À ENTENDRE. PUIS "CE QUI DISTINGUE SAMIR FRANGIÉ DES LEADERS POLITIQUES ZGHORTIOTES, OU ENCORE DES RESPONSABLES LIBANAIS, C'EST QU'ON NE MARCHAIT PAS DERRIÈRE LUI MAIS À SES CÔTÉ" C'EST ENCORE PLUS BEAU. ESPÉRANT QUE CES BEAUX PAROLES VONT RÉSONNER BIEN FORT À ZGHORTA POUR EN FINIR AVEC LES MERCENAIRES QUI SALISSENT L'IMAGE DE CETTE BELLE VILLE.

Gebran Eid

14 h 27, le 20 avril 2017

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Commentaires (1)

  • "IL A RÉUSSI À PROPOSER UNE IMAGE DU ZGHORTIOTE AUTRE QUE CELLE GRAVÉE DANS LES ESPRITS DES LIBANAIS". ÇA C'EST BEAU À ENTENDRE. PUIS "CE QUI DISTINGUE SAMIR FRANGIÉ DES LEADERS POLITIQUES ZGHORTIOTES, OU ENCORE DES RESPONSABLES LIBANAIS, C'EST QU'ON NE MARCHAIT PAS DERRIÈRE LUI MAIS À SES CÔTÉ" C'EST ENCORE PLUS BEAU. ESPÉRANT QUE CES BEAUX PAROLES VONT RÉSONNER BIEN FORT À ZGHORTA POUR EN FINIR AVEC LES MERCENAIRES QUI SALISSENT L'IMAGE DE CETTE BELLE VILLE.

    Gebran Eid

    14 h 27, le 20 avril 2017

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