À présent que le délai d’enregistrement des listes a expiré, le processus devant mener au renouvellement tant attendu de la législature libanaise est entré dans sa dernière ligne droite. Une phase d’une quarantaine de jours au cours de laquelle les candidats vont pouvoir ferrailler – ouvertement entre listes concurrentes, mais aussi plus sournoisement au sein de chaque liste – a donc débuté cette semaine pour s’achever au soir du 6 mai prochain.
Du panorama global de cette campagne, on retiendra d’abord l’image suivante : un chassé-croisé d’alliances, parfois très improbables, formant une tambouille indigeste. Une situation qu’illustre parfaitement la boutade chuchotée au Forum de Beyrouth le week-end dernier, au moment où le chef d’un grand parti proclamait ses listes, par un candidat dit indépendant sur la liste concernée à Kesrouan-Jbeil à un collègue dans la même situation que lui au Metn : « Mais que faisons-nous donc ici, toi et moi ? »
Pour le reste, on notera aussi la présence massive, pour la première fois dans l’histoire des élections législatives dans ce pays, de candidats issus de ce qu’on appelle communément « la société civile », par opposition aux professionnels de la politique. Sachant toutefois qu’au final, les premiers aspirent naturellement à remplacer les seconds, on les appellera de préférence les « outsiders ».
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Est-ce à dire que les grands enjeux politiques traditionnels sont absents de la campagne ? En un sens, oui. Contrairement au scrutin de 2009, exceptionnel dans un pays comme le Liban par sa polarisation politique extrême autour de deux camps radicalement dressés l’un face à l’autre, le cru 2018 se présente comme une sorte d’exercice de réajustement routinier, certes nécessaire pour suggérer un fonctionnement plus ou moins normal des institutions, mais duquel on n’attend pas de résultats décisifs au niveau des options stratégiques conflictuelles, touchant à la situation géopolitique du Liban et à son système politique. D’où une approche qui doit être différente pour ce qui est des notions de victoire et de défaite.
En 2009, il y avait un vainqueur, c’était le 14 Mars, et un vaincu, le 8 Mars. Le numéro deux du Hezbollah, Naïm Kassem, avait lui-même fixé la barre très haut en déclarant quelques jours avant le scrutin que celui-ci devait être un référendum sur les armes et les choix stratégiques du parti. Que le résultat n’ait pas été véritablement traduit dans la formation du gouvernement qui a suivi les élections, et du coup dans sa déclaration ministérielle, n’avait rien à voir avec les caractéristiques du scrutin, mais plutôt avec la dérive forcée du système vers un consensualisme qui fait de l’exécutif un mini-Parlement, ce qui d’ailleurs empêche le Parlement de sanctionner l’action gouvernementale.
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Aujourd’hui, les grandes options sont mises au congélateur, en attendant que l’épreuve de force en cours dans la région s’achève. Place donc à l’arithmétique pure et au retour du clientélisme triomphant, par lesquels les frontières des alignements politiques s’estompent au profit d’enjeux plus restreints. Ainsi, au soir du 6 mai, il n’y aura pas une majorité et une minorité au Parlement, mais juste six ou sept blocs qui feront leurs comptes, les uns pour savoir de combien ils auront amélioré leurs positions, les autres pour voir s’ils auront réussi à limiter la casse.
Car en somme, et malgré les possibilités de surprises ici ou là, on n’attend guère de bouleversement majeur au niveau des grands équilibres politiques du pays. Sur ce plan, la nouvelle loi électorale joue un rôle plutôt conservateur. Hybride et inadaptée par certains aspects à la culture politique libanaise traditionnelle, elle est néanmoins prudemment verrouillée par un seuil d’éligibilité prohibitif, pouvant dépasser les 15 % dans certaines circonscriptions. D’où la très grande difficulté pour les outsiders de pouvoir percer. Tout au plus verra-t-on dans certaines régions les monopoles politiques que favorisait l’ancien système électoral brisés au profit de forces minoritaires. Mais outre le fait que ce phénomène pourrait en fin de compte être limité, ses bénéficiaires seront ceux-là mêmes dont il s’agit de briser le monopole dans d’autres régions. En somme, un échange de sièges en perspective ! À ce jeu-là, le tandem chiite, en particulier le Hezbollah, est relativement avantagé par rapport aux autres, dans la mesure où le glacis politique imposé à ses fiefs, notamment au Sud, est peu propice à des campagnes d’opposition sereines.
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Fils conducteurs
Cela étant dit, et en dépit de la valse des alliances contradictoires, il convient tout de même de noter que la cohérence politique n’est guère totalement absente du panorama électoral. Si l’on prend comme point de départ le CPL, on observe que c’est essentiellement autour de cette formation, et dans une moindre mesure les Marada, que se concentrent les « turbulences », autrement dit les alliances jugées contre nature. Or si l’on estime que depuis la mise en place du compromis présidentiel entre Michel Aoun et Saad Hariri, la formation aouniste s’oriente inéluctablement vers un recentrage politico-stratégique explicite ou implicite, on en arrive à relativiser l’ampleur de ces turbulences.
Que constate-t-on sur ce plan ? D’abord qu’en optant pour le choix tactique de s’ouvrir au CPL, ne serait-ce que partiellement, le chef du gouvernement se montre conséquent avec lui-même dès lors qu’il a accepté et parrainé le compromis par lequel Michel Aoun est devenu président. Il faut se rappeler que M. Hariri l’avait fait en prenant en compte les évolutions guère favorables pour son camp dans la région, et en particulier en Syrie.
Ensuite que cette ouverture n’est pas sans bénéfice puisque, qu’on croie ou pas au recentrage du CPL, on peut déjà constater que ce dernier est allié avec le Futur dans trois grosses circonscriptions totalisant 25 sièges (Beyrouth I, Zahlé, Nord III), alors qu’il ne s’est associé au Hezbollah et Amal que dans deux circonscriptions comprenant 17 sièges (Beyrouth II et Baabda).
D’autre part, on note que le Futur et les autres formations du 14 Mars ne sont nulle part alliés au Hezbollah et Amal, deux partis qui, à l’origine, résument à eux seuls les options fondamentales du 8 Mars. Et si les Forces libanaises et le CPL ont à nouveau pris des chemins différents, il semble évident que la cause n’en est pas à chercher dans la différence d’options stratégiques, mais simplement dans la sempiternelle lutte pour le leadership chrétien.
Au final, ce sont peut-être des législatives sans grand relief qui sont attendues le 6 mai, mais la floraison de candidats – et, pour la première fois, de candidates – est le signe d’une vitalité bienvenue dans la grisaille géopolitique et économique du Liban de 2018.
La valse des alliances contradictoires... Le mariage de la carpe et du lapin... L'amour entre un éléphant et une fourmi... L'accouplement d'un lion avec un gnou... tout cela se passe chez le CPL fondé par Michel Aoun qui s'est associé avec le PSNS (Parti syrien national social), avec le BAAS, avec les Frères musulmans, avec les débris du communisme etc.
16 h 20, le 30 mars 2018