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La censure au Liban, comment ça marche ?

Ayman Mhanna, directeur de l'association SKeyes, explique à L'Orient-Le Jour les différentes étapes du processus.

Photo d'illustration Mohammad Yassine.

La récente polémique autour du film The Post, réalisé par Steven Spielberg, d'abord interdit de projection dans les salles de cinéma libanaises avant d'être finalement autorisé jeudi dernier sur décision du ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, a mis en lumière la complexité des méandres du processus de censure au Liban.

Des groupes de pression au ministre de l'Intérieur en passant par la Sûreté générale, quels sont les chaînons de la censure au Liban? Ayman Mhanna, directeur de l'association SKeyes, répond aux questions de L'Orient-Le Jour.


L'obtention d'une licence

"Tous les films, pièces de théâtre ou autres productions artistiques doivent d'abord obtenir une licence de production pour être diffusés au public", explique M. Mhanna.

Ce précieux sésame, sollicité par les artistes, producteurs et distributeurs de ces œuvres, est attribué par la Sûreté générale (SG), chargée de gérer la censure des films, des livres, publications et des pièces de théâtre, notamment sur la base du respect des mœurs, ou de la délicate question des liens d'une œuvre artistique avec Israël.

"Les films sont visionnés par des agents du département des médias au sein de la Sûreté générale, dirigé par le général Nabil Hannoun. Si cette instance considère qu'un film ou l'un de ses passages peuvent susciter la polémique, elle prévient les personnes, responsables politiques, organismes ou institutions pouvant être visés", explique le directeur de SKeyes, qui précise qu'il s'agit d'un "usage officieux, non borné par des lois".

Il arrive fréquemment que l'armée libanaise, le Hezbollah ou les autorités religieuses, comme le Centre catholique d'information ou Dar el-Fatwa, soient prévenus de l'existence de passages controversés et invités à donner leur point de vue.

Les publications de presse étrangères sont également passées au crible par la Sûreté générale.

Les publications étrangères requièrent aussi une licence pour être importées et distribuées. La Sûreté générale examine ensuite chaque numéro de ces publications et le ministère de l'Information peut en interdire leur importation ou confisquer des exemplaires. A plusieurs reprises ces dernières années, des quotidiens ou hebdomadaires importés ont vu certaines de leurs pages biffées ou carrément déchirées. Après la mort de l'ex-président syrien Hafez el-Assad en 2000, plusieurs numéros de journaux étrangers, ayant publié des articles critiques contre l'ancien maître de Damas, avaient été interdits à la vente. En 2007, un numéro du mensuel français "Historia", consacré à une biographie non autorisée de Jésus, avait également été censuré.



(Lire aussi : Le film « Beirut », annoncé pour avril prochain, provoque la colère des Libanais)



Comité de censure

Après ce premier visionnage, il arrive également que les séquences posant problème soient tout simplement retirées.

Pour les œuvres les plus controversées, le comité chargé de la censure des films cinématographiques diffusables est convoqué. Ce comité est composé d'un responsable du département chargé de l'audiovisuel au sein de la SG, représentant le ministère de l'Intérieur, ainsi que des représentants des ministères des Affaires étrangères, de l'Information, de la Culture, de l’Éducation, de l’Économie et des Affaires sociales. "Ce comité émet alors une recommandation d'interdire ou d'autoriser la diffusion de l’œuvre", explique M. Mhanna. 

Dans le cas de The Post, le comité avait recommandé d'interdire la diffusion du film, notamment en raison de la présence du réalisateur américain sur une liste noire dressée par la Ligue arabe qui appelle au boycott de toute personne ayant un lien avec Israël. Au moment de la guerre de juillet 2006 entre Israël et le Hezbollah au Liban, M. Spielberg avait donné un million de dollars à des œuvres de charité israéliennes.

"Cette recommandation est ensuite transmise au ministère de l'Intérieur qui a le dernier mot pour statuer et qui peut passer outre cet avis", poursuit M. Mhanna. Malgré la recommandation d'interdire la projection du dernier film de M. Spielberg, M. Machnouk a ainsi décidé d'autoriser sa diffusion, estimant que les événements relatés dans le film n’ont aucun rapport avec le conflit avec Israël. Le film, qui réunit à l'affiche Meryl Streep et Tom Hanks, revient sur la publication inédite en 1971 par le Washington Post de documents confidentiels du Pentagone, exposant les fausses allégations des États-Unis en lien avec la guerre du Vietnam.


Groupes de pression

La Sûreté générale et le ministère de l'Intérieur sont soumis à la pression de divers groupes qui, parfois, finissent par obtenir gain de cause.

Ainsi, le film australien "Jungle", adapté d'un roman israélien qui raconte l'histoire vraie d'un baroudeur de la marine israélienne, Yossi Ghinsberg, égaré dans la forêt amazonienne en Bolivie en 1981, a vu sa licence retirée après deux semaines de diffusion dans les salles. Ce film avait été critiqué par la "Campagne pour le boycott des soutiens d'Israël au Liban".

Cet organe de pression continue à se mobiliser contre le film The Post, notamment aux côtés du Hezbollah qui avait exprimé la semaine dernière son opposition à l'autorisation accordée à la projection du film par la voix de son secrétaire général, Hassan Nasrallah.

En 2004, la Sûreté générale avait retiré des librairies libanaises le "Da Vinci Code", le roman de Dan Brown, suite à un avis du Centre catholique d’information, qui y voyait une atteinte au Christ. La SG, à qui l'avis avait été transmis, s'était alors appuyée sur la législation libanaise sur les imprimés qui stipule que “toute publication, portant atteinte aux croyances religieuses est interdite”. Deux ans plus tard, le film tiré du livre, avait également été interdit.


(Lire aussi : Nasrallah s'oppose à la décision de projeter le film de Spielberg)


Recours compliqués

Ayman Mhanna indique qu'il arrive que la Sûreté générale et le comité de la censure choisissent de tarder à statuer. "Si une demande d'autorisation n'est pas tranchée en moins de trois mois, la demande est considérée comme rejetée", explique-t-il, prenant l'exemple de festivals de cinéma organisés au Liban lors desquels des films programmés n'ont pas pu être projetés pour cette raison.

Il indique également qu'il est possible de déposer un recours auprès du Conseil d’État pour casser une décision d'interdiction. Mais les décisions de l'instance juridique suivent quasi-automatiquement celles de la Sûreté générale et du ministre de l'Intérieur, déplore-t-il. "Nous incitons toutefois les personnes qui le souhaitent à saisir la justice" dans ce genre de dossier, souligne M. Mhanna, estimant que "ces affaires doivent être traitées auprès des instances juridiques".


(Lire aussi : Un rapport de March pointe la censure du doigt)


Productions libanaises, le parcours du combattant

Le directeur de Skeyes explique enfin qu'il est "très compliqué pour un Libanais de tourner un film ou donner une pièce de théâtre". "Pour obtenir une autorisation de filmer sur le territoire libanais, les réalisateurs, metteurs en scène ou producteurs doivent déposer le scénario auprès de la SG qui autorise ou non le tournage ou la représentation de l’œuvre cinématographiques ou théâtrales.

"Ensuite, pour tourner, les réalisateurs doivent obtenir l'autorisation de diverses instances selon les lieux", ajoute-t-il, prenant pour exemple Solidere ou la sécurité du Parlement pour le centre-ville de Beyrouth, ou les régions dans lesquelles le Hezbollah est présent.

Lorsque l’œuvre est terminée, elle est alors déposée au département chargé de l'audiovisuel au sein de la SG pour lancer le processus menant à l'autorisation ou non de l’œuvre.

La semaine dernière, en pleine polémique autour du film The Post, une source proche du ministère de l'Intérieur avait laissé entendre à L'Orient-Le Jour que le processus de censure pourrait être modifié à l'avenir.


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commentaires (2)

BEL WASTA AVEC PRESSION ! L,OBSCURANTISME Y PREVALANT !

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 20, le 25 janvier 2018

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Commentaires (2)

  • BEL WASTA AVEC PRESSION ! L,OBSCURANTISME Y PREVALANT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 20, le 25 janvier 2018

  • Hélas on constate les limites de la liberté de presse, de créations artistiques, cinématographiques ou autres présentations au Liban. Il faut se rappeler qu'au Liban il y a les autorités publiques (de l'état) et les autorités spirituelle, religieuse qui ont leur mot à dire et font le beau et le mauvais temps dans certaines circonstances. D'où la différence avec les états qui ont opté à la séparation des "églises" (institutions religieuses chrétiennes, musulmanes ou juives etc etc) et de l'état. La meilleure règle est la "mesure". Loin des excès. Dans le cas des œuvres cinématographique la plus part des censures concernent plutôt la politique... c'est le cas des récentes tentatives de censure concernant deux films américains.

    Sarkis Serge Tateossian

    11 h 16, le 25 janvier 2018

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