C’est probablement la clé du problème, et elle est venue hier du chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad lui-même. Revenant à la charge pour demander l’interdiction du film The Post, de Steven Spielberg, dans le respect d’une consigne du Bureau de boycottage d’Israël, le parlementaire a déclaré : « Plus on enregistre de victoires sur l’ennemi, plus le niveau de la normalisation doit baisser ; mais au Liban, comme d’habitude, c’est l’inverse qui se produit ; toutes les fois que des victoires sont enregistrées, c’est le sentiment de défaite qui prévaut chez certains. »
Tenus au cours d’une conférence de presse à l’ordre de la presse, les propos de M. Raad ont conclu une série d’interventions sur le même thème émanant d’un certain nombre d’associations et d’organisations hostiles à toute normalisation avec Israël, qu’elle soit politique ou culturelle. Outre le député du Hezbollah, ont pris notamment la parole le président du Conseil national de l’audiovisuel (CNA), Abdel Hadi Mahfouz, ainsi que l’ancien député Zaher el-Khatib.
On rappelle que la projection du film a été, dans un premier temps, interdite, avant que cette interdiction ne soit cassée par le ministre de l’Intérieur.
« Ce n’est pas le contenu du film qui est en cause, mais le fait que son réalisateur a clairement pris parti pour Israël durant la guerre de 2006 (contre le Liban), et accompagné son appui d’un don d’un million de dollars », a précisé de nouveau, au cours de la conférence de presse, le chef du bloc parlementaire du Hezbollah. Cet argument avait déjà été utilisé par le secrétaire général du Hezbollah.
M. Raad a souligné, en substance, que c’est un sentiment de dignité nationale qui devrait nous interdire la projection du film au Liban. Fort opportunément, cependant, M. Raad a expliqué pourquoi il n’en est pas ainsi. Sa remarque préliminaire est, en effet, pertinente : ce qui est considéré comme « victoire » pour le Hezbollah est vécu comme « une défaite » par d’autres communautés.
Ce faisant, le parlementaire ne faisait que relever la cassure qui marque la vie politique au Liban, et la réticence, voire la résistance passive ou active, que toutes les communautés opposent à toute velléité d’hégémonie du Hezbollah, qu’elle soit politique ou culturelle, tant qu’il n’a pas remis ses armes à l’État.
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Méfiance
Du reste, ce qui s’est dit durant la conférence de presse confirme, sinon justifie, cette méfiance quasi instinctive développée au fil des années par les Libanais à l’égard du parti de Hassan Nasrallah.
C’est ainsi que le président du CNA, malgré un exposé tout à fait bienvenu et évident sur la nécessité de faire barrage à toute « normalisation » tant que le Liban est en état de guerre avec Israël, a rappelé – inopportunément – que le siège du Bureau de boycottage d’Israël se trouve à Damas, et que, pour le moment, seuls la Syrie et le Liban, sur les 21 pays de la Ligue arabe, respectent ses décisions, en sus de l’Iran, qui ne fait pas partie de la Ligue arabe. Or, il s’agit là de situations de fait qui, comme chacun le sait, divisent profondément le pays. Sans compter qu’au Liban, comme dans tous les pays arabes, le boycottage d’Israël a enregistré un net recul, selon M. Mahfouz, après les accords de Camp David et d’Oslo, et les paix séparées conclues par l’Égypte et la Jordanie. « Culture de la capitulation », a tranché M. Mahfouz.
En fin de compte, comme M. Mahfouz l’a bien constaté, c’est la décision du président Trump de transférer le siège de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem qui a enflammé les esprits et réveillé, avec leur indignation, la volonté de certains Libanais de lutter contre toute « normalisation » culturelle avec « l’ennemi ». Mais, telle que l’on cherche à l’appliquer, il paraît évident que cette consigne ne servira qu’à diviser le pays davantage. C’est par la force de conviction, plutôt que par la force, que les Libanais sont invités à se mesurer.
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12 h 38, le 24 janvier 2018