C’est sous haute surveillance sécuritaire que le film The Post du célèbre réalisateur américain Steven Spielberg est actuellement projeté dans les salles de cinéma au Liban. Si le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, avait finalement autorisé la projection du long-métrage après de premières velléités officielles de l’interdire en réponse à une campagne menée par des associations favorables au boycott d’Israël, la polémique est loin de s’éteindre après l’anathème lancé contre M. Spielberg et son œuvre par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, vendredi dernier. Évoquant The Post, Hassan Nasrallah a rejeté la décision du ministère de l’Intérieur, rappelant que M. Spielberg figure sur la liste noire du Bureau central de boycottage de la Ligue arabe, pour avoir donné un million de dollars à Israël durant la guerre de juillet 2006 entre l’État hébreu et le Hezbollah au Liban. « Que personne ne nous accuse de vouloir nous en prendre à l’art ou de fermer les cinémas. Mais certains, sous prétexte d’encourager l’art ou le cinéma, œuvrent à la normalisation avec Israël », avait lancé le leader de la formation chiite dans son discours.
Il n’en a pas fallu beaucoup plus pour qu’une campagne, intitulée « #Il ne sera pas diffusé au Liban », soit lancée sur les réseaux sociaux pour mobiliser contre le film et sa diffusion, en prélude à des manifestations et des sit-in devant les salles de cinéma qui projettent le film pour l’interdire de facto. Un premier sit-in est ainsi prévu demain mardi à 11h devant le syndicat des journalistes dans ce but. « Il faut détruire les salles de cinéma qui diffusent un tel film et ceux qui défendent sa projection sont des collaborateurs et des traîtres qui ne valent pas un sou », écrit ainsi le journaliste Ali Hijazi, proche du Hezbollah, sur son compte Twitter, en joignant à son texte le hashtag de la campagne.
Interrogé par L’Orient-Le Jour, Mourad Ayache, membre du mouvement « Les camps (de réfugiés) boycottent », qui œuvre en coordination avec la campagne internationale « Boycott, désinvestissement et sanctions » (BDS), affirme que son mouvement se veut avant tout « populaire ». « Nous ne cherchons pas à interdire parce que cela relève de la compétence des autorités. Nous cherchons plutôt à persuader les gens de boycotter, à travers des campagnes de sensibilisation », affirme-t-il. « Cela n’empêche pas que nous souhaitons que l’État prenne une position vis-à-vis des artistes qui soutiennent Israël financièrement », ajoute-t-il. En ce qui concerne ce film en particulier, M. Ayache estime qu’étant donné que Steven Spielberg a soutenu financièrement Israël dans sa guerre contre le Liban, les autorités libanaises feraient mieux d’interdire d’elles-mêmes la diffusion du film.
Pour l’éditeur et chercheur Lokman Slim, opposant à la ligne politique du Hezbollah, « l’évocation de cette polémique par M. Nasrallah lors de son dernier discours s’inscrit dans le cadre d’une tentative de la part du Hezbollah d’élargir son mandat et son pouvoir, afin d’établir la distinction entre ce qui est licite et ce qui est illicite, le “halal” d’un côté, le “haram” de l’autre, non plus seulement dans le domaine religieux et politique, mais aussi culturel ». « Il s’agit d’une extension du contrôle du Hezbollah en tant qu’entité », insiste-t-il. Et M. Slim de préciser : « Comme le Hezbollah ne se bat pas principalement contre Israël, s’élever contre ce film est l’occasion pour lui de rappeler sa raison d’être, sa légitimité. »
Pour l’opposant chiite, la diffusion du film de M. Spielberg est dans l’intérêt du Hezbollah. « Ainsi, ils peuvent organiser davantage de manifestations pour montrer que le parti et son public font partie de ce débat », explique-t-il, avant de conclure : « Il ne faut surtout pas se contenter du débat politique suscité par cette affaire. Il convient également de s’attarder sur les messages véhiculés par le film tels que la liberté d’expression, qui ne correspondent pas aux valeurs du parti chiite. »
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15 h 31, le 22 janvier 2018