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Culture - Exposition

Ziad Antar, fifty shades of black

À la crypte de l'église Saint-Joseph, l'exposition « Dark Matter »* donne à voir une œuvre qui titille les rouages de la photographie en se demandant, cette fois, s'il est possible de représenter une non-image...

« Dark Matter » de Ziad Antar à la crypte de l’église Saint-Joseph.

Le tableau de chasse de l'œuvre de Ziad Antar est rutilant. S'y côtoient, pour ne citer que ceux-ci, Centre Pompidou, Biennale de Venise, Fondation Vuitton, Tate Modern, galeries Almine Rech et Selma Feriani. S'y croisent, entre autres, Paris, Séoul, Beyrouth, New York, São Paulo, Berlin, Taipei et Sharjah comme autant de berceaux où fleurissent ses expérimentations secondées par la photographie et la vidéo. « Ce ne sont pas les médiums qui m'intéressent autant que le résultat. Ils sont des outils qui contribuent à mon expérimentation », dit-il d'une voix réjouie où affleure tout de même une anxiété qui surligne une différenciation vis-à-vis de ses confrères exilés sur leurs étoiles hautaines. On aurait été surpris qu'il en soit autrement, à la vue de ses yeux à la curiosité intacte qu'irisent des points d'interrogation, prêts à harponner une idée perdue en chemin. L'artiste concède : « Figurez-vous que je pense déjà à mon prochain projet. C'est ainsi, je ne peux pas rester en place. Une idée mène naturellement à une autre. C'est
presque une urgence. »

 

De l'anti-image
Mais aujourd'hui, Ziad Antar lève le voile sur le projet Dark Matter qui prolonge ses déambulations au cœur des territoires de la photographie entamées il y a 20 ans de cela. « Je m'interroge sans cesse sur les rouages de la photo, depuis Expired, le travail d'anti-archives où je tentais de faire naître une image basée sur des pellicules périmées. Ensuite After Images, une démarche d'antidocumentation où ma caméra se dépouillait de sa lentille. Ici, sur Dark Matter, le concept s'ancre carrément sur de l'anti-image », développe-t-il. Déjà, choisir un nom pareil – matière noire en anglais –, qui évoque les masses invisibles à l'homme car n'émettant ni énergie ni lumière, titille forcément la curiosité. D'autant qu'à cette appellation saugrenue est venu se greffer un lieu hors du commun, la crypte de l'église Saint-Joseph, qui accueille cette exposition organisée par la Beirut Art Residency et dont l'intéressé raconte la genèse : « À la vue de ces chiffres, 1,3 trillion de photos prises par an, soit 7 milliards de photos prises par jour, on réalise que la démocratisation de la photographie a tourné en une sorte d'adoption de ce médium par la planète entière. » Et de poursuivre : « Pour la plupart des selfies, toutes ces photos qui disent "moi" portent une lourde charge subjective, un point de vue narcissique, rattrapé par la politique, les médias, jusqu'à même devenir un acte de violence. Face à cela, je me suis demandé : est-il désormais possible de représenter une non-image, qui ne dise pas "moi", qui ne montre rien ? »

 

Un projet-expérience
En dépit des foules de pistes auxquelles cette question rhétorique lâche la bride, Ziad Antar choisit illico sa ligne d'attaque et creuse son champ d'action avec la minutie d'un chercheur car, concède-t-il, « n'étant pas académique dans mes démarches, l'essence de ce projet n'est pas dans sa finalité. Il est la recherche, un moment d'expérience, une manière de me poser des questions au lieu d'y répondre ». L'artiste se met ainsi à rassembler des photos noires, sortes d'images a priori muettes puisqu'elles ne documentent pas un moment, qu'il extirpe de son portable ou commissionne à ses amis. « Je ne savais vraiment pas où allait me mener cette interrogation. La première image noire, je l'ai prise à Saïda un soir, et l'ai envoyée à un groupe d'amis en leur disant : voici Saida by night ! » dit-il. Dans l'optique de déterrer ce que cette matière noire provoquée ou spontanée aurait éventuellement dilué, pour voir l'invisible, Antar embarque ces anti-images dans sa pratique de quasi-laborantin.

 

Une éclosion de toiles
« Je me suis mis à en modifier les graphes de couleur, de saturation, de lumière. » Jusqu'à presque être désintégrées, ces photographies prennent des chemins tortueux en produisant de fascinantes toiles abstraites, basculant clairement vers la peinture, et qui sont exposées dans le cadre de Dark Matter. Le méthodisme cède sa place à un lyrisme inespéré. Ziad Antar estime que son rôle se termine là, il se retire, laissant s'exprimer ces mi-toiles, mi-photos au creux desquelles surgissent des ombres taciturnes mouchetées d'une pluie de pigments colorés. Par-delà ces visions plus ou moins embuées, ivres d'avoir été si longtemps imperceptibles, ces formes permettent au visiteur de se les approprier à sa manière, voire de les réinventer, leur octroyer une seconde vie, imaginer ce qu'elles auraient été si la photo avait été prise conventionnellement. Cette notion de réinterprétation fait écho à l'installation vidéo Night of Love où les sonorités de Leilet Hob, titre fédérateur d'Oum Kalsoum, se retrouvent secouées et recréées par une multitude de musiciens chamarrés. « Ce morceau, gravé dans notre mémoire auditive collective, prend ici une dimension si universelle qu'on dirait qu'il raconte l'histoire des populations », ajoute l'artiste. Et de conclure, pour faire le lien avec le reste ce son projet : « Similairement, chaque photo noire représente 7 milliards de photos prises quotidiennement... »

 

*Crypte de l'église Saint-Joseph
Dark Matter, de Ziad Antar, par la Beirut Art Residency
jusqu'au 28 octobre 2017.

 

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