Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a révélé jeudi qu'il est récemment allé en personne à Damas et a rencontré le président syrien Bachar el-Assad pour lui demander d'accepter l'accord qui a permis l'évacuation des jihadistes du groupe Etat islamique en échange d'informations sur les militaires libanais qu'ils détenaient depuis 2014 et qui ont finalement été tués.
"Le transfert des jihadistes du Liban vers la Syrie était embarrassant pour Damas. Mais nous leur avons demandé de l'accepter, sachant qu'il s'agit d'une question humanitaire", a expliqué le leader chiite.
"Je me suis rendu personnellement à Damas et j'ai rencontré le président Assad pour lui demander l'évacuation des jihadistes en échange d'informations sur le sort des militaires libanais otages. Je lui ai dit que si la bataille des jurds (hauteurs) de Qaa et Ras Baalbeck se termine sans avoir d'informations concernant le sort des militaires, cela serait problématique. Le président syrien m'a fait savoir que l'évacuation des jihadistes serait embarrassante pour lui, mais qu'il était prêt à l'accepter dans l'intérêt du Liban. C'est pour cela que nous remercions le président Assad et le peuple syrien pour leur contribution à cette libération".
Le chef du Hezbollah s'adressait à des milliers de partisans rassemblés à Baalbeck, dans la Békaa, lors d'un discours télévisé retransmis en direct à l'occasion de la "deuxième libération" du Liban au terme de l'évacuation des derniers jihadistes de l'EI qui étaient encore présents sur le territoire libanais.
La "deuxième libération" fait allusion au retrait en l'an 2000 des troupes israéliennes du Liban-Sud sous l'impulsion du Hezbollah. Ce retrait est considéré comme la "première libération".
Des partisans du Hezbollah rassemblés à Baalbeck, dans la Békaa, à l'occasion de la "deuxième libération" du Liban. REUTERS/Hassan Abdallah
Implanté des deux côtés de la frontière libano-syrienne, les combattants groupe jihadiste ont été exfiltrés de la région frontalière à l'issue d'une semaine d'offensives menées au Liban par l'armée libanaise et en Syrie par le Hezbollah et l'armée syrienne. Dans le cadre de cet accord scellé par le parti chiite, les quelque centaines des combattants de l'EI présents dans "la région du Qalamoun (ouest de la Syrie) et dans ses environs au Liban devaient être transférés dans la province de Deir ez-Zor" toujours tenue par l'EI, à la frontière avec l'Irak. En échange, le groupe jihadiste a révélé des informations concernant les dépouilles mortelles des militaires libanais qu'il avait enlevés à Ersal (Békaa) en août 2014. Les jihadistes ont également remis au Hezbollah en Syrie le corps d'un membre iranien des Gardiens de la Révolution.
Quant au jurd voisin d'Ersal, il avait été le théâtre de combats fin juillet entre le Hezbollah et le Front Fateh al-Cham (ancien Front al-Nosra), qui s'étaient soldés au terme d'une semaine de combats par une défaite des islamistes et un échange de prisonniers.
L'accord entre le parti chiite et l'EI a été vivement critiqué par la coalition antijihadiste sous commandement américain, Bagdad et même au Liban. Stoppé par des frappes aériennes de la coalition mercredi, le convoi transportant les jihadistes et leurs familles a dû rebrousser chemin jeudi et revenir vers des zones contrôlées par les forces syriennes. "Selon le général Stephen Townsend, la coalition n'avait pas attaqué le convoi mais frappé "tout combattant ou véhicule qui tentait de s'approcher du convoi".
Au Liban, les conditions de la transaction ont suscité une grande indignation dans les milieux politiques, mais aussi au sein d'une large partie de l'opinion publique qui, à travers les réseaux sociaux, a dénoncé le fait que les jihadistes aient pu bénéficier d'impunité après avoir exécuté des soldats libanais.
Hassan Nasrallah a déploré "les divisions des Libanais" à ce sujet.
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"Envahir deux villages dans la Békaa"
Le chef du parti chiite a ensuite avancé une série d'arguments pour justifier la nécessité de la bataille. "Il était temps, en cet été 2017, de se débarrasser des groupes armés dans le jurd, a-t-il insisté. Les jihadistes projetaient d’envahir deux villages dans la Békaa et de prendre ses habitants en otage pour négocier la libération de détenus jihadistes dans les prisons libanaises. Nous avons les preuves de cela dans un enregistrement vidéo sur lequel nous avons mis la main. Il est donc clair que la menace avait augmenté depuis le printemps dernier. Tout le monde était au courant de cela, et nous avions prévenu les autorités libanaises."
Et de poursuivre : "Nous n’avions aucune objection à ce que ce soit l’Etat qui libère le jurd d'Ersal. L’armée libanaise était prête, mais celle-ci a finalement hésité, en raison de considérations d’ordre politique. C’est pour cela que nous avons lancé la bataille, et nous avons libéré le jurd d'Ersal en l’espace de quelques jours. Mais au lieu de célébrer la victoire, les Libanais ont préféré polémiquer, en s’interrogeant s’il s’agit vraiment d’une victoire."
Le leader chiite a assuré avoir demandé aux autorités libanaises que ce soit l'armée qui scelle la phase finale de la libération.
"Le lundi 28 août 2017, tous les objectifs ont été remplis : le territoire libanais a été libéré et sécurisé, l’émirat daechien a échoué, et les groupes terroristes ont été expulsés", s'est félicité le chef du Hezbollah. "Sur 764km2 de territoire libanais, 624km2 ont d’abord été libérés, avant que les 140km2 restants ne le soient aussi. La décision politique souveraine est caractéristique du mandat du président Michel Aoun. C’est un homme courageux et indépendant, qui ne suit aucun pays et qui ne se soumet pas à la pression", a-t-il martelé.
(Lire aussi : Michel Aoun annonce "la victoire du Liban contre le terrorisme")
"Les Etats-Unis ne voulaient pas que Daech soit expulsé"
Le leader chiite s'en est ensuite violemment pris aux Etats-Unis. "Lorsque la libération du jurd d'Ersal a eu lieu en juillet, les responsables américains ont exprimé leur colère aux autorités libanaises, leur faisant savoir qu’il ne fallait pas que ce soit le Hezbollah qui libère ce territoire. Par la suite, les autorités US ont fait pression sur le Liban pour le dissuader de lancer l’opération militaire pour libérer le reste du territoire. Les Libanais ont le droit de savoir. Les Etats-Unis ne voulaient pas que Daech soit expulsé de vos terrains. Lorsqu’ils n’ont pas réussi à convaincre les autorités libanaises, ils ont demandé à ce que l’opération soit retardée d’un an. Que ce serait-il passé dans ce cas ? Et ils menacent de couper l’aide militaire à l’armée libanaise. Si l’Etat libanais avait accepté de retarder l’opération, il n’y aurait plus rien de cet Etat aujourd’hui."
Le chef du Hezbollah s'est dans ce contexte dit en faveur d'un renforcement des capacités de l'armée libanaise. "Soutenir l’armée ne porte pas atteinte au triptyque d’or (Armée- peuple-Résistance) mais au contraire, il le renforce. Il n’est pas vrai que nous voulons l’affaiblissement de l’armée." Il a dans ce cadre une nouvelle fois assuré que "les frontières du pays relèvent de l’armée libanaise. Cela est indiscutable, et nous n’avions jamais prétendu que cette question relève de nous".
Une partisane chrétienne du chef du Hezbollah brandit le portrait de ce dernier lors du rassemblement à Baalbeck. AFP / STRINGER
"Ne soyons pas à la traîne"
Sur le plan diplomatique, Hassan Nasrallah a une nouvelle fois appelé le Liban à coopérer avec la Syrie, alors que cette question divise la classe politique.
"Nous ne voulons imposer à personne la coopération avec les autorités syriennes. Et nous voulons que le gouvernement libanais se maintienne en place. La France, le Royaume-Uni, et même certains Etats du Golfe ont ouvert des canaux (diplomatiques) avec Damas. Je vous dis donc, calmement : Ne soyons pas à la traîne, et asseyons-nous à la même table que la Syrie, loin des ingérences des ambassades occidentales et européennes."
Hassan Nasrallah s'est en outre félicité du vote au Conseil de sécurité de l'Onu, jeudi, qui a permis de renouveler d'un an le mandat de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) sur fond de divisions américano-européennes. Il a estimé que les Etats-Unis et Israël, qui réclamaient un renforcement du mandat des Casques bleus contre le Hezbollah, ont échoué. Quelques modifications de langage ont été insérées dans le texte final, mais le mandat de la force multinationale reste inchangé.
Hassan Nasrallah a conclu en mettant en garde contre ce qu'il estime être des pressions internationales sur le Hezbollah. "Le Liban victorieux fera probablement l’objet de pressions. La Résistance elle-même est sous pression. On vous dira que c’est le Hezbollah qui pose problème, et que ce problème doit être réglé, évidemment dans l’intérêt d’Israël, car le parti chiite ne pose aucun danger pour le Liban. Mais c’est l’administration du président américain Donald Trump qui constitue un danger actuellement", a-t-il insisté.
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21 h 37, le 01 septembre 2017