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Moyen Orient et Monde - Reportage

« Je suis un homme d’Église, je n’ai pas peur de la mort »

L'évêque syriaque-orthodoxe de Mar Matti, le plus vieux monastère du monde, et de la plaine de Ninive, met en garde contre une « deuxième Turquie » en Irak.

 

Les constructions de Mar Matti datent de diverses époques. Courtesy of Susanne Brahms

Perché sur une montagne à 37 kilomètres au nord de Mossoul, le monastère de Mar Matti (Saint-Matthieu), dont les premières constructions remontent à l'an 363, est le plus vieux du monde. Dans son histoire, il a survécu à maintes attaques et batailles. La dernière en date est celle qui a conduit les jihadistes de l'État islamique hors de la plaine de Ninive.

Mgr Thimotheos Moussa Shamani, évêque syriaque-orthodoxe de Mar Matti et de la plaine de Ninive, sourit à ses visiteurs malgré toutes les difficultés auxquelles il fait face depuis son ordination en 2006. Son monastère, donnant sur toute la plaine de Ninive, est gardé par des yézidis qui portent l'uniforme des peshmergas. « J'ai dit à mes paroissiens que j'ai besoin de quelqu'un qui protège l'entrée du monastère. Ils m'ont répondu : et qui nous protégera, nous ? Ce sont donc des miliciens yézidis qui ont rempli la tâche », confie l'évêque.

Mgr Shamani et six moines ont eu pour voisins, durant deux ans et demi, les miliciens de l'État islamique, qui ont occupé la plaine de Ninive de juillet 2014 à octobre 2016, et qui se sont arrêtés à cinq kilomètres du vieux monastère. « Par temps clair, nous pouvions voir les positions des jihadistes de l'EI dans la plaine. Une fois, ils ont même tenté de s'emparer du monastère. C'était une journée brumeuse.

Les peshmergas ont pu les arrêter », raconte Mgr Shamani, assurant qu'il n'a jamais eu peur. « Si. Peut-être un soir, quand les bombardements alliés ne se sont pas arrêtés de la nuit. Je sentais le monastère trembler. Je suis un homme d'Église, je n'ai pas peur de la mort, surtout si elle vient comme un témoignage de foi. J'avais peur uniquement quand des personnes venaient nous rendre visite du Kurdistan et manifestaient elles-mêmes leur peur pour nous, alors je me mettais à réfléchir au danger de rester là », confie-t-il, un brin d'humour dans la voix. Depuis l'arrivée de Daech dans la plaine de Ninive et jusqu'à présent, il refuse les novices, même si plusieurs jeunes gens ont déposé des demandes auprès du couvent. Tant que la situation est instable, il ne veut pas mettre les personnes de sa communauté en danger.

 

(Pour mémoire : « Revoir Qaraqosh dans cet état était encore plus dur que la quitter »)

 

Un exode commencé en 2003
Entre les diverses églises de Ninive, notamment à Bartollah et Baachika, la paroisse de Mgr Shamani comptait 3 500 familles. Aujourd'hui, plus personne ne vit dans la plaine de Ninive et le prélat se voit obligé de rendre visite aux membres de sa paroisse qui se sont réfugiés à Dohuk et à Erbil, dans le Kurdistan irakien.

« L'exode des chrétiens d'Irak n'a pas commencé avec la montée en puissance de l'EI, mais en 2003, avec la chute de (l'ancien président) Saddam Hussein. Les groupes fondamentalistes ont alors commencé à perpétrer des attentats contre les églises, contre les bus transportant des élèves chrétiens des villages de la plaine de Ninive vers l'université de Mossoul. Il y a eu des enlèvements contre rançon et des menaces. Les filles et les femmes habitant Mossoul ont été obligées de se couvrir la tête. Les chrétiens se sont donc mis à partir. Et puis, durant l'été 2014, Daech a envahi Mossoul et la plaine de Ninive. L'EI n'a pas donné aux chrétiens le choix de payer la dîme comme le veut la charia, mais c'était : soit vous partez, soit vous faites votre profession de foi en l'islam, soit vous êtes morts...

En 2003, Mossoul et la plaine de Ninive comptaient un million et demi de chrétiens, aujourd'hui, ils ne sont plus que 300 000 », déplore Mgr Shamani, qui se souvient des nombreuses menaces qu'il avait reçues concernant sa propre personne ou sa paroisse. « Au début, nous payions de l'argent pour que les fondamentalistes épargnent des curés ou un bus transportant des étudiants... Puis nous n'avions plus les moyens de le faire. Donc enlèvements et attaques contre les bus et les églises ont recommencé », explique-t-il.

 

(Lire aussi : « Ma maison a été utilisée pour le viol de filles yézidies »)

 

Des garanties internationales
Avec l'arrivée de l'EI, c'est toute la plaine qui s'est vidée de ses habitants. Le monastère Mar Matti a accueilli des dizaines de familles de déplacés chrétiens. Aujourd'hui, il n'en reste plus qu'une seule vivant avec les moines. Les autres sont parties vers Ankawa, une banlieue chrétienne d'Erbil, ou ailleurs. Un tiers des chrétiens ayant quitté Mossoul et la plaine de Ninive en 2014 s'est réinstallé en Europe, au Canada, aux États-Unis et en Australie.

À la question de savoir s'il encourage ses paroissiens à revenir à Ninive qui a été libérée de l'EI l'automne dernier, Mgr Shamani déclare : « Les chrétiens ont besoin de garanties internationales pour rentrer chez eux. Sans sécurité, ils ne peuvent pas refaire leur vie. Il y a quelques années, nous nous sommes rendus auprès du président américain de l'époque, Barack Obama, pour discuter de ce dossier... En vain. Si mes paroissiens veulent quitter l'Irak, je leur dirai que Dieu soit avec vous. S'ils veulent rester, je leur dirai aussi que Dieu soit avec vous. Si la sécurité des chrétiens d'Irak n'est pas assurée pour leur retour, nous serons inévitablement devant une nouvelle Turquie. Et cela sera très triste de voir tous ces villages à jamais abandonnés ou peuplés par d'autres habitants. »

En 1915, les chrétiens de Turquie, syriaques, assyriens, arméniens et grecs de Constantinople, ont été massacrés. Ces massacres qui ont duré de longs mois et provoqué l'exode des populations de la Turquie, notamment vers la Syrie et le Liban, sont connus communément sous le terme de « génocide arménien », alors qu'ils sont appelés « Seifo » (l'année de l'épée) par les syriaques.

Aujourd'hui en Turquie, les villes et villages où les chrétiens avaient vécu depuis l'évangélisation d'Édesse (actuelle Ourfa) au Ier siècle et jusqu'aux massacres de 1915 sont habités par d'autres communautés et ethnies. Quelques chrétiens, notamment des syriaques-orthodoxes, y vivent encore. Seuls les plus démunis ou les plus vieux de la communauté, qui n'ont pas les moyens de partir, ainsi que les moines et les religieuses, qui tentent de préserver d'anciens monastères presque aussi vieux que le christianisme, demeurent.

 

 

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