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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Pourquoi les candidats à l’Élysée devraient réviser leurs fiches sur le dossier syrien

Le grand débat entre cinq postulants, retransmis en direct lundi soir sur TF1 et LCI, a laissé entrevoir quelques idées reçues sur le conflit qui ébranle la région.

Les candidats à l’Élysée sur le plateau de TF1, lundi soir. Patrick Kovarik/AFP

Imprécisions, contre-vérités, erreurs grossières... Les trente dernières minutes du grand débat de TF1, réservées à « la place de la France dans le monde », auraient dû permettre aux cinq principaux candidats à l'élection présidentielle française invités lundi d'éclaircir leur vision en termes de politique étrangère. Il est peu dire qu'ils sont passés à côté de l'exercice.

Après plus de deux heures et demie de débat, la plupart des candidats ont manqué à l'appel sur certains dossiers, tels que les positions de la France vis-à-vis des présidents Donald Trump et Vladimir Poutine, mais également sur les enjeux de la lutte contre l'État islamique, tous deux rapidement expédiés faute de temps. Sur ce dernier point, chacun a tenté de proposer sa solution miracle en répondant à la question des journalistes : comment éviter de prochains attentats sur le territoire français? Fermer les mosquées radicales, réviser les liens avec les monarchies du Golfe, s'allier avec les Russes et les Iraniens, intervenir au Moyen-Orient ou, au contraire, ne plus le faire... Chacun des protagonistes prétendant à la fonction suprême de l'État a proposé sa/ses solution(s) pour en finir avec le terrorisme islamique. Propositions qui ont été, au passage, agrémentées de quelques aberrations sur le conflit syrien propagées par François Fillon, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.

Sur la question de la lutte contre le terrorisme islamique, François Fillon a entretenu le flou sur les acteurs combattant réellement l'EI. « Nous avons laissé à la Russie et à l'Iran toute liberté pour régler la question syrienne, alors que nous aurions dû, avec la Russie, avec les partenaires du Proche-Orient, ensemble conduire cette lutte, qui nous aurait permis d'avoir notre mot à dire sur ce qui se passe aujourd'hui en Syrie et sur la suite de cette guerre contre le totalitarisme islamique », a estimé M. Fillon. La Russie alliée du régime de Bachar el-Assad est intervenue militairement en Syrie en septembre 2015 afin de lutter contre « les terroristes », et s'est peu à peu imposée comme maîtresse du jeu en vue d'une résolution diplomatique du conflit. Pour ce faire, Moscou a largement privilégié le combat contre les forces rebelles, notamment à Alep, à la lutte contre l'EI. L'ancien Premier ministre fait mine d'oublier que le gros du combat contre l'EI est réalisé par la coalition internationale dirigée par les États-Unis, à laquelle la France participe, qui combat depuis près de trois ans les jihadistes de l'EI et de Fateh al-Cham (ex-Nosra, branche syrienne d'el-Qaëda) en Syrie comme en Irak. François Fillon semble prôner une alliance avec Téhéran et Moscou sans en définir les termes et sans préciser clairement ce que Paris aurait à y gagner. Tout en gardant une certaine ambiguïté sur la normalisation des rapports avec le régime de Bachar el-Assad, fortement sous-entendue par cette alliance avec ses deux parrains.

 

(Lire aussi : Le débat des candidats s’enflamme sur la laïcité)

 

« Bon boulot d'al-Nosra »
La candidate de l'extrême droite n'a pas été en reste. Au moment d'établir la liste des organisations internationales qui sont « les ennemis de la France », elle a fait tiquer l'assemblée : « Boko Haram, el-Qaëda, État islamique, al-Nosra... Ah oui, al-Nosra, c'est vrai qu'on en disait le plus grand bien au sein du gouvernement de François Hollande il y a encore quelque mois. » Le candidat socialiste Benoît Hamon s'est empressé de relever l'énormité avancée par Marine Le Pen, alors que François Fillon a enfoncé le clou en décochant immédiatement un « non, c'est vrai ». En réalité, la présidente du Front national fait référence, de manière déformée, aux propos de Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, rapportés dans un article du Monde le 13 décembre 2012, intitulé « Pression militaire et succès diplomatique pour les rebelles syriens ». Des propos qui auraient été tenus lors d'une réunion du groupe des Amis de la Syrie, un jour plus tôt, rassemblant plus d'une centaine de pays occidentaux et arabes, des organisations internationales et des représentants de l'opposition syrienne à Marrakech. Ce jour-là, le groupe reconnaît la Coalition nationale de l'opposition syrienne comme « seule représentante » des Syriens, à la suite de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis. Or, Washington venait tout juste d'inscrire al-Nosra sur la liste des groupes terroristes. Ce à quoi des soutiens de l'opposition auraient « vivement réagi ». Laurent Fabius rapporte le fait que « tous les Arabes étaient vent debout » contre la position américaine, « parce que, sur le terrain, ils (les combattants d'al-Nosra) font un bon boulot ». Plusieurs déclarations de l'ancien ministre dans les médias confirment que ce n'était pas lui qui estimait « le bon boulot d'al-Nosra », mais bien les parrains sunnites de la rébellion.

 

(Lire aussi : Le Pen rodée, Macron inégal, Fillon solide... après le débat, les experts comptent les points)

 

 

Une histoire de gaz et de pétrole
Mais la palme des idées reçues sur le dossier syrien recyclées par les candidats français revient à Jean-Luc Mélenchon. Pour le candidat d'extrême gauche, la guerre en Syrie n'a strictement « rien à voir avec la religion », mais bel et bien avec la course au pétrole et au gaz. « (...) L'islamisme politique est l'arme de puissances qui se battent régionalement pour l'accès à des matières premières, du pétrole et le gaz. Dans tout ça, la religion est un prétexte », a-t-il affirmé hier. Une fois encore, M. Mélenchon place la théorie, complotiste, de l'enjeu des hydrocarbures au Moyen-Orient comme seule grille d'analyse multidimensionnelle du conflit syrien.

Dans un article de janvier 2017, intitulé « Syrie : pour en finir avec cette histoire de gazoducs », l'historien militaire Cédric Mas dynamite tous les gonds de cette théorie tenace, épinglant au passage Jean-Luc Mélenchon. L'historien rappelle le contexte qui se cristallise autour de la rivalité de deux projets de gazoducs, l'un porté par le Qatar et l'autre par l'Iran. En 2009, le Qatar propose en effet à Bachar el-Assad la construction d'un gazoduc reliant leurs deux pays en passant par l'Arabie saoudite et la Jordanie afin d'acheminer le gaz du gisement North Dome, situé dans le golfe Arabo-Persique, vers l'Europe. Mais Damas refuse le projet de l'émir qatari et signe en 2011 avec Téhéran un accord pour la construction d'un gazoduc reliant l'Iran à la Syrie en passant par l'Irak. Selon un rapport de l'AFP, la justification du refus d'Assad était « de protéger les intérêts de (son) allié russe, premier fournisseur de gaz de l'Europe ». Le projet avec le Qatar « ayant été refusé par Damas qui aurait privilégié l'autre, déclenchant en réaction une vengeance turco-américano-qatarie qui va aboutir aux manifestations de 2011, qui ne seraient donc ni spontanées ni d'origine interne », ironise Cédric Mas. Mais même si la question énergétique figure bel et bien parmi les enjeux du conflit syrien, elle n'en est pas le plus important et elle ne saurait en expliquer l'origine. La confrontation politique entre les deux candidats à l'hégémonie régionale, l'Iran et l'Arabie saoudite, est, à titre d'exemple, plus déterminante que la question énergétique pour comprendre le conflit syrien. Autrement dit, en n'y voyant qu'une affaire de gaz et de pétrole, M. Mélenchon nie complètement les aspirations du peuple syrien à la démocratie.

Au sortir du débat animé, Benoît Hamon, candidat du PS, est le seul à avoir présenté, de manière claire, une vision cohérente de la diplomatie française. Même s'il n'a pas fait d'impair sur la Syrie, Emmanuel Macron, le favori de la campagne, n'a quant à lui pas réussi à sortir d'une certaine ambiguïté.

 

 

 

 

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commentaires (7)

Pour information a M. Hamon et Maquereau les dernieres nouvelles : «La coalition américaine a effectué un raid dans la matinée [du 22 mars] ciblant l’école Badia Dahhilia, au sud de la ville de Mansoura, à 30 kilomètres à l’ouest de Raqqa», Le raid a fait de nombreuses victimes dont la majorité seraient des femmes et des enfants.

aliosha

16 h 38, le 22 mars 2017

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Commentaires (7)

  • Pour information a M. Hamon et Maquereau les dernieres nouvelles : «La coalition américaine a effectué un raid dans la matinée [du 22 mars] ciblant l’école Badia Dahhilia, au sud de la ville de Mansoura, à 30 kilomètres à l’ouest de Raqqa», Le raid a fait de nombreuses victimes dont la majorité seraient des femmes et des enfants.

    aliosha

    16 h 38, le 22 mars 2017

  • EN TOUS LES CAS CE QUI ÉTAIT DE MISE EN 2011 NE L'EST PLUS EN 2017. ENTRE TEMPS FABIUS ET CIE LES SARKO JUPPE ETC..hollandouille etc....NE Seront PLUS LÀ. Les nouveaux candidats seront obligés de tenir compte du terrain comme Trump peut-être , est en train de le faire. Seul constat le héros de son peuple Bashar lui est inamovible. Ça vous va mieux comme ça pour me.publier ?

    FRIK-A-FRAK

    13 h 19, le 22 mars 2017

  • Les Français, effectivement, n'ont pas compris grand chose (ou n'ont pas voulu comprendre) à la guerre civile syrienne, résultat de plusieurs causes, dont d'origine "idéologiquement-religieuses" 1.- la bannière de la rébellion est tendue, depuis des décennies par les "frères Musulmans" qui ont toujours rêvé de faire de la Syrie "un État Islamique", bien avant les Al Quaida et ses filiales...ils ont toujours considéré les Assadistan comme des usurpateurs...malgré certaine favorisation de courants "islamiques religieux" 2.- A la faveur de la qualification de l'Etat Syrien d'Etat voyou ( regardez en direction d'Israel)... Et des exactions commises au Liban...let de la mode du Printemps Arabe, l'´occodent , dont la France, a vu d'un œil favorable cette Rébellion ...et juge utile de lui apporter ou faire apporter une aide...vite rackettée par des groupes djihâdistes 3.-Et bien sur les conflits d'intérêt des pays pétroliers 4.- cerise sur le gâteau, le conflit séculaire chiites/sunnites ...tout ça difficile a digérer intellectuellement par la France Hexagonale

    Chammas frederico

    12 h 15, le 22 mars 2017

  • L’ancien premier ministre fait mine d’oublier ….Ne repeter pas les mensonges “ mainstream “ que le gros de combat contre l’EI et Cie. est realisé par la coalition internationale dirigée par les État Unis et frères : expliquez les livraisons d’armes et du gaz toxique a ces barbares… et cela continu. Jean-Luc Mélenchon la guerre en Syrie n'a strictement « rien à voir avec la religion » mais bel et bien avec la course au pétrole et au gaz à laquelle la France participe ( je ne suis pas sympathisant de M. Melenchon ) Oui l'enjeu des hydrocarbures au Moyen-Orient est la seule grille d'analyse du conflit syrien. Allez Orient le Jour faite un effort INDEPENDENT de nous demontrer que la Russie , Les Etats Unis , Israel, La France , la Grande Bretagne etc. font la guerre en Irak et la Syrie pour des raisons uniquement humanitaires

    aliosha

    12 h 14, le 22 mars 2017

  • Nos intérêts ne seront défendus ni par Washington, ni par Moscou ni par Paris. Il est temps d'établir de véritables Nations au Moyen-Orient. Des nations fortes qui ont des intérêts propres qu’ils imposent. Faisant partie des premier dans la région à avoir connu les affres des guerres confessionnels, Les citoyens et citoyennes Libanais ont la responsabilité aujourd'hui de dépasser le « Liban message » : géographie ou coexiste (tant bien que mal) les confessions religieuses. Nous avons la responsabilité de construire la nation Libanaise laïque qui protège la liberté de culte mais ne classifie pas et ne différencie pas entre un citoyen et un autre sur la base de croyances. L’effondrement du système confessionnel au Liban, incapable de prendre la plus banale des décisions, et la phase de transition par laquelle nous passons, nous donne une opportunité exceptionnelle pour entamer le processus de construction de cette nation à laquelle de plus en plus de Libanais et Libanaises aspire

    Mounir Doumani

    11 h 12, le 22 mars 2017

  • TOUS DES IGNARES EN CE QUI CONCERNE CE QUI SE PASSE AU M.O.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 22, le 22 mars 2017

  • Si les hommes politiques de "bords" différents en France, au Liban ou ailleurs, pouvaient s'entendre en public comme ils ont l'air de s'entendre sur la photo, le monde ne s'en porterait que mieux!

    NAUFAL SORAYA

    07 h 09, le 22 mars 2017

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