Alors que plusieurs annonces ont été faites ces six derniers mois par le gouvernement saoudien concernant le règlement de la crise financière dans laquelle est englué depuis plus d'un an le géant du BTP Saudi Oger, aucune avancée concrète n'a été remarquée sur le terrain. Le règlement des arriérés de plus de 14 mois de salaire des employés – dont plusieurs milliers de Libanais – devait être traité de manière « rapide » en août.
En outre, le paiement des dettes du gouvernement envers le secteur privé aurait dû être finalisé avant la fin 2016. Les problèmes financiers de l'entreprise détenue par la famille du Premier ministre Saad Hariri proviennent en majorité de la cure d'austérité mise en place par le royaume – son principal client – depuis la chute des cours du pétrole.
Dernière plainte officielle en date : certains des 1 300 employés de l'imprimerie d'édition du Coran qui avaient été licenciés par Saudi Oger en septembre ont récemment demandé l'intervention du ministère du Travail saoudien afin que l'entreprise leur verse les indemnités et plusieurs mois d'arriérés de salaire, écrivait mardi Saudi Gazette. Interrogé par le quotidien, le directeur du bureau du ministère à Médine a assuré que ces employés n'avaient « pas besoin de s'inquiéter » et que toutes les plaintes des anciens employés de l'imprimerie avaient été transférées au comité de résolution des conflits du travail au sein du ministère.
Annonces non suivies d'effet
Mais jusqu'à aujourd'hui, ce type d'annonces rassurantes du gouvernement saoudien n'a pas été suivi d'effet. En août, le ministère du Travail saoudien avait promis que Riyad allait payer directement les salaires des employés de Saudi Oger de « manière décisive et rapide », suite à des manifestations importantes qui s'étaient déroulées dans les camps d'ouvriers pour dénoncer des conditions de vie déplorables. D'après un employé de l'entreprise, la prise en charge des salaires s'arrêterait au 31 juillet 2016.
À l'époque, les médias locaux rapportaient qu'un comité spécial avait été mis en place au sein du gouvernement pour verser les arriérés de salaire et indemnités aux employés en les prélevant directement sur les sommes dues par l'État à l'entreprise. Selon des sources citées début septembre dernier par Reuters, cette somme atteignait à l'époque 2,5 milliards de riyals (environ 600 millions de dollars), tandis qu'elle était alors également endettée à hauteur de 13 milliards de riyals (3,5 milliards de dollars) envers ses banques. De son côté, Riyad lui devait environ 30 milliards de riyals (8 milliards de dollars) pour des travaux déjà exécutés.
Mais plus de cinq mois plus tard, aucun des employés interrogé par L'Orient-Le Jour n'a été dédommagé par ce comité. Selon l'un d'eux, seuls les salaires des employés de maintenance de certains sites sont versés, et dans ce cas c'est le client, comme par exemple le roi lui-même, qui les paie directement.
Quelques mois après cette première annonce, le gouvernement saoudien s'est engagé, début novembre, à régler toutes ses dettes envers le secteur privé avant la fin de l'année 2016. À cet effet, 100 milliards de riyals (26,7 milliards de dollars) ont été débloqués. Le ministre saoudien des Finances, Mohammad al-Jadaan, a ensuite confié à Reuters le 22 décembre que cette somme avait bien été versée sur les deux mois précédents, et que le gouvernement envisageait de régler 30 milliards de plus (8 milliards de dollars) « bientôt ». « Nous nous engageons à payer tout le monde dans les 60 jours », précisait-il, ajoutant que les problèmes de retards de paiement ne devaient pas survenir à nouveau en 2017. En parallèle, l'avocat saoudien Majed Garoub avait indiqué à L'Orient-Le Jour qu'environ 40 % du total de la dette du gouvernement envers le secteur privé avait été versé. Officiellement, le montant total n'est toujours pas connu, mais le ministre des Finances avait déclaré en novembre qu'il atteignait « un nombre important de milliards » de dollars.
Plaintes en justice
Malgré cette succession de déclarations officielles, Saudi Oger n'a jamais indiqué avoir reçu de versement de la part du gouvernement, et aucun employé interrogé ne pense que ce transfert a eu lieu. L'entreprise ne répond pas à son standard téléphonique à Riyad. La diplomatie libanaise semble frileuse à l'idée d'intervenir dans ce dossier, alors que d'autres pays dont les ressortissants travaillent pour Saudi Oger, tels la France et l'Inde, ont intercédé en faveur de leurs ressortissants, ce qui a permis aux salaires des 200 employés français d'être versés en septembre. Même le voyage du président Michel Aoun en Arabie saoudite la semaine dernière n'a pas contribué à aider la situation des salariés libanais, qui représentent un nombre important des cadres supérieurs de l'entreprise fondée en 1978 par l'ancien Premier ministre Rafic Hariri. Plusieurs d'entre eux ont profité de la réception organisée par l'ambassade du Liban à Riyad pour présenter leurs doléances auprès de la délégation libanaise, sans résultat, d'après un officiel libanais qui était présent.
En derniers recours, les salariés déposent des plaintes en justice. Ils étaient déjà 31 000 à avoir effectué la démarche en août dernier, d'après le quotidien saoudien al-Watan. Une mesure encouragée par le ministère du Travail, explique à L'Orient-Le Jour un employé qui s'apprête à franchir le pas. « Le ministère du Travail nous a informés que si nous ne portons pas plainte, il ne peut pas nous garantir nos droits. Nous n'avons même pas besoin d'aller en personne à la cour de justice. Le ministère du Travail a ouvert un bureau au sein des ressources humaines de Saudi Oger qui transfère notre plainte. »
Mais plusieurs employés ont indiqué à L'Orient-Le Jour éprouver des difficultés à récupérer leur argent, même lorsque la justice a tranché en leur faveur. C'est le cas de Jamal Alzoubi : fin novembre, une cour de justice d'Abha, dans le sud du pays, a statué que Saudi Oger lui doit 765 000 riyals (environ 204 000 dollars). Cet employé jordanien ne perçoit plus de salaire depuis le 1er novembre 2015. « Mais je n'ai encore reçu un centime de cette somme. Je ne reçois aucune réponse à mes questions », soupire Jamal Alzoubi, qui a travaillé 6 ans au sein de l'entreprise. « J'ai des offres d'emploi au Kazakhstan et au Qatar, mais je suis sûr que si je quitte l'Arabie, je renonce à toute chance de percevoir mon argent un jour. »
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