Cela prendra peut-être des semaines, peut-être des mois, mais c'est désormais une certitude : Mossoul finira par tomber. Après avoir été préparé pendant plusieurs mois et reporté à plusieurs reprises, le début de la bataille pour la reprise de la deuxième ville irakienne a été annoncé dans la nuit de dimanche à lundi par le Premier ministre irakien Haider el-Abadi. « Le temps de la victoire est venu et les opérations pour libérer Mossoul ont commencé », a déclaré le chef du gouvernement irakien dans une allocution télévisée.
Compte tenu du déséquilibre des forces en présence, le Premier ministre irakien a de quoi être confiant : un front hétéroclite de plusieurs dizaines de milliers de combattants, soutenu par une coalition internationale de 60 pays, devrait réussir à venir à bout de quelques milliers de jihadistes – entre 3 000 et 4 500 dans la ville, selon des estimations américaines. Avec l'avancée des peshmergas depuis l'est – qui se sont emparés hier de plusieurs villages –, celle de l'armée et la police irakienne depuis le sud et celle de l'armée et des tribus sunnites depuis le nord, les combattants de l'État islamique vont être acculés. Même s'ils parviennent à retarder la progression des assaillants, notamment en multipliant les pièges explosifs et en prenant en otage une partie de la population, ils finiront par être chassés de la ville, un peu plus de deux ans après s'en être emparés.
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À quel prix ?
Pendant ce laps de temps, Mossoul aura été la capitale économique de l'organisation jihadiste, mais aussi l'un des éléments essentiels de sa stratégie, axée sur l'administration des territoires au nom de la « défense » des sunnites. Elle a aussi une portée symbolique, puisque c'est dans la grande mosquée de Mossoul qu'Abou Bakr el-Baghdadi, le chef de l'organisation jihadiste, avait annoncé l'instauration du califat. La perte de Mossoul signifierait donc la fin – du moins à court terme – du projet territorial de l'EI en Irak. Ce serait sa plus grande défaite depuis sa renaissance en 2014. Mais à quel prix ? Que restera-t-il de Mossoul et de ses 1,5 million d'habitants une fois les forces jihadistes chassées de la ville ? La question du « jour d'après » est la principale problématique de cette grande offensive. C'est l'unité de l'Irak et, quelque part, l'équilibre des forces dans le nouveau Moyen-Orient qui sont en jeu.
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Désastre humanitaire
Le grand récit de la reconquête des territoires – énoncé par les autorités irakiennes et les forces de la coalition – tente de camoufler certains aspects de la réalité. Si l'organisation jihadiste a effectivement perdu une grande partie de ses territoires en Irak, il n'empêche que l'opération de reconquête s'est faite au prix de la destruction, au moins partielle, de plusieurs villes (Tikrit, Sinjar, Ramadi), laissant des populations à l'abandon. Dans le cas de Mossoul, les ONG craignent un désastre humanitaire et l'Onu dit redouter un déplacement massif de la population d'ici à une semaine. Des camps d'urgence ont été mis en place, mais ils ne sont pas préparés à accueillir plusieurs centaines de milliers de personnes.
L'opération de reconquête a aussi, paradoxalement, contribué à l'affaiblissement de l'État central. Erbil en a profité pour couper les ponts avec Bagdad et réclame désormais son indépendance. Dans le reste du territoire, ce sont les milices chiites – dont certaines sont directement liées à l'Iran – qui ont pris de l'importance et viennent contester l'autorité de l'État. Ce morcellement du pouvoir irakien se retrouve dans la répartition des forces engagées dans la bataille de Mossoul. M. Abadi a précisé que seules l'armée et la police entreraient dans Mossoul, excluant ainsi les peshmergas et les milices chiites, accusées d'avoir commis des exactions contre les populations sunnites.
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Renaître de ses cendres
La question de la participation des forces turques, alliées aux peshmergas, à l'offensive donne une dimension régionale à cette bataille. M. Abadi a exigé à plusieurs reprises le retrait des troupes turques d'Irak et rejeté leur participation à la reprise de la ville. Mais le président turc Recep Tayyip Erdogan a affirmé hier qu'il était « hors de question » que la Turquie reste en dehors de l'opération. La Turquie cherche ainsi à contrer l'influence de l'Iran, via les milices chiites, et à prévenir la montée en puissance du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans la région. Tous les acteurs qui participent de près ou de loin à l'offensive vont vouloir une part du gâteau, ce qui pourrait considérablement modifier la mosaïque confessionnelle de la plaine de Ninive. Et provoquer les guerres de l'après-Mossoul, entre peshmergas et milices chiites, entre Bagdad et Erbil, entre les milices chiites et Bagdad...
En attendant, entre la corruption généralisée, le confessionnalisme à outrance, la perpétuation de la marginalisation des sunnites et l'affaiblissement à tous les niveaux de l'État, tous les éléments qui ont permis la renaissance de l'EI en Irak en 2014 sont plus que jamais d'actualité. Et pourraient permettre sur le long terme à l'EI de renaître de ses cendres.
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“La conscience est un trait d’union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l’avenir.” de Henri Bergson Extrait de L’ Évolution créatrice
FAKHOURI
12 h 35, le 18 octobre 2016