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A Londres, un laboratoire reconstitue en 3D des zones de conflit

Avant la contribution de Forensic Architecture, aucun groupe de surveillance ni journaliste n'avait pu "accéder" aux tristement célèbres geôles du régime de Bachar el-Assad.

Stefan Laxness , architecte chercheur (à gauche) et le professeur Eyal Weizman, directeur de Forensic Architecture (à droite) devant leurs écrans. AFP / JUSTIN TALLIS

Privés de nourriture, torturés, violés... Derrière la macabre reconstitution en 3D des conditions de vie dans la prison syrienne de Saydnaya accompagnant un récent rapport d'Amnesty International se cache un laboratoire de recherche, Forensic Architecture.

Sur le campus de l'université Goldsmiths, à Londres, règne un calme typiquement estival. Peu d'étudiants circulent, mais au détour d'un couloir, on peut croiser le professeur Eyal Weizman, directeur de Forensic Architecture (FA).

Cet architecte et activiste israélien de 46 ans y a établi en 2011 son laboratoire interdisciplinaire, spécialisé dans la production d'analyses et de preuves destinées à appuyer les grandes affaires des droits de l'Homme devant les tribunaux internationaux. Au cœur de cette démarche, l'architecture, outil indispensable selon lui pour reconstituer le déroulement de tout type de conflit.

 

(Lire aussi : Dans les prisons du régime syrien, « un déni total d'humanité »)

 

Des 'témoins auditifs' pour recréer une prison
L'un des projets les plus fascinants de Forensic Architecture est certainement la création du modèle de la prison militaire syrienne de Saydnaya, située à 25 kilomètres de Damas. Avant la contribution de FA, aucun groupe de surveillance ni journaliste n'avait pu "accéder" aux tristement célèbres geôles du régime de Bachar el-Assad.

Le laboratoire s'est appuyé sur les témoignages d'anciens prisonniers ayant partagé leur expérience avec Amnesty International, mais aussi sur des images satellites, des images fournies par le moteur de recherche Google et d'autres types de sources disponibles sur internet.

"Nous étions en territoire inconnu au début", explique Stefan Laxness, l'un des architectes chercheurs. "On a relevé les détails dont se rappelaient les ex-détenus rencontrés, créé des fragments qu'on a mis en commun avec les ressources trouvées en ligne et les premiers témoignages obtenus pour finalement arriver à une reproduction complète de la prison".

Les chercheurs ont aussi rencontré à Istanbul d'anciens prisonniers, auditionnés en tant que "témoins auditifs". Car si les détenus ne voient rien, ils retrouvent des souvenirs parfois enfouis qu'ils associent avec des moments de la journée, les habitudes des tortionnaires, des pièces de rétention, parfois même une simple fuite d'eau.
"Ces gens qui ont vécu ces situations traumatisantes ne sont pas forcément familiers avec ce genre d'environnement en 3D mais ils s'y intéressent très vite et ils veulent l'explorer, parler de leur expérience et contribuer à ce modèle", explique Stefan Laxness.

 

(Lire ce témoignage : « J'ai vu des femmes qui ont été violées, torturées, battues de manière si violente qu'elles ne pouvaient plus tenir debout »)

 

A travers l'architecture, un combat humanitaire
Parmi les autres études réalisées par l'agence figurent une reconstitution des bombardements du 1er au 4 août 2014 à Gaza, le génocide des Ixils au Guatemala (1978-1984) ou encore le naufrage à l'été 2011 en Méditerranée d'une embarcation transportant 63 migrants venus de Libye.

Le laboratoire Forensic Architecture est pour le moment le seul à proposer ce type de service innovant, fournissant ses analyses spatiales à des groupes de défense des droits de l'Homme comme Amnesty International et Human Rights Watch, mais aussi à des tribunaux ou aux Nations unies. Avec des techniques qui restituent de façon inégalée les drames humains de la planète.

 

(Lire ce témoignage : « Les gardes adoraient nous distribuer de la nourriture et nous interdire d'y toucher »)

 

"L'architecture apporte un regard crucial et nécessaire à la compréhension des conflits contemporains", souligne Eyal Weizman, ce qui est selon lui dû au déplacement des conflits dans les espaces urbains.
"La ville est un environnement médiatique dense. Il y a beaucoup de journalistes et de plus en plus de citoyens filment ce qui se passe autour d'eux. Et pour comprendre et dresser un tableau à partir de toutes ces sources, vous avez besoin de construire des modèles architecturaux et placer toutes ces vidéos dans l'espace, afin de reconstituer le récit des événements", explique-t-il.

Le chercheur est également actif au sein de l'ONG B'Tselem, qui documente les exactions israéliennes dans les territoires palestiniens. Il contient mal l'enthousiasme qu'il a pour ses travaux, qui mélangent disciplines classiques (cartographie, écologie, droit...) et nouvelles technologies comme la 3D. A cela s'ajoute l'utilisation des témoignages de civils, à la fois victimes et témoins de premier plan.

 

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