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À La Une - Syrie

"La liberté ou la mort" : un mutin de la prison de Hama livre son témoignage à L'Orient-Le Jour

Mazen* raconte ses conditions de détention et revient sur la mutinerie entamée par les prisonniers lundi dernier.

Des images prises lors de la mutinerie dans la prison de Hama et envoyées à L'Orient-Le Jour par un détenu qui a livré son témoignage sous le nom de Mazen.

Depuis lundi dernier, la prison de Hama, dans le centre de la Syrie, est le théâtre d'une mutinerie. Les quelque 800 détenus, qui retiennent dix gardiens en otages, protestent contre le transfèrement de prisonniers vers la prison militaire de Saydnaya, près de Damas, où de nombreuses exécutions de détenus ont été recensées, d'après l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH).

Parmi les mutins, Mazen*, un Syrien de 32 ans, incarcéré à Hama depuis quatre ans.

Interrogé par téléphone par L'Orient-Le Jour, Mazen, au bout de l'espoir, se montre ferme et résolu. « Nous n'avons plus d'avenir, on ne cesse de nous mentir. Ailleurs, des détenus ont été libérés : à Damas, à Homs, à Lattaquié, à Tartous, mais jamais à Hama. On nous dit que nous sommes des fauteurs de troubles ».

Ce n'est pas la première fois que Hama est le théâtre d'une mutinerie. Par le passé, les prisonniers avaient refusé d'être présentés devant un tribunal. Finalement, la mascarade de justice avait eu lieu au sein de la prison. « C'est pourquoi cette fois, la mutinerie ne s'arrêtera qu'avec notre libération ou notre mort ».

Depuis le début de la révolte en Syrie, Mazen est passé à plusieurs reprises par la case prison. Aux premiers jours de la révolte, en 2011, ce photographe et jeune marié participe aux manifestations contre le régime. Rapidement, il est arrêté. « Après six mois de détention, j’ai déboursé une grosse somme d’argent et j’ai été libéré. Mon épouse venait d’accoucher », raconte-t-il, joint par téléphone, à L'Orient-Le Jour.

 
« J’ai vu la mort dans ses yeux »
Alors que le soulèvement populaire, brutalement réprimé par le régime, dégénère en conflit armé, Mazen décide de prendre ses distances. « Je me suis enfermé à la maison parce que mon seul souci était de travailler et de garantir l'avenir de mon enfant », confie le jeune homme. Mais un jour d’octobre 2011, alors qu’il se rend à Alep, il est arrêté à un barrage par une milice relevant du régime. « Ils voulaient me confisquer ma voiture, j’ai refusé. Ils m’ont alors traité de traître et d’ancien prisonnier politique. ». Après un vif échange, Mazen est emmené au siège des services de renseignements à Hama. « Ils m’ont interrogé et battu pendant six mois. Ils m’ont humilié, insulté, traité de terroriste. On voulait faire de moi un meurtrier alors que je suis incapable de tuer un insecte ou de frapper un être humain ».

Pendant longtemps, Mazen s’accroche à la vérité : s'il reconnaît avoir manifesté contre le régime, il refuse d’admettre, comme on le lui demande, qu’il a pris les armes. « Plutôt mourir que de dire que j'étais un terroriste. Mais un jour, alors que j’étais interrogé par un sergent, j’ai vu la mort dans ses yeux : il a clairement menacé de me tuer si je ne disais pas avoir pris les armes ».

Ne supportant plus les coups et les menaces, Mazen avoue tout ce qu'on lui demande d'avouer. « On m’a emmené chez le juge, je lui ai montré mon bras cassé et mon dos brûlé. Je lui ai assuré que je n’avais jamais tué qui que se soit, que j’étais passé aux aveux sous la torture. Mais le juge de Hama n’a aucun pouvoir ».

C’est alors que débutent de longues années d'incarcération. « A chaque fois que je devais passer devant un juge, on reportait le procès de trois mois. Après plusieurs reports, j’ai refusé de me rendre au tribunal où j’étais sans cesse humilié, insulté et roué de coups...»

 

(Pour mémoire : Les enquêteurs de l'Onu accusent Damas d'« exterminer » des détenus)

 

« Il faudra marcher sur nos cadavres »
Plus de 200 000 personnes ont été détenues dans les prisons du régime depuis 2011, selon l'OSDH qui s'appuie sur un vaste réseau d'informateurs à travers le pays. Plusieurs dizaines de milliers de prisonniers politiques seraient morts sous la torture, 14 000 cas ayant été répertoriés par l'ONG.

C'est pour éviter que les noms de détenus de Hama ne viennent grossir la liste des victimes, qu'a été lancée la mutinerie lundi dernier.

« Nous protestons contre le transfert de certains d’entre nous, dont deux ingénieurs, vers la prison militaire de Saadnaya, raconte Mazen. Ils vont être exécutés là-bas. Lorsque les policiers sont arrivés à 6h du matin lundi dernier pour les emmener, nous les avons protégés. Nous avons dit aux policiers : Il faudra marcher sur nos cadavres pour emmener ces détenus ».

Et Mazen de poursuivre : « La police militaire est alors intervenue et a demandé au directeur de la prison de livrer les prisonniers. Ce dernier assurant qu'il ne pouvait rien faire, ils ont alors essayé de les prendre par la force. Nous nous sommes alors munis de tout ce qui peut servir d'armes, des morceaux de fer ou de bois, et nous avons pris le contrôle de la prison. Nous avons également pris les gardiens en otage. Quand les négociations ont commencé, nous en avons profité pour avancer des revendications concernant notre libération et notre avenir. »

 

 

« Nous n’ouvrirons la prison que pour en sortir »
Selon Mazen, les autorités ont promis de libérer progressivement les prisonniers. « Nous leur avons répondu que nous ne leur faisons pas confiance. Près de 1 500 éléments armés ont alors encerclé la prison. Ils ont coupé l’eau et l'électricité avant de tirer des bombes lacrymogènes en nous insultant ».  

Les prisonniers ont alors demandé que la Croix-Rouge mène les négociations, mais les forces du régime ont refusé. « Vendredi, après la prière du matin, nous avons su que les forces de sécurité allaient lancer un assaut et occuper la prison par la force, poursuite le jeune Syrien. A partir de 9h, ils ont lancé des grenades lacrymogènes, tiré des balles en caoutchouc, puis des balles réelles. Il y a eu des cas d’asphyxie et plusieurs prisonniers ont été blessés, mais heureusement, aucun n'est mort ».

Samedi, on apprenait que l'assaut lancé par les forces de sécurité avait échoué.
Ces dernières ont néanmoins arrêté des proches de détenus qui s'étaient rassemblés autour du bâtiment, inquiets du sort des prisonniers.

L'affaire dépasse désormais les frontières syriennes. L'opposition a exhorté la communauté internationale à « assumer ses responsabilités et empêcher des représailles du régime à l'encontre des détenus ». Un grand nombre de détenus sont des prisonniers politiques, selon Paris qui a dit son inquiétude et appelé les alliés de Damas à faire pression «pour éviter un nouveau massacre en Syrie». L'Onu a également fait part de sa préoccupation.

Les négociations se sont poursuivies pendant le week-end. Mais Mazen et tous les prisonniers campent sur leur position : « Nous n’ouvrirons la porte de la prison que pour en sortir ».   

 

* Le nom de la personne interviewée a été changé à sa demande.

 

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