L'horreur en 73 pages. Selon le dernier rapport de l'ONG Amnesty International publié hier, « It breaks the human », le régime syrien a utilisé la torture à « grande échelle » (coups, électrocutions, viols, brûlures...) dans ses prisons et autres centres de détention depuis le début du soulèvement en mars 2011. En cinq ans, plus de 17 700 personnes seraient mortes en détention, affirme l'ONG, soit plus de 300 par mois, 10 par jour. Bien entendu, compte tenu du conflit qui fait rage, des disparitions forcées de milliers de personnes et des récits confus, ces chiffres restent approximatifs, souligne l'ONG, qui estime qu'ils sont en réalité bien plus élevés.
Ces données ne sont pas avancées au hasard par Amnesty International. Elles sont le fruit d'un long travail de collaboration avec le Human Rights Data Analysis Group (HRDAG), une ONG scientifique qui fournit des méthodes utilisées dans des enquêtes liées aux droits de l'homme, explique Claudia Scheufler, l'une des auteures du rapport, contactée par « L'Orient-Le Jour ». Le HRDAG a ainsi utilisé les données de quatre organisations syriennes, qui avaient établi une base de données avec les noms de personnes tuées en détention, ou soupçonnées de l'avoir été. Le HRDAG a ensuite comparé ces listes avec d'autres, pour retrouver les noms qui y réapparaissent et ainsi construire un dossier solide pour chaque personne nommée.
Figurent également dans le rapport les témoignages de 65 ex-détenus qui ont séjourné dans différentes prisons du régime, dont la tristement célèbre prison de Saydnaya. La majorité du travail de recherche a été effectué dans le sud de la Turquie où, sur les 65 personnes interrogées, une cinquantaine se trouvaient déjà, indique Mme Scheufler. De décembre 2015 à mai 2016, l'équipe d'Amnesty a recueilli les témoignages de ces ex-détenus, tandis que les autres personnes ont été contactées via Skype, téléphone, etc. Mais à part les personnes ayant survécu aux tortures du régime syrien, les chercheurs de l'ONG ont également interviewé des juges militaires et des médecins d'hôpitaux militaires qui ont fait défection, et consulté des spécialistes des droits de l'homme, des avocats, etc.
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Saydnaya en 3D
Parallèlement à la publication de son rapport, Amnesty International a également diffusé une vidéo d'une dizaine de minutes, et dans laquelle figure une reconstruction virtuelle en 3D de la prison de Saydnaya. Pour ce faire, raconte Mme Scheufler, des photos satellites de la prison, mais aussi des prises de vue en plongée ont été utilisées. « Nous les avons données à une équipe de Forensic Architecture, de l'Université de Goldsmith à Londres, en leur expliquant dans les grandes lignes ce que nous pensions être l'aspect de l'intérieur de la prison », raconte la chercheuse. Cinq personnes ayant été détenues là-bas ont également apporté leur contribution en fournissant des détails supplémentaires, se basant sur leurs souvenirs. Ils ont fait appel à leur mémoire en termes de bruits entendus, d'échos, de perceptions spatiales, pour évaluer les dimensions des pièces, bâtiments, etc. « Certains se souvenaient également, par exemple, du carrelage de leur cellule et du nombre de carreaux le composant. Nous nous sommes basés sur ces souvenirs pour reconstituer certaines pièces, après avoir comparé et recoupé ces informations avec celles d'autres détenus, outre les cinq personnes interrogées », souligne Mme Scheufler.
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À la question de savoir ce qui l'a le plus marquée au cours de son enquête, Claudia Scheufler est catégorique. « Les personnes mortes en détention ne le sont pas seulement à cause des tortures subies lors d'interrogatoires, mais également à cause des conditions de détention elles-mêmes. Les détenus n'ont par exemple pas accès à des soins médicaux, sont placés dans des cellules surpeuplées, souterraines, mal aérées, n'ont pas d'eau ou de nourriture convenable, etc. Il y a un déni total d'humanité et une humiliation intentionnelle des prisonniers de la part des responsables », dénonce l'activiste, qui appelle la communauté internationale à prendre conscience de la situation des détenus en Syrie, surtout à l'approche de la reprise imminente des pourparlers de paix. « Ce sera, j'espère, l'occasion pour tous les protagonistes du conflit, sans exception, d'attirer l'attention sur la détention arbitraire de nombreuses personnes », conclut Claudia Scheufler, sans grande conviction toutefois.
Pour mémoire
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17 h 04, le 19 août 2016