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Moyen Orient et Monde - témoignage

« Les gardes adoraient nous distribuer de la nourriture et nous interdire d’y toucher »

Une reconstitution, par Amnesty International, de la prison de Saydanaya. Amnesty International/Forensic Architecture

Shappal Ibrahim était encore en prison lorsque son nom apparaît sur une liste de l'ONG Amnesty International pour la première fois. L'ONG rédige à l'époque son rapport pour l'année 2011 sur les conditions de détention des prisonniers syriens et tente, tant bien que mal, d'établir une liste exhaustive des détenus. C'est par le biais de proches que l'ONG finit par entrer en contact avec le jeune Syrien, emprisonné depuis le 22 septembre 2011.

Quelques mois après le début du soulèvement en Syrie, Shappal commence à participer à des manifestations pacifistes à Qamishli, dans le nord-est du pays, pour demander plus de droits pour les Kurdes. Très vite, il est arrêté et condamné à 15 ans de travaux forcés. Il est envoyé dans plusieurs centres de détention des services de renseignements de l'armée de l'air, de Qamishli à Deir ez-Zor, passant par l'aéroport militaire de Mazzé à Damas et le centre de détention de Bab Touma.

 

(Lire aussi : Dans les prisons du régime syrien, « un déni total d’humanité »)

 

Partout, il est battu, torturé. Mais le pire reste à venir, raconte Shappal à L'Orient-Le Jour. Au bout de quatre mois de transferts, il finit par atterrir à la prison de Saydnaya, où il passe l'essentiel de sa détention, c'est-à-dire un an et 5 mois. À Saydnaya, les méthodes de tortures sont variées, les punitions collectives monnaie courante. « J'ai été électrocuté, brûlé au briquet, battu à l'aide de câbles reliés entre eux et à l'aide d'une canne, j'ai subi le supplice du "doulab", ou pneu, dans lequel on est forcé de s'asseoir plié en deux et les mains dans le dos... », énumère Shappal. La liste de sévices est interminable. Mais le pire, pour lui, est lorsqu'un jour les gardes distribuent de la crème dépilatoire aux prisonniers pour qu'ils n'aient « plus un poil sur la tête et le corps, pour des raisons d'hygiène ». « Mais nos cheveux, nos barbes étant très longs, on réalise très vite que cette crème, distribuée en quantités minimes, ne va pas suffire. On avait jusqu'au matin pour nous épiler. Nous avons été contraints de nous arracher poils et cheveux à la main, pour ne pas être puni par les gardes. »

Shappal voit aussi des détenus mourir. À Saydnaya, il fait très froid l'hiver, et les prisonniers n'ont pas le droit de porter de vêtements la plupart du temps. À trois heures du matin, ils sont systématiquement réveillés par les gardes qui les forcent à se dévêtir, jusqu'au soir suivant. Ainsi, un jeune homme qui partage sa cellule et qui a développé entre autres des problèmes de reins à cause des mauvaises conditions de détention, finit par mourir au milieu des autres prisonniers.

 

(Lire aussi : « J'ai vu des femmes qui ont été violées, torturées, battues de manière si violente qu'elles ne pouvaient plus tenir debout »)

 

Un autre moyen de torture est évidemment celui de la nourriture. « Ce que les gardes adoraient faire, c'est distribuer de la nourriture qu'ils avaient piétinée – du pain rassis, 4 œufs pour 23 prisonniers, 2 pommes de terre... – mais nous interdire d'y toucher jusqu'à ce qu'ils nous le permettent », raconte l'activiste, selon qui les punitions collectives étaient hebdomadaires. « Ils m'ont cassé des dents, la main droite, mon genou gauche s'est déboîté. J'ai développé des problèmes de dos, de vertèbres... Bref, j'ai aujourd'hui des séquelles que je traite encore », raconte Shappal, qui réside aujourd'hui en Allemagne.
Il est libéré lorsque des organisations internationales et l'Union européenne parviennent à établir une liste d'activistes connus et détenus ; ces derniers finissent par être amnistiés par le ministre de la Défense, duquel dépend entre autres la prison de Saydnaya.

En Allemagne depuis presque trois ans, Shappal veut aujourd'hui pouvoir continuer à lutter pour les droits des Kurdes dans le monde. S'il ne peut – et ne veut – pas oublier ce qu'il a vécu, il espère que son récit et d'autres témoignages contribueront à mettre la lumière sur ce qui se passe dans les geôles syriennes. « Mais je n'ai pas grand espoir, surtout en la communauté internationale, qui laisse faire depuis des années, malgré tous les rapports d'ONG, reconnues ou pas, publiés à ce jour. »

 

 

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