Rechercher
Rechercher

Économie - Compte-rendu

Salamé justifie son « ingénierie financière »

Le gouverneur de la BDL est revenu hier sur les effets d'une opération réalisée il y a quelques mois avec des banques, qui s'est notamment traduite par des milliards de dollars de profits pour ces dernières.

Selon le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, cette opération a notamment permis aux réserves en devises de la BDL d’atteindre « un record historique ». Chafic Karim/Reuters

Dans un communiqué publié hier, le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, s'est livré à un inhabituel exercice de justification de l'une de ses « innovations » financières effectuée dans le but d'« augmenter les actifs en devises étrangères au Liban, et de fournir la liquidité nécessaire au soutien aux bilans des banques et au financement des secteurs privé et public ».

Si le communiqué – au contenu pour le moins allusif – n'explicite ni la nature exacte ni la date de cette opération, cette explication serait surtout, selon une source bancaire ayant requis l'anonymat, une réponse indirecte à un article publié hier par le quotidien al-Akhbar faisant état d'un « cadeau de la BDL aux banques (de) 2 milliards de dollars de bénéfices immédiats ».

 

(Pour mémoire : Salamé toujours rassurant sur la stabilité de la livre)

 

Des milliards de profits
En cause ? Une opération d'échange de titres de dette effectuée en mai avec des banques libanaise. Cette opération avait déjà été relatée dans un rapport publié mi-août par la banque américaine Citibank et cité par le Lebanon this week de la Byblos Bank. Comme divulgué en mai dernier par le ministère des Finances, la BDL a réalisé avec ce dernier un échange de l'équivalent de 2 milliards de dollars de bons du Trésor qu'elle détenait en livres libanaises contre des eurobonds d'un montant équivalent. Elle a ensuite cédé ces 2 milliards de dollars d'eurobonds ainsi que des certificats de dépôts – d'un montant compris entre 1 et 3 milliards de dollars, selon Citibank – à plusieurs banques libanaises. Parallèlement, la BDL a racheté à ces dernières un montant équivalent (soit de 3 à 5 milliards de dollars) de bons du Trésor libellés en livres. Or, avance al-Akhbar, ces derniers ont été rachetés « à leurs prix d'émission, quelles que soient leurs dates de maturité (dans 15 ans pour certains), en versant en outre immédiatement (aux banques) la moitié de la valeur des bénéfices que les banques pouvaient en tirer sur les années à venir ». Résultat, les banques participantes (non citées) auraient ainsi réalisé par cette seule opération un profit compris entre 1 et 2 milliards de dollars selon Citibank, tandis qu'al-Akhbar fait état de 2 milliards de dollars et ajoute que la BDL en aurait tiré un bénéfice équivalent.

Sans s'expliquer sur ce point, M. Salamé assure de son côté que « ce plan a marché sans aucun coût, car la BDL n'a pas augmenté les taux d'intérêt et n'a infligé de contraintes à aucune partie avec l'adoption de cette ingénierie ». Dans son communiqué, il a d'abord explicité les raisons qui l'ont amené « à prendre les devants » avec cette ingénierie financière, mentionnant notamment la conjoncture régionale et internationale ayant entraîné « le recul des transferts vers le Liban » effectués par ses expatriés et « le ralentissement de la croissance des dépôts dans les banques libanaises ». Pour rappel, la Banque mondiale a estimé en avril que les remises des expatriés libanais avaient atteint 7,16 milliards de dollars en 2015, soit une baisse de 3,3 % par rapport à 2014 et de 11,4 % par rapport à 2013.

 

(Pour mémoire : Près des deux tiers de la croissance libanaise seraient dus aux actions de la BDL, selon Salamé)

 

Hausse des réserves en devises
Le gouverneur a ensuite détaillé les « résultats » obtenus à travers cette opération. D'abord, une augmentation des réserves en devises de la BDL qui ont ainsi « atteint un record historique ». Selon les chiffres de la BDL, ces avoirs en devises de la BDL totalisent 40,7 milliards de dollars fin août, en hausse de 4 milliards par rapport à la fin avril (soit le mois précédant les échanges de titres) et de 1,9 milliard par rapport à la fin août 2015. De quoi rassurer les observateurs internationaux, comme la Banque mondiale ou le FMI, qui s'étaient inquiétés des conséquences de la politique de soutien à la livre libanaise de la BDL sur le niveau de ces réserves.
Ensuite, l'amélioration du bilan des banques libanaises et leur préparation aux nouvelles règles de provisionnement des créances prévues par la norme internationale de traitement comptable des instruments financiers IFRS 9, qu'elles devront appliquer à partir de 2018. « Le conseil central de la BDL a décidé qu'une partie des gains que les banques ont dégagés de cette ingénierie sera consacrée à la mise en place de la norme IFRS 9 », a indiqué le gouverneur de la BDL, qui avais émis le 25 juin dernier une circulaire (n° 428) à cet effet.

M. Salamé a fait ensuite valoir que « la disponibilité de liquidité en livres libanaises » améliorée par cette ingénierie « a pour objectif l'augmentation des prêts au secteur privé, au moment où la croissance économique (...) oscille entre 1 et 2 % ». À cet égard, M. Salamé ajoute que la BDL étudie avec la commission de contrôle des banques et l'Association des banques du Liban des pistes de dispositifs permettant que les banques allouent une partie des gains non consacrés à la mise en place d'IFRS 9 au soutien à l'activité privée, notamment « via des prêts en livres libanaises ».

Autre « résultat » probant, selon M. Salamé, « une augmentation des dépôts dans le secteur bancaire, grâce aux transferts de l'étranger vers le Liban qui ont été réalisés (par les banques participantes et leurs filiales à l'étranger) pour participer à cette ingénierie ». À la fin juin, les dépôts dans le secteur bancaire ont augmenté de 4,1 % en glissement annuel, à 154,7 milliards de dollars ; tandis qu'à la fin avril (soit le mois précédant l'opération), leur rythme de croissance sur un an était de 3,7 %. S'agissant des dépôts des non-résidents, leur croissance sur un an est passée de 1,5 % fin avril à 1,6 % fin juin (à 32,2 milliards de dollars).

Enfin, selon M. Salamé, cette ingénierie aurait permis d'améliorer le coût d'endettement du Trésor libanais en entraînant une « baisse des taux d'intérêt sur la livre libanaise ». Elle aurait également indirectement conduit à une baisse de ceux des « eurobonds dans les marchés secondaires », dans la mesure où, affirme-t-il, « les fonds financiers internationaux recommandent à leurs clients d'investir dans les eurobonds » suite à cette opération.

Tout en concédant le caractère « inhabituel » des profits réalisés par les banques dans cette opération, une source proche du secteur bancaire estime pour sa part qu'elle s'apparente « à une forme d'assouplissement quantitatif (QE) à la libanaise... »


Pour mémoire

Salamé dénonce le coût de la paralysie institutionnelle pour l’économie

Pour Salamé, les efforts du Liban protègent sa réputation

Dans un communiqué publié hier, le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, s'est livré à un inhabituel exercice de justification de l'une de ses « innovations » financières effectuée dans le but d'« augmenter les actifs en devises étrangères au Liban, et de fournir la liquidité nécessaire au soutien aux bilans des banques et au financement des secteurs privé et...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut