
La Haute autorité bancaire a nommé un nouvel administrateur à la tête de la filiale libanaise d’al-Baraka Bank, groupe bancaire basé à Bahreïn mais qui compte également des actionnaires saoudiens dans son capital.
Ahmad Safa va remplacer Charbel Abdallah Moubarak, qui a présenté sa démission il y a quelques semaines, estimant ne plus être en mesure de diriger l’enseigne placée sous tutelle en novembre 2022 en même temps que deux autres établissements de petite taille, Federal Bank et Crédit National.
L’information a été confirmée à L’Orient-Le Jour par un avocat d’al-Baraka Bank au Liban souhaitant rester anonyme pour des raisons professionnelles. La situation de la banque, qui a cessé de décaisser des dollars pour les clients bénéficiant des mécanismes mis en place par la Banque du Liban (BDL) via les circulaires n° 158 ou n° 166 pour aménager – ou justifier selon le point de vue – les restrictions bancaires en place depuis fin 2019, était au centre d’une réunion ce mercredi entre le vice-gouverneur de la BDL, Wassim Manssouri et le président de l’association « Le cri des déposants », Ala' Khorchid. « L'association se réunira avec le nouveau directeur de la banque al-Baraka afin de régler tous les détails et de commencer à verser les circulaires aux déposants », a indiqué l’association dans un communiqué relayé par l’Agence nationale d’information (ANI, officielle).
Coincé entre les actionnaires et la BDL
Les trois enseignes, qui totalisaient 17 agences en tout avant 2022 sont les seuls groupes bancaires opérant au Liban à avoir été mis sous tutelle depuis le début de la crise qui a éclaté en 2019 et au cours de laquelle une majorité d’établissements, à court de liquidités en devises, ont commencé à empêcher leurs clients à disposer librement de leurs dépôts en dollars. Fin 2022, le réseau d’al-Baraka Bank ne comptait plus que trois agences, contre cinq avant la mise sous tutelle.
La banque fait partie des établissements qui avaient placé une importante partie de l’argent issus des dépôts à la Banque du Liban et que cette dernière n’avait plus suffisamment de liquidités pour rembourser. Certaines banques ont engagé à la BDL des portions trop importantes des dépôts qui leur avaient été confiés. Dans la pratique, pour une gestion prudente, le ratio généralement applicable est d'environ 25 %. Or, selon son bilan financier de 2018, al-Baraka Bank était au-delà de ce seuil, comme beaucoup d’autres établissements.
La direction du groupe bancaire bahreïni, qui opère dans plusieurs pays arabes, avait accueilli à l’époque avec véhémence la décision prise par la Haute autorité bancaire libanaise, jugeant la Banque du Liban « pleinement responsable » des déboires du secteur financier libanais et « de l’incapacité des banques à recommencer à fonctionner normalement ». « Ils n’ont tout simplement pas admis qu’une banque centrale puisse se permettre de ne pas rendre l’argent qui leur a été confié et ont arrêté d’injecter du capital », a expliqué l'avocat contacté.
« L’ancien administrateur, Charbel Abdallah Moubarak, s’est retrouvé coincé entre le refus des actionnaires d’augmenter le capital de la banque et le fait que la BDL ne l’a pas autorisé à revendre une partie des actifs immobiliers de la banque pour survenir à ses besoins. Il a fini par jeter l’éponge », conclut l’avocat contacté.
Du côté de la Haute autorité bancaire, l'explication avancée est plus nuancée. Selon une source bien au fait du dossier souhaitant elle-aussi rester anonyme, la BDL estime que le nouvel administrateur devra convaincre le groupe al-Baraka de participer au redressement de la filiale libanaise. Il y a eu un changement net de direction depuis l'été 2023 sur la façon dont la BDL veut aborder ce type de dossier, ce qui est de nature à rassurer les actionnaires étrangers. Et il y a de l'autre côté un intérêt certain pour investir dans le secteur financier au Liban à condition que ce soit dans des conditions saines, considère la source.
Fin juillet 2023, le premier vice-gouverneur de la BDL, Wassim Manssouri, a pris la tête de l'institution après le départ de son gouverneur depuis 1993, Riad Salamé, parti à la fin de son dernier mandat sans successeur désigné. La source au fait du dossier ajoute que la BDL reste ferme sur deux points : la nécessité de déférer devant la justice les enseignes et les particuliers qui ont enfreint la loi et les réglementations, et celle de préserver et restituer l’argent des déposants.
Sort des autres banques
L’avenir d'al-Baraka Bank au Liban dépend désormais des négociations à venir et du projet de restructuration bancaire dont les autorités repoussent l’adoption depuis au moins quatre ans. Mais si les actionnaires maintiennent leur décision de se désengager, les seules options sur la table seront la vente ou la liquidation.
S’agissant des deux autres enseignes mises sous tutelle : la Banque de Crédit national, majoritairement détenue par un trio d’actionnaires composé de Hicham Itani et Khaled et Walid Zeidan, a fermé au moins l'une de ses trois agences depuis sa mise sous tutelle. Nous n’avons pas été en mesure de savoir si son administrateur, l’ancien président de la Commission de contrôle des banques Samir Hammoud, avait pu mettre l'établissement sur la voie du redressement.
En revanche, une source haut placée au sein de la Federal Bank nous a assuré que cette troisième enseigne mise sous tutelle et qui avait été placée sous la responsabilité de l’ancien vice-gouverneur de la Banque du Liban Saad Andary avait commencé à assainir son bilan, à augmenter ses liquidités et avait maintenu son réseau de 9 agences. Une source au sein de la Haute autorité bancaire, sous couvert d'anonymat elle aussi, confirme que la Federal Bank est sur le bon chemin après qu'un certain nombre de mesures ont été prises. Elle ajoute que la Banque de Crédit national doit agir vite. « Il est vrai qu’elle a aussi adopté une feuille de route, cependant le délai accordé à cette banque expire bientôt », relève-t-elle, sans plus de précisions.
À la fin de l’été 2019, avant que le système financier libanais ne craque définitivement, la BDL avait entamé la liquidation d’une autre banque libanaise, la Jammal Trust Bank, visée fin août de la même année par des sanctions du Trésor américain qui l’avait accusée de faciliter « les activités bancaires du Hezbollah ».