« No comment. » C'est en ces termes catégoriques que la Sûreté générale a commenté hier son refus de délivrer un nouveau passeport à la fondatrice et directrice de l'Association libanaise des arts plastiques, « Ashkal Alwan », Christine Tohmé. C'est par ce même « no comment » que la SG, contactée par L'Orient-Le Jour, a refusé d'expliquer les raisons des mesures vexatoires prises à l'égard de la curatrice de la 13e Biennale de Sharjah pour l'année 2017, lauréate de plusieurs prix internationaux, parmi lesquels Prince Klaus Award et Audrey Irmas Award for Curatorial Excellence-Bard College.
Sauf que le bureau du ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, a contacté l'artiste hier, pour lui promettre que son passeport lui serait remis aujourd'hui, samedi. Et ce après publication, sur les réseaux sociaux, d'une déclaration de Mme Tohmé relatant les faits et dénonçant le caractère illégal et abusif de la « mesure administrative de soumission » (mouzakkarat Ikhdah), prise à son encontre. Cette mesure, qui n'existe dans aucun texte de loi mais qui est appliquée par les services sécuritaires, a été annulée sur décision du Conseil des ministres le 24 août 2014.
Nous ne pouvons vous dire pourquoi !
Dans les détails, Christine Tohmé s'est rendue mercredi dernier à la SG pour présenter une demande pour obtenir un nouveau passeport libanais. De retour, le lendemain, pour retirer son document de voyage, elle sort bredouille des bureaux de la SG. « On m'a d'abord dit qu'il y avait un problème. On m'a ensuite transférée aux relations publiques de l'institution, où on m'a informée que je faisais l'objet d'une mesure de soumission, explique-t-elle à L'OLJ. On m'a même demandé si j'étais avocate. » Le pourquoi du comment, l'artiste ne le saura pas. « Nous ne pouvons vous dire quel est le problème, mais comment y remédier », lui dit-on.
Incrédule, Mme Tohmé apprend alors que le problème est lié aux services de renseignements et qu'elle doit y présenter une plainte. Mais elle ne doit surtout pas évoquer la mesure de soumission, tout au plus un passeport « en cours de formalité ». C'est alors que l'activiste, connue aussi pour son long militantisme de 25 ans pour la défense des libertés individuelles, au service notamment des femmes victimes de violence familiale, décide de publier sa mésaventure sur Facebook. Un texte simple de quelques lignes aura suffi pour soulever un tollé et provoquer la réaction du ministre de l'Intérieur.
L'artiste avoue ne pas comprendre « ce genre de comportement arbitraire » de la part d'une institution étatique (la SG) qui « limite la liberté de circulation des citoyens ». « S'ils ont quelque chose à me reprocher, qu'ils portent donc plainte contre moi », lance-t-elle, demandant « quel crime elle a commis » et dénonçant le caractère abusif de cette mesure appliquée « à ceux qui déplaisent ». Car celle qui se présente comme une « citoyenne ordinaire travaillant dans le domaine public et au sein de la société civile », « une citoyenne qui collabore régulièrement avec les ministères de l'Intérieur et de la Culture », est persuadée que la mesure est liée à son activité professionnelle ou militante. Une « humiliation » pour cette femme contrainte d'annuler ses engagements extérieurs liés à la préparation de la Biennale de Sharjah.
Et Mme Tohmé de demander pourquoi ne lui a-t-on rien dit, dimanche dernier, à son retour de voyage. « Je suis passée comme une lettre à la poste. Ils ont attendu que je présente une demande de passeport pour retenir mon ancien document de voyage », dénonce-t-elle encore.
Le cran de l'artiste, le tollé suscité par l'affaire et l'intervention du ministre de l'Intérieur en personne convaincront sans aucun doute la SG de remettre son passeport aujourd'hui, à Christine Tohmé. Mais qu'en est-il de la vingtaine d'anonymes, avocats, journalistes, artistes, également victimes de cette inadmissible et illégale mesure, parce que leurs propos, leurs actions ou leurs travaux ont le tort de ne pas plaire ?
Pour mémoire
Farah Shaer, lutteuse redoutable contre la censure !
Une ligne directe pour venir en aide aux internautes libanais confrontés à la censure
commentaires (4)
Très bel article pour une si belle cause qu'est la liberté et l égalité de tous, de faire passer l'information et montrer la négligence de l'état face aux droits bafoués de certains individus par les autorités qui abusent de leurs fonctions...savoir être solidaire pour aider les faibles et les demunis à récupérer leurs droits les plus élémentaires. Savoir lutter malgré tout pour instaurer enfin cet État de droit tant espéré pour une égalité réelle et un respect de tous.
Salibi Andree
19 h 16, le 24 janvier 2016