Dans l'attente de la séance parlementaire de jeudi prochain, les contacts entre les différents blocs parlementaires, notamment chrétiens, semblaient s'intensifier ces dernières heures, avec Samir Geagea qui s'est rendu à Bkerké samedi dernier, rapidement rejoint par Ibrahim Kanaan, afin de discuter avec le patriarche maronite Béchara Raï de l'attitude à adopter à l'approche de la séance, qui a pour objectif de pallier l'état de nécessité législative en votant certaines lois qu'il devient plus que nécessaire de promulguer, car il y va, selon les observateurs, de l'avenir financier du pays.
Parallèlement, les parlementaires chrétiens indépendants et ceux du 14 Mars ont prévu de se réunir ce matin à 11h pour prendre une décision concernant la séance parlementaire.
Dans ce cadre, le patriarche a une nouvelle fois souligné, dans son homélie d'hier, la nécessité de se conformer à la Constitution, notant que la priorité du Parlement devrait être l'élection d'un président de la République. Le prélat a en même temps mis en garde contre un péril imminent menaçant la stabilité financière et monétaire du Liban, appelant les forces politiques et le Parlement à prendre les mesures techniques qui permettraient de régler cette question. Une position qui laisse clairement transparaître la préoccupation du chef de l'Église maronite concernant la situation financière du pays, mais aussi son attachement, en priorité, au texte de la Constitution. Ce point de vue est partagé par ailleurs par le parti Kataëb depuis l'amorce du débat sur « l'état de nécessité législative », une notion aux contours flous qui ne figure d'ailleurs nulle part dans le texte de la Constitution. Et Samy Gemayel l'a encore une fois répété hier : « Pas de législation en l'absence de président de la République et le Parlement doit l'élire au lieu de violer la Constitution. »
(Lire aussi : Rencontre tripartite à Bkerké : Geagea s'attache à la loi électorale et le CPL au respect de la Constitution)
L'expert en droit constitutionnel et ancien député Salah Honein affirme à cet égard que cette théorie de l'état de nécessité législative a été « inventée de toutes pièces » pour servir les intérêts politiques du moment. Il s'est interrogé : « Comment est défini cet état de nécessité ? Qui le définit ? Chaque partie l'interprète en fonction de ses intérêts du moment... C'est une invention pure et simple. » Et de renchérir : « Le Parlement a actuellement pour unique mission de s'atteler à l'élection d'un président de la République, puisqu'il est réuni en collège électoral depuis le 23 avril 2014. Il a donc pour unique mission d'élire un nouveau président et ne peut rien faire d'autre entre-temps. Il détient actuellement une mission unique qu'il lui est imparti d'accomplir. »
M. Honein reconnaît toutefois qu'à l'aune de la situation actuelle, il n'est pas non plus possible de laisser les choses en l'état, au nom du principe général de droit de continuité législative. « La continuité de la législation est une nécessité absolue », martèle-t-il. Il existe deux cas dans lesquels le gouvernement peut donc reprendre à son compte le travail de législation : lorsqu'il en demande l'autorisation du Parlement ou en cas d' « absence du Parlement » qui correspond à trois cas: dissolution de la Chambre, fin du mandat parlementaire, ou absence législative. En clair, affirme l'expert en droit constitutionnel « nul besoin de s'en remettre au Parlement » pour continuer à voter des lois.
Cependant, cette interprétation de la Constitution étant loin de faire l'unanimité au sein des différentes composantes politiques, les négociations de dernière minute se poursuivent donc afin de peaufiner les positions des uns et des autres à l'égard des différentes propositions de loi figurant à l'ordre du jour.
Pour en revenir à la position de Bkerké, on indique de source informée que le patriarche n'a pas donné de recommandation tendant à boycotter la séance parlementaire. Mais qu'il n'a pas manqué de tancer les hommes politiques du pays en leur martelant qu'ils n'ont pas le droit « de transformer l'État libanais en État défaillant ».
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Pour ce qui est de la position définitive des Forces libanaises, Samir Geagea devrait réaffirmer dans sa conférence de presse prévue aujourd'hui la priorité d'élire un président de la République, mais aussi l'attachement de son bloc à la proposition de loi sur le recouvrement de la nationalité. C'est également la position du bloc aouniste et les deux formations politiques insistent à rester unies sur ce plan afin de respecter l'esprit de leur toute récente déclaration d'intentions.
Par ailleurs, une source proche du courant du Futur a précisé dans la soirée d'hier que les députés chrétiens du bloc, sous la houlette de Hadi Hobeiche, sont en train d'accorder leurs violons avec l'Église maronite en prévision de jeudi prochain. Le bloc souhaitait d'ailleurs troquer le vote du recouvrement de la nationalité en échange de la proposition de loi permettant à la femme d'accorder la nationalité libanaise à sa famille, proposition à laquelle Bkerké est actuellement fermement opposé.
Le Hezbollah et le parti Amal demeurent quant à eux très attachés à la tenue de la séance parlementaire de jeudi « car les lois figurant à l'ordre du jour servent l'intérêt de tous les Libanais », a commenté hier le député Nawwar Sahili. Kassem Hachem est allé dans le même sens en soutenant que « les dangers du boycott de la séance seront assumés par les députés absents ».
Qui se rendra donc à l'hémicycle jeudi ? Une source informée estime que les députés chrétiens indépendants répondront présents, ainsi que les blocs des partis Tachnag, Marada, PSNS, Hezbollah, Amal, PNL et courant du Futur. Reste à savoir quelle sera la position de dernière minute qui sera adoptée par le tandem FL-CPL.
Tout porte à croire que les deux formations chrétiennes vont opter pour l'escalade et exiger que la loi électorale soit examinée jeudi en début de réunion afin d'éviter que la séance soit levée juste après le vote des lois financières sur lesquelles toutes les parties en présence sont d'accord et dont le caractère urgent ne fait plus de doute pour personne.
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commentaires (3)
Ils invoquaient les mêmes "arguments", en 69, pour faire "avaler" l'Accord du Caire.... !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
13 h 44, le 09 novembre 2015