Les Libanais sont partout. Mais il est certains pays avec lesquels ils entretiennent des relations particulières – privilégiées, rêvées, organiques ou naturelles soient-elles. Le Canada, par exemple. Trois syllabes qui résonnent encore et encore, beaucoup plus désormais que les trois lettres de USA, comme un incandescent champ des possibles, faisant sursauter en chacun de nous ce petit bout d'ADN Christophe Colomb jamais vraiment endormi, totalement récessif.
Frédéric Dard a raison : Les hommes sont empêtrés dans leurs fantasmes comme des spaghettis dans du parmesan fondu. Les Libanais sont englués dans nos fantasmes de Canada. En un clin d'œil, comme un ver de terre regarderait une étoile, nous oublions notre histoire, infiniment plus riche que la leur, comme nous oublions notre climat, ou cette dolce vita libano-méditerranéenne, aussi frelatée soit-elle aujourd'hui. Il faut dire que nous ne sommes pas aidés : voilà un pays mille fois plus grand que le nôtre, bordé par trois océans, avec une astronomique quantité de lacs, des forêts infinies ; un pays où les politiques éducative, environnementale, énergétique, socio-économique, culturelle et de santé répondent aux attentes de n'importe quelle femme ou quel homme ; un pays où les droits de l'homme et les libertés sont sacro-saints ; un pays dont le passeport, tellement falsifié, fait le bonheur et la fierté de son possesseur ; un pays qui a donné au monde Oscar Peterson et Alanis Morissette, Michel Tremblay et James Cameron, Céline Dion et Frank Gehry, Leonard Cohen et David Cronenberg, et les deux Justin.
Parce qu'à part Bieber, il y a désormais l'autre : Trudeau. À 43 ans, le 23e et nouveau Premier ministre du Canada fascine la planète. Les Libanais, surtout. Ses talents de boxeur ; son côté Travolta dansant avec des membres d'une communauté indienne et sa bogossitude débonnaire et cinglante de strip-teaseur professionnel en pleine campagne électorale ; sa détermination à replacer son pays sur un échiquier politique international qui se moque toujours un peu de ce Canada Golem aux pieds d'argile ; son humilité arrogante ; sa façon de prôner la législation de la marijuana comme de combattre la gabegie, le sectarisme et le favoritisme ; sa façon de dire que le Canada devient mesquin, petit d'esprit, fermé, et que lui, comme des millions de Canadiens, ne reconnaît pas ce pays ; cette réponse, somptueuse, aux journalistes qui lui demandaient pourquoi son gouvernement est à 50 % féminin : Nous sommes en 2015 ; et le fait qu'il soit le fils d'un ancien Premier ministre canadien, bref, les Libanais, et le monde les comprend, sont fous de Trudeau Jr, et de ce prénom si cher au marquis de Sade.
Le Canada a tout ce que le Liban n'a pas, ou presque ; tout ce que le Liban voudrait, ou presque. Tout, sauf cette nouvelle richesse entomologique : les mouches. Parce qu'à part la tsé-tsé, et encore, on ne sait jamais, elles sont toutes là : les mouches à bœuf, les mouches à fruits, les mouches bleues, les mouches charbonneuses, les Pegomyia betae, les latura, les mouches domestiques, les mouches du coche (128 d'un côté, 24 de l'autre), les mouches du melon, les mouches du pétrole (bien sûr...), les drosophiles, les mouches à merde, les mouches grises de la viande, les mouches vertes et les Ophiomyia pinguis, etc. Toutes.
C'est quand il veut qu'il peut venir au Liban, David Cronenberg, tourner, 29 ans après, le remake de The Fly.
Qui a dit que pour faire un Canada, il faut des Canadiens ?
Justin et les mouches
OLJ / Par Ziyad MAKHOUL, le 09 novembre 2015 à 00h00
commentaires (7)
Les mouches du coche ? Espèce endémique au système politique libanais et qu'il faut éradiquer de gré ou de force.
Dounia Mansour Abdelnour
13 h 12, le 10 novembre 2015