Être diplomate à Vienne. Dans le somptueux décor de l'hôtel Impérial, ancienne résidence du prince de Wurtemberg. Savoir qu'on va passer sa journée à négocier, à serrer des mains, à feindre des sourires, à défendre coûte que coûte son point de vue, à ne rien céder, à ne rien laisser paraître. Savoir qu'on va utiliser toute son énergie, et toutes celles des autres, pour réaliser d'infimes avancées.
Être Sergueï Lavrov à Vienne. Se souvenir qu'on était là, déjà, il y a quelques mois, pour concrétiser un accord historique. Savourer le retour en force de son pays. Se féliciter d'être à l'initiative des pourparlers. Avoir la savoureuse sensation d'être dans le costume des Américains, de ceux qui proposent, de ceux qu'on écoute, de ceux qui décident. Affirmer avec conviction que l'on combat le terrorisme. Parler de transition politique, de gouvernement de coalition, tout en bombardant nuit et jour les opposants à Bachar el-Assad. Redouter un nouvel Afghanistan. Gagner du temps.
Être John Kerry à Vienne. Se souvenir qu'on était là, déjà, il y a quelques mois, pour concrétiser un accord historique. S'imaginer qu'on aurait pu partager un prix Nobel de la paix avec cet Iranien qu'on connaît désormais par cœur. Faire semblant de laisser les Russes dicter le jeu ; faire semblant d'être d'accord avec eux tout en leur souhaitant « un nouvel Afghanistan ». Réclamer le départ de Bachar el-Assad, mais s'alarmer de l'effondrement du régime syrien. Prétendre ignorer la contradiction entre ces deux souhaits. Ne pas avoir d'autres stratégies que de montrer au monde entier que l'on combat cette hypermenace, à définition variable, que l'on a nommée terrorisme. Savoir qu'on n'est plus les seuls maîtres du jeu au Moyen-Orient. Penser que c'est peut-être mieux ainsi.
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Être Mohammad Javad Zarif à Vienne. Se souvenir qu'on était là, déjà, il y a quelques mois, pour concrétiser un accord historique. S'imaginer qu'on aurait pu partager un prix Nobel de la paix avec cet Américain qu'on connaît désormais par cœur. Savourer son retour dans le concert des nations. Répéter que seule la politique peut régler la crise syrienne, mais continuer d'envoyer toujours plus d'hommes, nationaux ou franchisés, pour défendre son protégé. Présenter le jihadisme sunnite comme une menace existentielle en omettant de rappeler que l'on a contribué à son essor. Parler de transition politique, de gouvernement de coalition, tout en combattant nuit et jour les opposants à Bachar el-Assad. Gagner du temps.
Être Adel al-Jubeir à Vienne. Devoir partager la même pièce que ces Iraniens que l'on redoute par-dessus tout. Se montrer inflexible. Ne plus rien céder. Réclamer à tout prix le départ de Bachar el-Assad, mais craindre l'effondrement du régime. Présenter le jihadisme comme une menace existentielle en omettant de rappeler que l'on a contribué à son essor. Parler de transition politique, de gouvernement de coalition, tout en continuant d'armer, de plus en plus lourdement, les opposants à Bachar el-Assad. Avoir perdu patience.
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Être Feridun Sinirlioglu à Vienne. Espérer, comme tous les Turcs, que le conflit syrien s'arrête enfin. Réclamer à tout prix le départ de Bachar el-Assad, mais craindre la partition du territoire. Expliquer pourquoi, pour combattre le terrorisme, on bombarde les alliés de nos alliés : les Kurdes. Faire tout son possible pour limiter leur autonomie. Présenter le jihadisme comme une menace existentielle en omettant de rappeler que l'on a contribué à son essor. Espérer que l'avenir de son pays ne ressemble pas à celui de la Syrie. Avoir perdu patience.
Être Laurent Fabius à Vienne. Se dire que c'est l'une de nos dernières chances, à titre personnel. Se persuader qu'on est les seuls à avoir eu raison sur toute la ligne. Réclamer à tout prix le départ de Bachar el-Assad, tout en bombardant les positions de l'État islamique. Essayer de revenir dans le jeu. Constater que sa voix ne pèse plus autant qu'avant. Comprendre que ni les Russes ni les Américains ne se soucient de l'afflux des réfugiés autant que nous. Avoir perdu espoir.
Être Bachar el-Assad à Damas. Avoir peur de finir comme Kadhafi.
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Syrie : qui combat qui, et où
Ni valse ni balloûûûtt ! Il sera surtout suspendu, au son plutôt des dérbakkéhs, aux lanternes publiques de ce qui restera debout de lanternes publiques dans les villages et les villes de Syrie ! Äâââl "Valse", äâââl !
17 h 51, le 31 octobre 2015