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Liban - Témoignage

Du 13 octobre 1990 au 13 octobre 2015, la flamme du militant intacte chez Élie Kahwagi

Que s'est-il passé depuis que le rêve qui avait poussé les jeunes aounistes à s'engager en 1990 se fut soudain évaporé ?

Élie Kahwagi sous la tente installée dans la cour du palais de Baabda.

En évoquant les journées du 12 et du 13 octobre 1990, Élie Kahwagi a la chair de poule. Il en a retenu les moindres minutes, et lorsqu'il les raconte, sa voix tremble d'émotion. Un quart de siècle s'est écoulé depuis, mais, pour lui et pour ses compagnons, c'est comme si c'était hier...
À l'époque, Élie était, comme beaucoup de jeunes, séduit par les propos du général Michel Aoun. À l'instar de milliers de Libanais, il prenait le chemin du palais de Baabda tous les jours. Mieux encore, il avait installé avec ses camarades une tente permanente dans la cour du palais... Le 12 octobre, les partisans du général dans la cour du palais de Baabda sentaient que l'étau se resserrait et que les choses pouvaient mal tourner. Vers 16 heures, deux coups de feu se font entendre. La foule est prise de court et les soldats tirent en l'air pour obliger les gens à se baisser afin de localiser le coupable. La foule se presse vers l'entrée du palais pour tenter de voir Michel Aoun, et ce dernier prend la parole au bout de quelques minutes pour demander à ses nombreux partisans de quitter les lieux.
Tout s'est passé très vite. Élie et ses compagnons partent, tout en laissant leur tente sur place. Élie décide ce jour-là de ne pas rentrer chez lui à Badaro, préférant rester dans un appartement de Chiyah qui servait en quelque sorte de QG à son groupe de militants. Toute la nuit, ils entendent des bombardements intermittents, et, à l'aube du 13 octobre, ils perçoivent le vrombissement des moteurs des avions syriens. Ils se précipitent vers l'abri dans un immeuble en face. Il n'y avait alors ni réseaux sociaux ni téléphones portables. Rien qu'un poste de radio qui ne les quittait pas. C'est donc à la radio qu'ils entendent vers 8h30 l'appel à déposer les armes lancé par le général Aoun. Les larmes coulent sur leurs joues sans qu'ils s'en rendent compte. Le rêve qui les avait poussés à s'engager s'était soudain évaporé.


(Lire aussi : La commémoration du 13 octobre, grande inconnue de la semaine)

 

Photocopieuses et sprays
Élie et ses compagnons restent bloqués dans l'abri jusqu'au début de l'après-midi. Mais ils n'échangent pas une parole. Aucun d'eux n'a l'envie ni le courage de discuter. Leur principal souci est de faire disparaître de chez eux les indices compromettants. Dès que les bombardements se calment, chacun va de son côté (Élie met toutes les affaires compromettantes dans un sac qu'il cache dans le grenier de sa grand-mère à Bourj Hammoud, à l'insu de cette dernière) et ils ne se retrouvent que 48 heures plus tard sur le balcon de la maison d'Élie. Au début, ils discutent de la possibilité de quitter le pays. Puis, sur l'impulsion d'un capitaine de l'armée qui faisait partie de leur groupe, ils décident de lancer un mouvement de résistance pacifique. Élie Nemnom, Élie Kahwagi et le capitaine forment ainsi un des premiers noyaux de la résistance. Ils n'avaient ni moyens ni appuis, rien qu'une volonté de ne pas céder à l'occupation et une instruction stricte du général, transmise par des voies détournées : il ne faut pas faire couler le sang, ni user de violence. Autrement dit, il ne faut pas attaquer les soldats syriens, juste déstabiliser pacifiquement le pouvoir en place. La méthode la plus accessible, qui deviendra d'ailleurs le point fort de l'action des aounistes, est la distribution de tracts un peu partout et la pulvérisation de tags sur les murs.
Le second levier de cette résistance particulière est la formation de larges réseaux estudiantins dans les universités. Mais il n'apparaîtra que quelques années plus tard. Élie Kahwagi, Élie Nemnom et le capitaine sont encore à leurs débuts. Ils commencent par chercher des photocopieuses et des sprays. Mais ce n'est pas facile. Les SR syriens sont partout et vont même chez l'importateur des peintures aérosol pour lui demander la liste des boutiques qui vendent ce produit... Le petit noyau découvre toutefois un cousin qui vend ces produits et qui les leur donne discrètement. Tout comme il trouve une boutique de disques et de cassettes possédant dans sa mezzanine une photocopieuse. Le propriétaire accepte de les aider et Élie se retrouve à faire des photocopies pendant des heures, plié en deux, car la mezzanine est petite. Un de leurs compagnons, Patrick Khoury, préfère utiliser la photocopieuse de la banque où il travaille, mais il se fait rapidement virer.


(Lire aussi : Le CPL manifeste dimanche pour « un président conforme à la volonté populaire »)

 

« Je ne veux plus vous voir »
La première mission des deux Élie et du capitaine est dans le Koura, « au-delà des lignes syriennes ». Ils s'y rendent de nuit, lancent leurs tracts et reviennent. Ils sont suivis par une voiture qu'ils parviennent à semer au niveau du pont de Madfoun... Plus tard, ils découvrent grâce au BCCN (Bureau de coordination, dirigé alors par Pierre Raffoul) qu'il y a plein de petits noyaux comme le leur qui travaillent séparément, pour des raisons de sécurité. Une nuit, Élie prend sa voiture et va tout seul à Verdun, où il lance des tracts. Il revient chez lui et cache sa voiture pendant dix jours. Mais c'est la première fois que des tracts sont lancés à Beyrouth-Ouest...
Le 14 mars 1992, le groupe s'est agrandi. Ils sont au total 8, cinq garçons et trois filles. Ils lancent des tracts à Dbayé et se font photographier pour envoyer les photos au général Aoun. Ils sont arrêtés au retour et emmenés au siège de la police militaire à Sin el-Fil. À genoux, les yeux bandés, ils reçoivent des coups de matraque pour passer aux aveux. Les militaires veulent « les cerveaux » de la fronde. Au bout de quelques heures, les filles sont relâchées et les 5 jeunes hommes sont emmenés à Yarzé, au sixième sous-sol. Ils sont installés dans de petites cellules. Toute la nuit, ils entendent les cris de douleur d'autres détenus. Ils ne savent pas que, dehors, leur arrestation a provoqué un tollé. Comme Élie est citoyen français, l'ambassade est intervenue. Finalement, leur geôlier leur fait signer des papiers et ils sont emmenés chez le ministre de la Défense de l'époque, Michel Murr. Ce dernier leur fait la leçon et conclut en disant : « Je ne veux plus vous voir. »

Deux événements majeurs
Élie arrête ses activités militantes pendant un mois, avant de les reprendre. Le plan était cette fois d'établir des réseaux dans les universités. Patrick Khoury représente l'USJ, Fadi Massaad la NDU, Ziad Abs l'AUB, Marwan Zoghbi la FFM et Tarek Traboulsi l'Esib. De son côté, Michel Eleftériadès avait créé le Mur (Mouvement unifié de la résistance) et il demandait par exemple que les tracts soient déposés dans la poubelle à côté de la boîte de nuit qu'il possédait à Ajaltoun. Fadi Massaad avait une vielle photocopieuse chez lui et le travail s'est ainsi mieux organisé. Patrick Khoury se chargeait de copier les cassettes du général Aoun pour les distribuer et il avait fait pratiquer une ouverture dans le plancher de sa voiture pour que les tracts soient lancés à ras de sol... Mais la pression de l'État n'a commencé à baisser qu'à partir de 1995-1996. Le pouvoir commençait à se sentir à l'aise. D'ailleurs, en 2000, les parties chrétiennes ont cessé de boycotter les élections législatives. Pour les militants, ce fut une grande déception. Leur foi dans le retour de Michel Aoun est ébranlée. Mais, en 2005, l'espoir est revenu et le noyau s'est reformé naturellement, dans un nouvel élan.
Depuis, il y a eu deux événements majeurs pour le CPL, selon Élie. D'abord, la signature de l'accord avec le Hezbollah en février 2006 qui a été déstabilisante pour une partie de la base, et la guerre de 2006, dont l'un des objectifs était d'envoyer un million de chiites dans les régions chrétiennes du Metn et du Kesrouan pour provoquer des frictions avec les chrétiens. « Le général Aoun a montré combien il est visionnaire. Il a donné des instructions strictes pour que les déplacés du Sud soient bien accueillis, et, de fait, il n'y a pas eu un seul incident. De même, le secrétaire général du Hezbollah a donné le signal du retour dès l'entrée en vigueur de l'accord sur la cessation des hostilités le 14 août 2006. L'entente avec le Hezbollah s'est ainsi consolidée et la nouvelle stratégie est toujours en vigueur. Elle devra un jour porter ses fruits », dit-il. Élie en est convaincu. Et son enthousiasme est resté intact.

 

Pour mémoire
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En évoquant les journées du 12 et du 13 octobre 1990, Élie Kahwagi a la chair de poule. Il en a retenu les moindres minutes, et lorsqu'il les raconte, sa voix tremble d'émotion. Un quart de siècle s'est écoulé depuis, mais, pour lui et pour ses compagnons, c'est comme si c'était hier...À l'époque, Élie était, comme beaucoup de jeunes, séduit par les propos du général Michel Aoun....

commentaires (4)

Il est édifiant de penser que ce même régime qui a opprimé et tabassé les Aounistes est d'un coup leur allié et leur mentor aujourd'hui. Cette volte-face dérangeante et inacceptable semble comme si de rien n'était! Édifiant! Ceci me rappelle Hugo: les politiques trahissent tout excepté leurs émotions !

Dounia Mansour Abdelnour

13 h 48, le 10 octobre 2015

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Commentaires (4)

  • Il est édifiant de penser que ce même régime qui a opprimé et tabassé les Aounistes est d'un coup leur allié et leur mentor aujourd'hui. Cette volte-face dérangeante et inacceptable semble comme si de rien n'était! Édifiant! Ceci me rappelle Hugo: les politiques trahissent tout excepté leurs émotions !

    Dounia Mansour Abdelnour

    13 h 48, le 10 octobre 2015

  • Aucun mot sur l'opinion de ces militants aounistes valeureux sur le revirement total du général à son retour d'exil et son autotransformation, en un clin d'oeil, en grand ami et allié du gang Assad, bourreau et assassin des soldats de l'armée libanaise le 13 octobre 1990 !!!!????

    Halim Abou Chacra

    11 h 48, le 10 octobre 2015

  • OU... QUAND LA MATIERE GRISE Y FAIT DEFAUT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 22, le 10 octobre 2015

  • Pauvres types ! Et dire que l'autre bigaradier aigri se dorait loin de tout ce micmac, en France, la pilule....

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    02 h 30, le 10 octobre 2015

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