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Nos Lecteurs ont la Parole - Tribune

De Bachir et du bachirisme

Dans ma famille, Bachir Gemayel est une icône. J'ai grandi à l'ombre de ses photos qui trônent un peu partout chez nous et, à l'âge de cinq ans, un certain 14 septembre 1982, j'ai vu mon père pleurer. Trente-deux ans plus tard, mes choix politiques sont libanistes et ma lecture de la guerre civile qui a ravagé mon pays l'est aussi. Je continue donc à croire que les Libanais qui ont pris les armes pour combattre l'occupation palestinienne puis syrienne étaient dans leur droit ; les martyrs de ces Libanais sont les miens et leurs sacrifices sont ma fierté. Pendant longtemps, assister à la messe de Bachir Gemayel à Achrafieh relevait pour moi du devoir quasi religieux. Mais depuis quelques années, le culte de Bachir, y compris la messe, me met mal à l'aise et, aujourd'hui, j'en suis arrivé au franc rejet. Sans renier mon ancrage libaniste, je suis à présent convaincu que le culte de Bachir nuit à la cause en laquelle je continue de croire.
Mes arguments sont les suivants :
1) Par-delà son caractère légitime de recueillement familial et politique à la mémoire d'un père ou d'un leader assassiné, le culte de Bachir est instrumentalisé par ses proches dans une logique de marketing politique. En d'autres termes, ce culte relève de la récupération au service d'une reproduction d'élites traditionnelles. En principe, on peut adhérer à la continuité du combat souverainiste de Bachir sans nécessairement transposer sa loyauté à son fils Nadim ou à son neveu Samy. En pratique, tel est l'amalgame qui se fait tout au long de l'année et qui atteint son paroxysme tous les mois de septembre, qu'entre les héritiers de Bachir et Bachir lui-même, il devient difficile pour certains de faire la part des choses. Cette pratique est malsaine, car elle contribue à perpétuer l'hégémonie des dynasties politiques sur notre scène publique. Nadim n'est pas indispensable à Beyrouth et Samy ne l'est pas non plus tant au Metn qu'à la présidence des Kataëb. Leur présence à ces postes ne devrait pas être un acquis, ni durer à vie. Or le culte de Bachir crée, reproduit et diffuse un tel attachement émotionnel à la personne du chef disparu, que l'engouement se transpose aisément envers le fils et le neveu, qui s'en serviront pour de longues années encore. Spectacle désolant que celui du triomphe des chefferies traditionnelles sur toute velléité de renouveau démocratique – donc de modernisation de notre pratique de la politique. À noter, par ailleurs, que Bachir lui-même s'était toujours proclamé anti-establishment. Que la figure de Bachir soit instrumentalisée pour perpétuer un pilier historique de l'establishment libanais – le clan Gemayel – est pour le moins ironique.
2) Le culte de Bachir renforce l'emprise du mythe du sauveur sur notre psychologie collective. Or chaque fois qu'un homme providentiel autoproclamé a occupé le devant de la scène, le Liban a payé une note salée. Je pense en particulier à l'épopée populiste de Michel Aoun qui représente aux yeux de ses adhérents un nouveau Bachir. Alors que M. Aoun persiste à entraîner son public dans une alliance avec le projet antilibanais du Hezbollah, l'incapacité de ses adulateurs à porter un jugement critique sur ses choix politiques est désastreuse. Perpétuer le culte de l'héros nous condamne à un infantilisme mental permanent et nous livre, pieds et poings liés, aux charlatans (présents et futurs) de l'arène politique libanaise. Bachir lui-même a su être charmeur de foule sans être démagogue, mais une fois n'est pas coutume. Une chose est certaine : là où il y a rivalité d'élites et luttes de pouvoir il y a risque de dérive populiste – et le culte de l'héros crée immanquablement des conditions propices. Nous pouvons nous rendre moins vulnérables aux aventuriers du futur ou nous pouvons continuer à verser dans le culte de l'homme providentiel – mais nous ne pouvons pas faire l'un et l'autre simultanément.
3) Perpétuer le culte de Bachir, c'est marcher vers le futur à reculons, le visage tourné vers le passé. Du vivant de Bachir, la guerre froide battait son plein, la Syrie et l'Irak dominaient notre environnement arabe direct, et la corrélation de forces intercommunautaires, bien qu'ébranlée par le conflit libanais, reflétait toujours l'ordre d'avant-guerre. Aujourd'hui, la donne a tellement changé aux niveaux international, régional et national, que le monde de Bachir est rien moins que révolu. Les bachiristes risquent fort bien de ressembler aux monarchistes français – ceux qui n'ont toujours pas digéré la Révolution de 1789 ou la faillite de la Restauration. En d'autres termes, le bachirisme actuel est du passéisme – et tout passéisme est malsain par définition. Il en est de même, du reste, pour le culte de Kamal Joumblatt, Moussa Sadr et Rafic Hariri, par exemple, dans leurs communautés respectives.
Bachir reste Bachir. L'hommage lui est dû en tant que résistant, président et martyr. Par ailleurs, le Liban pour lequel Bachir s'est battu est plus menacé que jamais ; notre lutte pour notre pays doit continuer. Mais il reste primordial aujourd'hui de faire cette distinction vitale entre Bachir et bachirisme.

Hicham BOU NASSIF
Maître de Conférences – Carleton College. Minnesota

Dans ma famille, Bachir Gemayel est une icône. J'ai grandi à l'ombre de ses photos qui trônent un peu partout chez nous et, à l'âge de cinq ans, un certain 14 septembre 1982, j'ai vu mon père pleurer. Trente-deux ans plus tard, mes choix politiques sont libanistes et ma lecture de la guerre civile qui a ravagé mon pays l'est aussi. Je continue donc à croire que les Libanais qui...

commentaires (4)

Faire honneur a celui qui a réveillé la conscience Libanaise, le patriotisme et l'attachement de TOUS les Libanais n'est pas un infantilisme. Ce que fait sa famille pour perpétuer leur main mise sur la politique locale ça les regarde! Ce que NOUS faisons, lors des élections, de notre droit de vote est NOTRE problème. Comme vous le dite si bien, il n'est pas nécessaire de voter pour Samy ou Nadim pour prouver son Bachirisme, mais il est inconcevable de pas exprimer son attachement a un être qui nous a laissé un important héritage qui est notre amour pour les 10.452 Km de terre bien Libanaise avec tous ce qui est dedans de bon comme de mauvais...

Pierre Hadjigeorgiou

10 h 00, le 23 août 2016

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Commentaires (4)

  • Faire honneur a celui qui a réveillé la conscience Libanaise, le patriotisme et l'attachement de TOUS les Libanais n'est pas un infantilisme. Ce que fait sa famille pour perpétuer leur main mise sur la politique locale ça les regarde! Ce que NOUS faisons, lors des élections, de notre droit de vote est NOTRE problème. Comme vous le dite si bien, il n'est pas nécessaire de voter pour Samy ou Nadim pour prouver son Bachirisme, mais il est inconcevable de pas exprimer son attachement a un être qui nous a laissé un important héritage qui est notre amour pour les 10.452 Km de terre bien Libanaise avec tous ce qui est dedans de bon comme de mauvais...

    Pierre Hadjigeorgiou

    10 h 00, le 23 août 2016

  • Le général de Gaulle est une icône en France comme le sont Jeanne-d'Arc, Charlemagne, Napoléon, Clémenceau etc... Je n'ai jamais lu ou entendu quelqu'un le dénigrer. Au contraire, il est évoqué presque tous les jours dans les médias et ce, quarante cinq ans après sa disparition.

    Un Libanais

    16 h 26, le 27 septembre 2015

  • "Bachir reste Bachir. L'hommage lui est dû en tant que résistant... et martyr. Mais il reste primordial aujourd'hui de faire cette distinction vitale entre Bachir et bachirisme.". Ça, c'est vrai !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    06 h 34, le 24 septembre 2015

  • "Perpétuer le culte du héros nous condamne à un infantilisme mental permanent et nous livre aux charlatans (présents et futurs) de l'arène politique. Bachir lui-même a su être charmeur de foule? sans être démagogue!, mais une fois n'est pas coutume." ! Wâlâoû, yâ Hichâm !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    06 h 29, le 24 septembre 2015

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