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Nos Lecteurs ont la Parole

Adonis et Fanny Ardant au Louvre, la poésie arme absolue de liberté

Adonis et Fanny Ardant au Louvre, la poésie arme absolue de liberté

Adonis dans la cour Khorsabad du musée du Louvre. Photo Musée du Louvre/Florence Brochoire


« La terre d’Ishtar s’est initiée au tragique », me chuchotait le Louvre.

Et il a ajouté : « Comme si elle recevait les catastrophes, comme si c’était un chaos cosmique que l’espace ne peut embrasser et dépasser, telle cette terre elle-même. »

(Tous les extraits in Adonis « Le Louvre espace de l’alphabet du futur », édition bilingue Louvre/Seghers)

Il est si rare que la poésie soit à l’honneur avec une telle intensité, qui plus est en plein cœur du musée du Louvre, dans le splendide auditorium Michel Laclotte, plein à craquer. Comme en écho aux poètes, notamment à partir de Charles Baudelaire, qui ont trouvé dans ce musée un lieu extraordinaire de pollinisation d’idées et d’images, et faisant suite à l’invitation de la directrice actuelle de ce haut lieu de culture, Laurence des Cars, le poète Adonis a écrit et publié en coédition Louvre/Seghers Le Louvre, espace de l’alphabet à venir. Cette parution a donné lieu le 29 mars 2024 à une soirée mémorable tant par sa qualité littéraire que par la magie créée.

Plus de cinq cents passionnés de poésie ont pu assister à un rituel inédit où le poète Adonis et la comédienne Fanny Ardant se donnaient la réplique autour de l’univers poétique de l’un des plus grands poètes arabes de la modernité et voix majeure de la poésie mondiale. Adonis lisant son texte en arabe avec traduction en français sur un écran et Fanny Ardant lisant en français avec traduction en arabe. Il est à noter que plusieurs centaines de personnes n’ont pas réussi à trouver de billets tant l’intérêt suscité était à son comble.

Oui, je n’aime pas le paradis, sauf s’il est un voyage vers la terre.

Oui, j’ai peur d’une seule chose : Mourir avant de naître.

Donc, que le soleil soit ton chemin si tu veux marcher sur les pas de la terre.

Un long poème en sept tableaux, tout en densité et légèreté, où légendes et éclats du réel s’entremêlent pour célébrer la vie et interroger le futur à travers le prisme du Louvre dont la fonction est aussi de traverser les temps et d’articuler un alphabet à la mesure de l’aventure humaine. Les racines de ce foisonnement épuré puisent leur sève dans les déesses de l’antiquité égyptienne (Isis), mésopotamienne (Ishtar/Inanna) et l’épopée de Gilgamesh. La femme symbole d’amour et de résistance est au cœur de ce chant, accompagnée aussi par plusieurs chantres de la pensée et la poésie arabe, Ibn Arabi, Abū Nuwās... Adonis dans la splendeur et la vivacité de ses quatre-vingt-quatorze ans, d’une voix assurée et profonde, nous a montré une fois de plus que sa lucidité et la puissance de sa culture/imaginaire tenaient d’une texture miraculeuse, l’étonnement propre à l’enfance allié à la maturité et la voyance du poète.

« Les dieux étaient toujours les alliés du pouvoir. » Je te demande, Gilgamesh :

« Pourquoi le ciel ne donne-t-il son pain qu’au propriétaire de tous les champs ? »

Je te demande : pourquoi la plus grande joie dans ce monde paraît-elle comme debout au seuil de la mort ?

Adonis, qui pourrait avoir tous les âges de sa poésie, n’ignore rien des écueils de notre civilisation, il porte plus haut l’espoir et le rêve éveillé des vrais poètes, n’ignorant rien des enjeux pressants du monde. Nulle concession aux clichés de l’histoire, mais un sens des forces spirituelles qui ont créé tant l’espace oriental qu’occidental et, par extension, toute civilisation et sa charge d’avenir. Fanny Ardant, avec la fraîcheur et la tonalité uniques de sa voix, s’est intégrée à cette poésie qui est un patrimoine de l’humanité, ce que je tiens à souligner hors de toute tentation lyrique. Adonis a su explorer les tréfonds de l’âme humaine et conférer à la langue arabe son espace de renouveau. Certes, il appartient au monde arabe et moyen-oriental, à travers ses divinités, ses écrivains et ses aspirations, mais sa poésie ne connaît pas de frontière, elle est lue et appréciée en Chine, en Amérique latine, en Europe et en Afrique. Je voudrais rapporter un exemple frappant de résonance de sa parole poétique. Le surlendemain de cette belle soirée, je rencontrai en Espagne la femme d’un ami qui avait recopié dans son journal intime un poème d’Adonis extrait de Singuliers, m’avouant combien elle trouvait ce texte bienfaisant et porteur d’inspiration. Elle le disait aussi dans le contexte actuel des replis identitaires et du bruit fracassant des bombes et des bottes qui insultent une fois de plus notre humanité.

Que pouvons-nous recueillir de cette fabuleuse soirée, les poumons régénérés par le partage et le sens renouvelé de la liberté qui est à la fois dans l’innocence du regard et les remous de la conscience de ce que l’on est, où on va et d’où l’on vient ! Adonis disait bien « Les plus anciens sont les plus modernes ». De quoi se sustenter ? En peu de mots : la poésie encore et toujours.

Paris

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« La terre d’Ishtar s’est initiée au tragique », me chuchotait le Louvre. Et il a ajouté : « Comme si elle recevait les catastrophes, comme si c’était un chaos cosmique que l’espace ne peut embrasser et dépasser, telle cette terre elle-même. » (Tous les extraits in Adonis « Le Louvre espace de l’alphabet du futur », édition bilingue...
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