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Nos Lecteurs ont la Parole

Justice qui tape fort ou bien justice tape-à-l’œil ?

Justice qui tape fort ou bien justice tape-à-l’œil ?

Le Palais de justice de Baabda. Photo Hassan Assal

Il est connu que le budget de l’État est composé de deux éléments fondamentaux, les ressources et les dépenses. L’essentiel des ressources provient naturellement des impôts et taxes payés par les contribuables (personnes physiques ou personnes morales), tandis que les dépenses correspondent à l’argent que l’État va utiliser pour financer l’activité publique, comme la police, la justice, la santé, l’éducation...

Et, soit dit en passant, il faut mentionner, par souci d’objectivité, le fait que très souvent on retrouve dans ce même budget de l’État des « cavaliers budgétaires », une technique contestée qui sert à glisser furtivement des dispositions législatives sans aucun rapport avec les finances publiques. Un procédé qui profite du budget de l’État pour laisser passer des législations sans aucun lien avec les comptes et les deniers publics. Et cela pour des considérations généralement équivoques et suspectes.

Il était nécessaire de mentionner cela, en guise d’introduction, et d’énumérer succinctement les composantes de cette loi primordiale au niveau financier pour l’année à venir (pour l’année à venir, c’est à voir, on se contente d’ajouter la locution « en principe »). Il s’agit en fait d’une sommaire explication pour déterminer comment est régie la vie financière de l’État.

Pour revenir au budget, il faut mentionner que ce dernier est précisément le document législatif par excellence qui détermine avec exactitude le coût des frais de justice que doivent verser les justiciables lorsqu’ils ont recours à la justice.

Notre réflexion portera donc sur ces frais à payer par les personnes susceptibles de se retrouver, à un moment donné, face à un juge, en particulier après la parution dans le Journal officiel de la loi du budget de l’État pour 2024, qui a drastiquement relevé toutes sortes d’impôts.

Pour cela, il est donc nécessaire, ici, de définir la justice. Quels sont sa raison d’être, son rôle et sa mission ?

En résumé, la justice désigne avant tout une valeur, un idéal moral et un concept philosophique. C’est également une activité et une institution. Son rôle majeur, en tant qu’institution, est de préserver la vie en société. À ce titre, la justice assure trois missions essentielles : protéger les plus faibles et les plus vulnérables ; juger les conflits ; et sanctionner les comportements interdits. Avec une éventuelle probabilité que ces trois rôles majeurs puissent se confondre. Cela dépend, en fait, des circonstances de chaque litige et de chaque dossier en cours.

Pour pouvoir profiter des prestations de la justice, il faut nécessairement payer les taxes et les frais requis. Ce qui est tout à fait normal.

Le problème se pose lorsque ces frais de justice deviennent exorbitants. Pour la simple raison que lorsque ces frais et taxes deviennent excessifs, c’est tout le concept de l’État de droit (pour le peu qui en reste) qui devient biaisé et qui est remis en question. Et dans ce cas, l’on est en droit de se demander ce qui reste de cette valeur et de cet idéal moraux représentés par la Justice (avec un grand « J »).

Pour information, il est nécessaire de savoir qu’après la promulgation du dernier budget de l’État, la simple présentation au tribunal d’une courante et élémentaire conclusion, dotée de quelques documents à l’appui, est devenue très coûteuse, à la limite inabordable pour le Libanais moyen qui arrive à peine à joindre les deux bouts. Ce Libanais dont les revenus du mois suffisent tout juste à couvrir ses besoins vitaux, jusqu’aux rentrées du mois suivant.

La production d’un simple mémorandum coûte désormais gros. Sans parler de tous les à-côtés à verser comme les frais de timbre (difficile à trouver), les sommes à verser au profit de la mutuelle des magistrats, les tarifs forfaitaires imposés arbitrairement et sans aucune base légal par des auxiliaires de justice comme les greffiers, les scribes et toutes sortes de bureaucrates, le paiement des huissiers de justice qui se chargent de faire les notifications nécessaires, les incontournables gratifications et bakchichs…

Là où le bât blesse le plus, c’est que des députés n’ont pas pris la peine de penser que plus les frais de justice sont élevés et rédhibitoires, plus les citoyens vont s’abstenir d’avoir recours à ce pouvoir de notre République branlante, en l’occurrence, le pouvoir judiciaire supposé protéger les plus vulnérables, les plus faibles et les moins nantis. La préférence des députés va-t-elle pour la Cité (avec un grand « C », dans le sens noble et platonicien du terme) ou bien la jungle et tout ce qui en découle. Au lieu de travailler d’arrache-pied pour une justice de proximité, abordable et raisonnable, on a l’impression qu’ils œuvrent pour celle inaccessible, afin de dissuader le citoyen de recourir aux voies légales et réglementaires pour résoudre ses problèmes.

Drôle de société et drôle de Parlement qui se détournent de ce qui reste des classes moyennes transformées en classes populaires défavorisées. La justice pour les riches et les puissants n’en est pas une, chers représentants du peuple.

Lorsque la justice devient impraticable, c’est tout le système judiciaire qui est déformé et détourné de son but originel. En conséquence, les plus faibles, les plus vulnérables et les moins nantis sont sans protection et écrasés par les plus riches et les plus puissants. Ce sont les conflits qui perdurent, faute de moyens financiers. Ce sont les comportements prohibés qui gagnent de plus en plus du terrain au détriment de la légalité.

En fin de compte, c’est le retour ipso facto à la loi de la jungle où très souvent l’on se faisait justice à soi-même.

Une justice inapprochable équivaut tout simplement à une vacuité judiciaire. Et là, il ne faut pas perdre d’esprit le principe célèbre du philosophe grec Aristote, père et précurseur de la métaphysique, qui, depuis l’Antiquité, disait que « la nature a horreur du vide ». Parce que la nature exige que tout espace soit rempli de quelque chose, même si ce « quelque chose » est inconvenant et inapproprié. Même si ce « quelque chose » est la loi du plus fort, le « chacun pour soi » et le « tout est permis ».

En droit, le déni de justice existe. C’est l’infraction par laquelle un magistrat, pour une raison ou une autre, refuse de trancher. Elle est passible de sanctions pénales et disciplinaires. Dénier l’accès à la justice ne doit-il pas être également poursuivi et sanctionné, surtout que cet accès à la justice fait partie des droits fondamentaux reconnus par la Constitution et la Charte des droits de l’homme de 1948 ?

Généralement, une action mérite réaction (comme le principe de Newton). Une riposte sous forme de contre-attaque était donc nécessaire. N’est-ce pas, messieurs les magistrats du Conseil constitutionnel ?

Avocat à la cour

PS : voilà quelques jours, j’avais une audience au tribunal de Baabda. Je ne vous cache pas que j’ai été très désagréablement surpris par l’état d’extrême délabrement des lieux, faute d’entretien. Ça suinte de partout. Plafonds et murs moisis. Flaques d’eau par terre. Épaisse couche de poudre poussiéreuse sur le perchoir des magistrats et sur les deux tables branlantes, là où les avocats plaident, et tout cela sans parler des conditions lamentables de conservation des dossiers dans la chambre des archives... Une bâtisse appelée (à tort, peut-être) Palais de justice. Que le pouvoir en place ait peu de moyens (pour les raisons que nous connaissons tous), on peut arriver à le comprendre. Mais de là à ce que les tribunaux deviennent des lieux insalubres où le froid, l’inconfort, l’humidité, les moisissures, la poussière... deviennent la norme, ça, il ne faut jamais l’accepter. Ce laxisme et ce laisser-aller sont devenus une atteinte flagrante aux droits et surtout à la dignité humaine.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Il est connu que le budget de l’État est composé de deux éléments fondamentaux, les ressources et les dépenses. L’essentiel des ressources provient naturellement des impôts et taxes payés par les contribuables (personnes physiques ou personnes morales), tandis que les dépenses correspondent à l’argent que l’État va utiliser pour financer l’activité publique, comme la police,...
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Quelle décadence….

Eleni Caridopoulou

19 h 17, le 27 avril 2024

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Commentaires (1)

  • Quelle décadence….

    Eleni Caridopoulou

    19 h 17, le 27 avril 2024

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