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Moyen Orient et Monde - La saga de l'été

Le jour où... Mohammad al-Doura est devenu le symbole de la seconde intifada

La visite du leader de la droite israélienne, Ariel Sharon, sur l'esplanade des Mosquées va mettre le feu aux poudres.

La visite d’Ariel Sharon le 28 septembre sur l’esplanade des Mosquées de Omar et al-Aqsa à Jérusalem déclenchera la seconde intifada. Awad Awad/AFP

30 septembre 2000, Gaza. « Pour l'amour de Dieu, protège-moi papa. » Jamal al-Doura n'oubliera jamais ces quelques mots. Ce sont les derniers qu'a prononcés son fils, Mohammad al-Doura, avant de s'effondrer contre lui, atteint de plusieurs balles. Ces images, atroces, filmées par un caméraman de France 2, sont retransmises par les télévisions du monde entier. On y voit ce jeune garçon de 12 ans, en train de se blottir contre son père pour essayer d'échapper à la mort, au moment d'un échange de tirs entre soldats israéliens et policiers palestiniens devant la colonie juive de peuplement de Netzarim. On voit le père, Jamal, supplier des tireurs, apparemment des militaires israéliens, de ne pas tirer. Le père et son fils tentent de se protéger derrière un abri précaire constitué d'un bloc de pierres au pied d'un muret. Puis éclate une rafale : l'enfant s'affaisse lentement sur son père, qui est lui grièvement blessé. Le film ne montre pas qui a tiré, mais les tirs semblent provenir de la position israélienne. Tout se passe très vite, mais la scène va provoquer l'indignation mondiale et plonger Israël dans l'embarras.
Sur son lit d'hôpital, Jamal al-Doura explique le lendemain qu'il était venu chercher une voiture et avait été pris par hasard dans la fusillade. Selon ses dires, l'ambulance venant lui porter secours a été bloquée durant trois quarts d'heure par un barrage israélien. Quelques jours plus tard, il passera un appel au monde entier pour que le meurtre de son fils soit vengé et qu'Israël soit jugé.
À cette affaire, les responsables israéliens réagissent avec un mélange d'embarras et de cynisme. Dans un communiqué publié le 1er octobre, Israël « déplore la mort de l'enfant mais dénonce l'utilisation cynique des femmes et des enfants conduits sur des terrains de confrontation. Nous avons ouvert une enquête pour faire la lumière sur ce qui s'est passé. Nous ne sommes pas certains que l'enfant ait été tué par des militaires israéliens, et il se peut qu'il ait été tué par erreur par des tirs palestiniens », ajoute le communiqué. « Il se peut qu'un soldat, essuyant des coups de feu et ne disposant que d'un angle de tir restreint, ait vu un homme se cacher et qu'il ait tiré sur lui sans savoir qu'il y avait un enfant à ses côtés », soutiendra, quelques jours plus tard, le chef d'état-major israélien, Moshe Yaalon.
La presse palestinienne n'en démord pas et accuse Israël d'avoir commis un « crime de sang-froid ». Après les films diffusés durant la première intifada, montrant des militaires israéliens rouant de coups de jeunes Palestiniens, en tentant notamment de leur briser les os des bras et des jambes à coups de crosse, la scène contribue à son tour à changer l'image d'Israël. D'autant plus qu'elle intervient deux jours après le déclenchement de ce qui sera ensuite appelé la « seconde intifada ».

Tristesse, rage et espoir
Haram al-Charif pour les musulmans, mont du Temple pour les juifs, l'esplanade des Mosquées est aussi riche en symboles que source de tensions. Sans nul doute par pure provocation, le leader de la droite israélienne, Ariel Sharon, entreprend de visiter cette place, considérée comme le troisième lieu saint de l'islam. Apprenant la nouvelle, plusieurs centaines de jeunes Palestiniens se rassemblent très tôt pour manifester contre cette visite. Entouré d'un fort dispositif de sécurité, la visite du chef du Likoud provoque des échauffourées entre Palestiniens et Israéliens. « Je suis venu pour démontrer que le mont du Temple est bien à nous », déclarera Sharon quelques jours plus tard.
Les incidents éclatent après son départ. Les Palestiniens, massés sur l'esplanade qui abrite la mosquée al-Aqsa et le dôme du Rocher lancent des pierres sur les forces de sécurité. Ces dernières répliquent en tirant des balles caoutchoutés.
Le lendemain, l'esplanade des Mosquées s'embrase. La provocation d'Arik, comme on surnommait le « bulldozer » Sharon, et la répression des Israéliens ne passent pas. La rue palestinienne ne supporte pas ce nouvel affront. Les heurts continuent et s'amplifient : les balles répondent aux pierres et les pierres répondent aux balles. Plus les jours passent, plus les scènes ressemblent à de véritables conflits armés.
Israël commence à déployer son matériel lourd, notamment des hélicoptères de combat et des blindés, tandis que les combats gagnent les villes arabes de l'État hébreu. Damas dénonce un « massacre », l'Irak prône le jihad pour la libération de la Palestine et la presse du Golfe encourage la relance de l'intifada. Les États-Unis apparaissent complètement dépassés et leur président Bill Clinton perd ses derniers espoirs d'instaurer une paix durable dans la région, peu de temps après le sommet de Camp David II.
En seulement trois jours, on déplore 35 morts et des milliers de blessés. Parmi eux, le jeune Mohammad al-Doura, véritable symbole de cette seconde intifada.
Issa Goraieb, rédacteur en chef, à l'époque, de L'Orient-Le Jour, écrit dans son éditorial daté du jeudi 5 octobre, soit une semaine après le début des hostilités, et intitulé « Le rendez-vous de Jérusalem » : « C'est un sentiment de douleur, de rage horrifiée, mais paradoxalement un sentiment d'espoir aussi, qu'inspire l'actuel déchaînement de violence dans les territoires palestiniens occupés (...) Ce que l'intifada a magistralement réussi à faire, c'est de réunir dans son inégal combat, et cela pour la première fois sans doute dans les annales du conflit de Palestine, les deux conditions indispensables du succès : la force d'impact auprès des chancelleries comme des consciences ; et l'énorme courant de sympathie internationale que commandent ces adolescents risquant à tout instant leur vie pour conspuer et lapider l'occupant : un occupant condamné à assumer publiquement désormais le sale rôle qui n'a jamais cessé en réalité d'être le sien. » Et de conclure : « L'an prochain à Jérusalem ? Elle prendra peut-être son temps, l'histoire, elle en a la fâcheuse habitude. Mais on peut désormais parier qu'elle finira bien par être au rendez-vous. »

(Sources : archives de « L'Orient-Le Jour »)

 


La une de « L'Orient-Le Jour », le 30 septembre 2000

 

 

Chronologie de la seconde intifada

28-29 septembre 2000
La visite du chef du Likoud, Ariel Sharon, sur l'esplanade des Mosquées à Jérusalem-Est provoque des affrontements entre Palestiniens et la police israélienne, faisant 7 morts et 220 blessés.
30 septembre
Lors d'un échange de tirs entre Palestiniens et soldats israéliens dans la bande de Gaza, un jeune garçon de 12 ans, Mohammad al-Doura, est tué dans les bras de son père.
12 octobre
Une foule palestinienne lynche deux soldats israéliens à Ramallah. Raids aériens israéliens sur Ramallah et Gaza.
9 novembre
Un missile israélien tue un responsable militaire du Fateh. S'ensuivra une longue liste d'assassinats d'activistes palestiniens.

21-28 janvier 2001
Échec retentissant des négociations israélo-palestiniennes à Taba, en Égypte.
1er juin
Un attentat-suicide du Hamas contre une discothèque de Tel-Aviv fait 21 morts et plus d'une centaine de blessés.
10 août
Le siège de l'OLP à Jérusalem-Est est occupé par Israël.
17 octobre
Le ministre israélien du Tourisme est assassiné par le FPLP. En réponse, Israël réoccupe 6 villes palestiniennes.
3 décembre
Israël détruit l'héliport de Arafat, l'assignant de facto à résidence à Ramallah.

27 janvier 2002
Wafa Idriss devient la première kamikaze palestinienne de l'histoire.
8 mars
Journée la plus sanglante de toute l'intifada : 43 morts.
27 mars
Attentat anti-israélien le plus meurtrier de toute l'intifada : 30 morts dans un hôtel à Netanya.
29 mars
L'opération « Rempart » est lancée par Israël contre la Cisjordanie. Le QG de Yasser Arafat est détruit.
10 mai
Levée du siège imposé à 123 Palestiniens retranchés pendant 39 jours dans la basilique de la Nativité à Bethléem.
16 juin
Afin d'empêcher l'entrée de kamikazes palestiniens, Israël construit un mur entre la Cisjordanie et le territoire israélien.
20 décembre
Un nouveau plan de paix international pour le Proche-Orient intitulé la « feuille de route » est adopté par les USA, la Russie, l'UE et l'Onu.

5 janvier 2003
Un double attentat-suicide palestinien perpétré à Tel-Aviv fait 24 morts et une centaine de blessés.
21 janvier
Mahmoud Abbas annonce la démilitarisation pendant un an de l'intifada.
Janvier-février
D'importantes incursions de l'armée israélienne dans Gaza font une trentaine de morts et une cinquantaine de blessés.
29 avril
M. Abbas est nommé Premier ministre de l'Autorité palestinienne.
30 avril
La « feuille de route » est approuvée par les Israéliens et les Palestiniens.
17 mai
Mahmoud Abbas et son homologue israélien Ariel Sharon tiennent leur premier sommet à Jérusalem.
4 juin
Un sommet tripartite réunit à Aqaba, en Jordanie, le président Bush, M. Abbas et M. Sharon.
10 juin
L'armée israélienne tente d'assassiner le chef du Hamas, Abdel Aziz Rantissi.
29 juin
Le Hamas et le Jihad islamique décrètent une trêve de trois mois, contre six mois pour le Fateh de Yasser Arafat.
2 juillet
Bethléem repasse sous contrôle palestinien.
20 août
Mahmoud Abbas décide de rompre les contacts avec le Hamas et le Jihad islamique.
11 septembre
Le cabinet de sécurité israélien donne son feu vert à l'expulsion de principe de Yasser Arafat.
12 octobre
Une cinquantaine d'intellectuels, de pacifistes et d'hommes politiques israéliens et palestiniens rédigent en Jordanie un pacte symbolique, baptisé « Initiative de Genève », pour relancer les négociations de paix.
1er décembre
Lancement officiel de l'Initiative de Genève.

2 février 2004
Ariel Sharon annonce son intention de démanteler toutes les colonies de la bande de Gaza (regroupant un total de 7 500 habitants), sans toutefois en préciser les délais.
22 mars
Le fondateur du Hamas, cheikh Yassine, est assassiné dans un raid mené par des hélicoptères israéliens devant une mosquée de Gaza.
20 juillet
L'Assemblée générale de l'Onu adopte à une écrasante majorité une résolution exigeant que l'État hébreu démantèle partiellement le mur de séparation en Cisjordanie.
28 septembre-15 octobre
Israël lance une vaste opération baptisée « Jour de pénitence » sur le nord de la bande de Gaza pour mettre fin aux tirs de roquettes palestiniennes sur le territoire israélien. Celle-ci fait 129 victimes en 18 jours.
11 novembre
Mort de Yasser Arafat à Paris.
14 novembre
Mahmoud Abbas est choisi par le Fateh comme candidat officiel pour l'élection présidentielle palestinienne.

 

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Vingt ans plus tard, vingt ans ratés


Poignée de main historique entre le président de l'OLP, Yasser Arafat, et le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, sous les yeux du président américain Bill Clinton à la Maison-Blanche, le 13 septembre 1993. Photo AFP

C'était il y a plus de vingt ans déjà. Le 13 septembre 1993, Yitzhak Rabin et Yasser Arafat échangeaient derrière la Maison-Blanche une poignée de main historique, devant le sourire satisfait de Bill Clinton, qui annonçait les prémices d'un accord de paix entre Israéliens et Palestiniens.

Beaucoup de choses avaient changé au cours de cette dernière décennie. L'Égypte d'Anouar Sadate avait signé la paix avec l'État hébreu tandis que l'Irak de Saddam Hussein avait été complètement neutralisé par la guerre du Golfe. Aucun État arabe n'était plus en mesure de mener la lutte, même sur le plan symbolique, avec Israël. D'autant plus que la fin de la guerre froide et l'implosion de l'URSS faisaient des États-Unis, principal allié d'Israël, la seule grande puissance de la région et de la planète. Mais l'événement qui a le plus affecté ce tournant est probablement le déclenchement de la première intifada, en 1987, et le lancement du processus de paix qui s'en est suivi. Le conflit a alors fondamentalement changé de nature : d'israélo-arabe, il est devenu israélo-palestinien. Autrement dit le retour à un conflit territorial entre deux peuples, qui n'est plus censé être l'otage de la dispute du leadership au sein du monde arabe, avec tout ce que cela implique de positif mais aussi de négatif : les Palestiniens ne devaient plus compter que sur eux-mêmes.

Au début des années 90, les représentants palestiniens, avec Arafat en chef de file, sont majoritairement en faveur de la paix. Côté israélien, deux hommes sont également sur cette ligne. L'un, Shimon Peres, incarnera pendant 20 ans cette volonté de trouver une entente avec les Palestiniens. Il sera progressivement marginalisé pour finalement n'occuper que des postes symboliques.
L'autre, Rabin, pourtant issu des rangs des faucons du Parti travailliste, portera le projet de paix sur ses épaules, au point d'en payer le prix en étant assassiné par un juif extrémiste. Preuve que, malgré l'élan de ces deux leaders, la société israélienne n'était plus prête à signer la paix. Vingt ans plus tard, ce scénario résonne comme une occasion manquée. Plus aucun leader israélien ne semble pouvoir incarner un projet de paix. Pire encore, en 20 ans, la société israélienne s'est très largement « droitisée » et le partenaire palestinien s'est complètement désuni.

Le processus de paix négocié à Oslo n'était certainement pas parfait. Il restait beaucoup de questions à régler dont celle, particulièrement, délicate, du retour des réfugiés. Mais au moins, il y avait le début de quelque chose : un espoir et une ossature. Que reste-t-il de cet espoir aujourd'hui ? Pas grand-chose, peut-être même rien, à part l'arrogance d'un État qui continue de mener une politique de répression et de poursuivre une entreprise de colonisation, face à un peuple complètement démuni qui a mis son destin entre les mains de dirigeants trop faibles ou beaucoup trop satisfaits de leurs positions pour vouloir améliorer en quoi que ce soit la situation.

 

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Arrêt sur image
« Un enfant est mort »

 



En 2000, le décès de Mohammad al-Doura, un enfant palestinien de 12 ans, touché par des balles israéliennes, selon l'envoyé spécial de France 2 à Jérusalem, Charles Enderlin, bouleverse l'opinion publique internationale et lance aussi une vive controverse sur l'origine des tirs mortels. Selon certains, ce seraient les Palestiniens qui auraient tué l'enfant, et non l'armée israélienne. D'autres diront que « l'enfant n'est pas mort », ou que « ce n'était pas Mohammad al-Doura ».
Contacté récemment par L'Orient-Le Jour, Charles Enderlin s'explique sur le reportage réalisé il y a 15 ans. Le journaliste sera qualifié de « collabo » et menacé de mort à maintes reprises, en France comme en Israël. Il déconstruira chacun des arguments de ceux qui s'opposent à sa version des faits dans un ouvrage, intitulé Un enfant est mort. La vidéo diffusée sur la chaîne de télévision française France 2 suscitera de nombreux débats et des rebondissements judiciaires. Et si c'était à refaire ? « Je ferai exactement la même chose. Mais, après coup, en repensant à ce qui est arrivé en termes de diffamation contre moi et France 2, j'inviterais un huissier au bureau pour tout mettre sous scellés, pour aller à Gaza prélever l'ADN de l'enfant, etc. »

Photogramme issu du reportage, diffusé par France 2, montrant la mort de Mohammad al-Doura à Gaza. France 2/AFP.

 

Dans le prochain (et dernier) épisode : Le jour où... el-Qaëda a frappé l'Amérique au cœur

 

 

Les épisodes précédents
Le jour où... Rabin et Arafat se sont serré la main

Le jour où... Bush père annonçait un « nouvel ordre mondial »

Le jour où... la révolution des pierres a réveillé le sentiment national palestinien

Le jour où ... la guerre Iran-Irak a éclaté

Le jour où... Sadate s'est rendu en Israël

Le jour où... Hafez el-Assad s'est emparé du pouvoir

Le jour où... le roi Hussein a repris le contrôle de la Jordanie

Le jour où... Kadhafi a renversé la monarchie

Le jour où... Nasser a démissionné

Le jour où ... la France a signé son départ d'Algérie

Le jour où... la République arabe unie a été proclamée

Le jour où ... Nasser a nationalisé le canal de Suez

Le jour où... la partition de la Palestine est adoptée

Le jour où... Roosevelt et Ibn Saoud ont scellé le pacte du Quincy

Le jour où... Balfour a fait sa déclaration sur le Foyer juif

Le jour où... Lawrence d'Arabie a rencontré l'émir Fayçal

30 septembre 2000, Gaza. « Pour l'amour de Dieu, protège-moi papa. » Jamal al-Doura n'oubliera jamais ces quelques mots. Ce sont les derniers qu'a prononcés son fils, Mohammad al-Doura, avant de s'effondrer contre lui, atteint de plusieurs balles. Ces images, atroces, filmées par un caméraman de France 2, sont retransmises par les télévisions du monde entier. On y voit ce jeune garçon...

commentaires (1)

Il restera aussi..., que le montage de affaire Al Doura ...fut une tâche sur la carrière de Charles Anderlin et accessoirement sur l'AFP...

M.V.

10 h 17, le 10 septembre 2015

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Commentaires (1)

  • Il restera aussi..., que le montage de affaire Al Doura ...fut une tâche sur la carrière de Charles Anderlin et accessoirement sur l'AFP...

    M.V.

    10 h 17, le 10 septembre 2015

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