Joëlle Jabre, une Libanaise excédée par le non-respect de la loi dans son voisinage.
Au Liban, en vertu de la loi, les biens-fonds maritimes, qui s'étendent jusqu'au point le plus éloigné atteint par les vagues, sont considérés comme relevant du domaine public. Les constructions y sont interdites (sauf pour les propriétaires de parcelles de plus de 20 000 mètres carrés, qui peuvent demander un permis d'investissement sur l'adoption d'un décret du Conseil des ministres). La loi est toutefois régulièrement ignorée ou détournée, et les empiètements et constructions sur les biens-fonds maritimes fréquents avec, en conséquence, une dégradation du littoral libanais.
Joëlle Jabre, la quarantaine, vit depuis 15 ans dans le vieux souk de Jounieh, une zone dont certaines bâtisses sont inscrites à l'Inventaire du patrimoine libanais. Elle est elle-même victime de ce type de violation. Parmi les voisins de Mme Jabre, un riche homme d'affaires qui a lancé des travaux sur un terrain composé de deux parcelles.
« Le terrain remblayé, acheté de manière légale, fait partie des biens-fonds maritimes. Le propriétaire est autorisé à construire sur une partie du terrain, mais pas sur l'ensemble de la surface comme il le fait actuellement. En outre, l'exploiter pour en tirer profit est une violation flagrante de la loi », dénonce Joëlle Jabre. « De plus, dans la partie où il était autorisé à construire, il a exécuté les travaux sans respecter les conditions qui lui avaient été imposées ».
L'affaire dure depuis neuf ans. « Personne ne peut nous expliquer comment nous avons pu en arriver là », poursuit Mme Jabre, qui demande : « Comment un individu peut-il venir déverser des quantités énormes de béton et effectuer toutes sortes de travaux sans être inquiété ? Pourquoi, malgré les multitudes de plaintes déposées, ces infractions ne suscitent-elles aucune réaction ? »
« Achetés et vendus »
Sur place, la côte est défigurée et la vue sur la mer gâchée. Mais outre les abus sur les biens-fonds maritimes, Mme Jabre s'insurge du fait que l'homme d'affaires en question gêne le voisinage et défigure le quartier. « Il loue des espaces à des bars qui ouvrent toute la nuit dans une zone historique et résidentielle où les seuls commerces sont des artisanats qui ferment leurs portes à 18h », déclare-t-elle.
Joëlle Jabre assure avoir tenté à maintes reprises de mettre un terme à ces infractions en déposant des plaintes auprès du ministère du Tourisme et de la municipalité de Jounieh. En vain. « Ces bars ne sont enregistrés ni auprès de la municipalité ni auprès du ministère, mais il paraît qu'on n'ose pas les fermer de peur que le propriétaire et son entourage ne soient armés », poursuit-elle sans donner plus de détails. « Nous élevons des enfants en bas âge dans un environnement où certaines personnes sont armées, d'autres se saoulent ou se comportent d'une manière indécente, et personne ne peut arrêter ça », s'indigne-t-elle.
Excédée, Mme Jabre n'a pas hésité à interpeller directement son voisin, lui demandant d'expliquer comment il pouvait ainsi contourner la loi. « Vous, les Libanais, pouvez être achetés et vendus. Chacun de vous a un prix », lui a lancé l'homme, un étranger. « Il achète les gens. C'est triste, mais c'est vrai, déplore-t-elle. Il est protégé par des personnes qui lui expliquent comment habilement dissimuler ses infractions. Il a trouvé un système où non seulement on l'aide, mais on l'encourage également à transgresser les lois. »
« Tenons-nous à notre pays ou pas ? »
Si certaines choses ne peuvent être réparées et si ce qui a déjà été construit ne sera pas détruit, Joëlle Jabre demande que les dégâts soient au moins limités. « Qu'on commence à mettre un terme aux infractions ! Il faut intervenir là où c'est encore possible afin que tout ne devienne pas hors de contrôle et irréversible », dit-elle.
Pour Mme Jabre, c'est le laxisme de l'État qui encourage les abus. Le défaitisme des Libanais aussi. « Tenons-nous à notre pays ou pas ? Allons-nous continuer à commettre des infractions, à contourner la loi, à tricher et à couvrir ceux qui le font ? lance-t-elle. Il faut commencer quelque part et assumer à un moment ses responsabilités. » Et de conclure : « Les lois existent, elles sont là pour dissuader, à condition qu'on les applique. »
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21 h 42, le 07 août 2015