Salma* est propriétaire à Beyrouth d'un bureau s'occupant de formalités relatives aux transactions immobilières. « En matière de biens fonciers, nos clients qui vendent, achètent ou construisent ont besoin de permis, d'inscriptions aux registres... Notre bureau s'occupe de tout le côté administratif de ce genre de transactions, des formalités. » Des procédures dont la durée et la facilité dépendent de plusieurs facteurs, notamment l'éventualité du versement d'un « pourboire », terme que Salma préfère à celui de pot-de-vin.
« Pour tout lot de terrain vendu, nous devons assurer au client acheteur une attestation foncière. Cette attestation coûte 10 000 livres libanaises », explique-t-elle. Quand cette demande est présentée, poursuit-elle, le fonctionnaire explique généralement que pour l'obtenir, il faut revenir le lendemain. Pour éviter un aller-retour, Salma a une solution : le « pourboire ». Cette Libanaise âgée d'une cinquantaine d'années refuse d'utiliser le terme de pot-de-vin, car l'objectif de cette somme d'argent « est uniquement d'économiser du temps » : avec 10 000 LL, elle décroche son attestation en quelques minutes.
Les arrangements avec le temps ou la loi peuvent néanmoins prendre de bien plus larges proportions, reconnaît Salma. Pour limiter le montant des taxes (6 %) à payer, certains enregistrent un bien pour une valeur de 100 millions de LL (66 666 dollars), alors que sa valeur réelle est de 100 000 dollars. Pour faire passer la pilule aux fonctionnaires, là encore, le « pourboire » est efficace.
Autre exemple, poursuit Salma, qui semble en avoir tout un catalogue : la construction d'un bien sur un terrain. Ce type de construction requiert un permis et peut engendrer des frais en régularisation en cas d'infractions pendant la construction. Sur ce dernier point, un « pourboire » pourra convaincre un fonctionnaire de fermer des yeux sur « ces petites infractions qui ne gênent personne, mais peuvent bloquer un dossier », explique-t-elle. « Est-il logique de détruire un mur pour cinq centimètres de dépassement ? Ce serait du gâchis », poursuit Salma, qui assure que tous les « pourboires » qu'elle distribue, avec l'aval de son client bien sûr, ne visent qu'à accélérer les procédures et jamais à porter préjudice à qui que ce soit ».
En ce qui concerne l'ampleur du pourboire, elle varie selon « la nature des formalités ». « Il peut s'agir de cadeaux ou d'enveloppes contenant de l'argent. Un pourboire peut prendre mille et une formes », confie-t-elle.
Salma tient toutefois à insister sur le fait qu'il ne faut pas réduire la personne qui débourse le pourboire à une victime de la corruption dans cette histoire.
Améliorer les salaires des fonctionnaires
Certes, si son client ne met pas la main à la poche, les formalités risquent d'être considérablement ralenties. Mais « toute personne qui dépense une somme donnée en profite personnellement. Quelqu'un m'a permis d'économiser 200 000 dollars, je lui en reverse 5 000 ».
« Finalement, le premier bénéficiaire du pourboire est la personne concernée par le dossier en question, insiste-t-elle. Que personne n'essaie de vous convaincre du contraire. Quand je donne un pourboire, je le fais de plein gré, et je suis convaincue que je ne fais rien de mal. »
Autre argument avancé par la jeune femme pour justifier les « pourboires » : la charge de travail des fonctionnaires. « Toutes les formalités ne sont pas aussi simples que des attestations foncières, souligne-t-elle. Certaines nécessitent du temps, la personne qui s'en charge doit étudier la question et souvent continuer de travailler sur le dossier une fois rentrée chez elle. Ne dois-je pas valoriser son travail dans ce cas ? »
Pour Salma, le problème de fond tient à un manque d'effectifs dans les administrations. « Il n'y a pas assez de personnes pour traiter les dossiers », insiste-t-elle. De plus, « l'appréciation que l'État porte à ses fonctionnaires est insuffisante et cela pousse ces derniers à avoir recours à d'autres méthodes pour obtenir une forme de gratification », affirme-t-elle.
L'une des solutions, selon elle, pour lutter contre la corruption tient en deux points : recruter de jeunes fonctionnaires et améliorer les salaires.
*Le nom a été modifié à la demande de la personne interviewée.
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commentaires (7)
Bassîîîttâh ! Walâoû !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
15 h 35, le 31 juillet 2015