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Liban - Interview

Mohammad Hassan el-Amine à « L’OLJ » : Où est donc la moumanaa ? Je ne la vois pas

« Je ne crois pas dans les victoires qualitatives contre Israël, mais seulement dans un rééquilibrage des forces par les moyens pacifiques », affirme l'uléma chiite modéré, dans un entretien réalisé pour commémorer le début de la tragique guerre de juillet 2006.

L’uléma chiite, Mohammad Hassan el-Amine, à l’entrée du domicile familial à Chakra, au Liban-Sud.

La modération de l'uléma chiite et juge chérié, Mohammad Hassan el-Amine, jaillit de tous les pans de son discours, y compris lorsqu'il évoque le Hezbollah. Aspirant à une citoyenneté moderne libanaise, seule voie de la liberté, selon lui, il n'exclut pas la part de libanité du Hezbollah, ni l'optique de sa reconversion politique véritable. Il ne discerne pas une condition chiite particulière, puisque tous les Libanais souffrent « des mêmes carences institutionnelles ». C'est l'édification d'un État fort, par un processus de maturation citoyenne par le bas, qui incitera à la réintégration du Hezbollah, et non l'inverse, même si en pratique les combats du Hezbollah en Syrie « pourraient être le début de sa fin », selon lui.

Cette logique soutient le caractère national et non sectaire de la résistance : à l'échelle libanaise, le Hezbollah a besoin de l'appui populaire, surtout que Mohammad Hassan el-Amine n'écarte pas le risque que Téhéran renonce au parti chiite. À l'échelle arabe, cette résistance doit être « menée par le peuple palestinien et soutenue par les peuples arabes », souligne-t-il.

« Une victoire très coûteuse »
Dans ce contexte, la guerre de juillet 2006, « cette période extrêmement douloureuse », aura mené à « une victoire seulement relative : elle a pu empêcher l'ennemi de réaliser tous ses buts, ou une partie de ses buts, mais sans l'empêcher de détruire le pays ». Pour lui, l'évaluation de la guerre de juillet doit prendre en compte le fait que « la victoire décrochée n'était pas décisive », et l'ampleur des dégâts que celle-ci a causés. « Il n'est pas acceptable d'oublier le bilan des victimes résultant de cette guerre, ni l'ampleur de la destruction, qui montrent que la victoire a été coûteuse au point qu'on peut souhaiter que cette guerre n'eût jamais lieu, de l'aveu même du secrétaire général du Hezbollah », poursuit-il.

En dépit de l'ampleur des pertes, la popularité du Hezbollah a atteint son paroxysme au lendemain de la guerre de juillet. Il existe à cela « plusieurs raisons », dont l'uléma retient deux principales. D'abord, « le sentiment sans précédent qu'Israël peut mener une guerre sans forcément en sortir victorieux. En tant qu'Arabes, nous étions habitués aux défaites presque inévitables ». La guerre de juillet 2006 a ponctuellement inversé la donne. Ensuite, « l'attention prêtée à ceux qui ont subi des dégâts au Liban-Sud et dans la banlieue sud a absorbé les répercussions du désastre social et économique que cette guerre a provoqué », précise-t-il. Il estime en outre qu'Israël aurait mené la guerre de juillet indépendamment de tout acte préalable du Hezbollah que l'on pourrait interpréter comme une provocation. « Israël avait l'intention d'abattre le parti », dit-il.

À cette lecture neutre, l'uléma ajoute néanmoins quelques réserves. « Je ne crois pas aux victoires qualitatives. Il n'y a que des victoires gratuites », en ce sens que « les rapports de force entre nous et l'ennemi demeurent profondément déséquilibrés en faveur de ce dernier, à cause de sa puissance militaire et de la partialité internationale qui lui profite ».
Or, « aucune réconciliation avec l'ennemi n'est possible sans un réajustement de l'équilibre des forces ». Ceci nécessiterait « une nahda arabe à plus d'un niveau (politique, scientifique et social). Même si cette nahda n'est pas prochaine, elle est néanmoins possible », assure Mohammad Hassan el-Amine.


(Lire aussi : Lokman Slim, l'opposant chiite accusé de « vouloir torpiller le Hezbollah de l'intérieur »)


Un État fort pour une résistance forte
L'uléma chiite aspire ainsi à une confrontation pacifique avec l'ennemi, que seul un éveil citoyen arabe est susceptible d'accompagner : « Nous ne sacralisons pas le moyen de la guerre en soi, et nous œuvrons pour des solutions pacifiques et justes, où qu'elles se trouvent, tant cette option s'aligne sur nos valeurs, notre pensée et notre religion. » Il défend ainsi l'adage selon lequel « pour gagner la paix, il faut être prêt à faire la guerre », sinon ce seront des rapports de subordination que la paix éventuelle viendra maquiller. « La guerre ne se prête ni à l'expérimentation ni aux paris chanceux. La décision de la guerre ne doit être prise que lorsque les conditions de cette guerre sont réunies », ajoute-t-il.

À la lumière de ces préceptes, le caractère relatif de la victoire de juillet se précise. Cette victoire aura en effet conforté « la conviction, persistante au sein de la nation arabe, qu'une victoire est réalisable contre l'ennemi, lorsque la volonté réelle s'y trouve ». Mais elle aura surtout démontré que la résistance ne peut se déployer sans une solidarité nationale. C'est sur ce point « fondamental » qu'insiste le dignitaire. « En dépit de son caractère partiel, la victoire de 2006 a été réalisée grâce aux héroïsmes des acteurs de la résistance, et surtout grâce à la solidarité nationale libanaise, qui a accueilli cette résistance, contribuant grandement à mettre en échec les objectifs de l'ennemi », dit-il. Il en déduit, a contrario, que « la résistance au Liban ne peut remplir les conditions de son aboutissement, sans une unité libanaise, sans une armée capable d'affronter l'ennemi et sans des institutions étatiques qui servent de repère au peuple libanais ».

(Pour mémoire : Seule l'identité citoyenne est salvatrice face aux identités sectaires et meurtrières, affirment les chiites indépendants)

 

L'image de la résistance chiite libanaise
Or, ces trois conditions complémentaires, essentielles pour « l'avenir de la résistance, qui n'est pas l'œuvre d'un seul parti », manquent aujourd'hui à la nouvelle entreprise belliqueuse menée par le Hezbollah en Syrie.
« Les positions contradictoires, au sein de la société libanaise, sur la participation de la résistance à la guerre syrienne renforcent les voix qui mettent en doute le rôle de la résistance, dont les objectifs sont inconciliables avec la guerre menée en Syrie : cette crise politique n'aide pas le Liban à être le soutien fort et efficace de la résistance », note-t-il. Autrement dit, « en devenant un appui au régime syrien, qui n'est aucunement différent des autres dictatures oppressives dans la région », la résistance est progressivement dénaturée. « Il est impératif que le Hezbollah se retire de Syrie, non seulement parce que la décision nationale libanaise manque à son entreprise, mais surtout parce que la résistance prend le parti pris naturel des peuples, et non des régimes », dit-il.
Cela sans compter « les graves dommages causés par l'intervention du Hezbollah en Syrie sur l'image de la résistance chiite libanaise, qui a été profondément ternie aux yeux de la majorité des Syriens et des Arabes ». Non seulement les rapports des chiites avec les Syriens sont ébranlés, mais « les forces ayant intérêt à voir émerger un conflit sunnito-chiite exploitent aujourd'hui l'appui du Hezbollah au régime syrien ». Dans ce schéma, « où est donc la moumanaa ? Quelle est-elle ? Je ne la vois pas », affirme-t-il, en réponse à une question. C'est plutôt « le fanatisme et l'affrontement confessionnel, élargis par la guerre syrienne », qui sont le plus perceptibles.

« L'islam et la liberté »
Bien sûr, « les germes du fanatisme ont toujours existé à cause de la régression intellectuelle, sociale et religieuse de nos sociétés, commencée depuis la chute de la civilisation islamique et la rupture de l'unité de la oumma ». Si le fanatisme avait jusque-là été contenu, ce n'est pas grâce aux régimes autoritaires, mais grâce « aux rapports naturels de convivialité entre les différentes communautés, qui devaient amoindrir à l'extrême la peur de l'autre ». L'émergence du fanatisme est tributaire de trois facteurs : « L'instrumentalisation de la religion par les pouvoirs ; la pensée islamique régnante et sa propension à fabriquer des mythes religieux au service du pouvoir ; et la répression de la différence. » La dégénérescence de la civilisation islamique qui se cristallise dans les événements actuels serait le présage d'un progrès qui s'initie, quand bien même l'on pourrait croire de prime abord à une inversion du sens de l'histoire. « Le passage à l'État moderne est inévitable », estime-t-il, relevant les signes actuels d'une réémergence de la doctrine islamique modérée, celle qui relie l'islam non pas à la justice, mais « à la liberté ».

 

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commentaires (7)

Quelle personne sage?

Eleni Caridopoulou

17 h 15, le 12 avril 2021

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Commentaires (7)

  • Quelle personne sage?

    Eleni Caridopoulou

    17 h 15, le 12 avril 2021

  • un exemple aux autres !! heureux et eclairer ceux qui le suivent

    Bery tus

    01 h 10, le 14 juillet 2015

  • J'espère de tout coeur que de nombreux libanais puissent lire et relire cet interview.

    Achkar Carlos

    17 h 20, le 13 juillet 2015

  • ELLE ESSAIE DE SÉCHER SES AILES MOUILLÉES AU SOLEIL... MAIS LES RAYONS DU SOLEIL LE LUI REFUSENT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 51, le 13 juillet 2015

  • On a besoin de partenaires comme lui pour batir un etat

    George Khoury

    09 h 04, le 13 juillet 2015

  • Comment se fait-il que ces "déshérités(h)" libanais(h) puissent supporter la domination d'un héZébbb Per(s)cé ; représentée par cet hassine 1er ; qui, sous l’ex- Système Sécuritaire ante, reposait sur l'ultraplate subordination de ces fractions chïïtes ? Mais, parce que ce héZébbb constitue la partie la + prépondérante de la frange dominante de cette population dont le pouvoir se nomme Wilâïyâh Libanaise Levantine ; avec ou sans Tâïf ! Les coryphées chïïtiques ne sont-ils point les complices de ce fichu héZébbb ? N'est-il pas lui-même l’annulaire doré du walïyoûlfakihisme ? Pour ces derniers, déjà sous le Système ante, ils avaient été dans la pratique de toutes les "orgies fakkihistes ! En fait, "l'union sacrée" des chïïtiques avec ce héZébbb est normale. Dans un pays comme celui-ci où la grandeur est démesurément inférieure à la bassesse, où le pillage de l'État constitue l'objet le + important de l’ascenseur social, et où cet État forme l'unique débouché principal pour l’engagement en gros et en vrac de "déshérités" qui veulent s'y investir de façon improductive ; dans un bled de ce genre, faut qu'une masse innombrable de chïïtiques participent en plein au jeu de cette saleté de pillage fakkihiste. Tous ces chïïtiques ne trouvent-ils pas leurs soutiens et leurs fakkîhs naturels, dans cette misérable faction du walï yoûl fakihisme dénommée héZébbb qui représente en gros leurs intérêts en tant qu’ex-déshérités(h) Libanais(h) dans leur totalité ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    09 h 03, le 13 juillet 2015

  • En toute franchise. Il est à craindre que les dérives, les déboires et les dégâts dont le Hezbollah a été le protagoniste, depuis 2006, n'aient érodé irrémédiablement "la solidarité nationale" avec la "résistance", au point que pour la grande majorité des Libanais celle-ci n'existe plus du tout.

    Halim Abou Chacra

    06 h 23, le 13 juillet 2015

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