L'attaque lancée fin mai par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, contre les personnalités chiites indépendantes, qui ne gravitent pas dans l'orbite Damas-Téhéran, qu'il avait qualifiées de « chiites de l'ambassade » US à Beyrouth, représentait-elle une déclaration de guerre ouverte contre tous ceux qui refusent, au niveau de sa communauté, d'intégrer la açabiya, l'esprit de corps du parti chiite, embourbé dans son Vietnam personnel en Syrie ?
Pour l'avocat et éditeur Lokman Slim, qui vient de faire l'objet d'un article virulent de la part du quotidien al-Akhbar, cette attaque s'inscrit dans l'ordre des choses, compte tenu de la situation inextricable dans laquelle se trouve aujourd'hui le Hezbollah, à la recherche de boucs émissaires pour détourner les chiites des revers qu'il subit au quotidien depuis son engagement dans le bourbier syrien.
Mardi, al-Akhbar a consacré tout un article à M. Slim, responsable d'une ONG, Hayya Bina, active notamment au niveau culturel et éducationnel dans les régions chiites, et dont une grosse partie du financement, assuré par le département d'État dans le cadre de son programme d'aide à la société civile, s'est retrouvée gelée le 10 avril dernier. La polémique avait fait l'objet, y compris ces derniers jours, d'une série d'articles, notamment dans le Wall Street Journal et le site Internet d'information Now.
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Lynchage médiatique
Dans l'article d'al-Akhbar, rédigé sous la forme d'un article d'investigation déjouant un complot de l'ampleur du Watergate, l'éditeur est qualifié de « star des chiites de l'ambassade, qui a échoué dans sa mission de torpiller le Hezbollah en tant que mouvement de résistance à l'intérieur de la communauté chiite, pour le compte du département US ». Il y est également accusé d'être « l'ambassadeur des chiites de l'ambassade depuis l'an 2008 ».
Selon l'article, la mission de Lokman Slim était « d'ouvrir les portes de Awkar aux nouvelles recrues (chiites) », en contrepartie des fonds versés par le département d'État à Hayya Bina. Se référant à WikiLeaks, l'auteure accuse également Lokman Slim de s'être réuni en mai 2008 avec l'un des conseillers du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à Washington.
L'auteure conclut son article par cette phrase : « Pour rappel, les chiites de l'ambassade sont un groupe de personnalités libanaises – dignitaires religieux, journalistes, hommes d'affaires et politiques – choisies par le département d'État sur des bases sectaires et régionales pour mettre en application un plan ourdi en 2006, dont l'objectif annoncé est de mutiler l'image du Hezbollah auprès des jeunes libanais et lui créer des alternatives, et dont l'une des étapes nécessaires est de torpiller le Hezbollah de l'intérieur de l'environnement chiite. »
Pour l'association Journalistes contre la violence, le Hezbollah, par ses médias interposés, se livre une fois de plus à son violon d'Ingres : l'assassinat moral, le lynchage médiatique, qui pave la voie aux agressions physiques, désormais légitimées. Dans ce cadre, estime l'association, Lokman Slim, qui a déjà eu droit lui-même par le passé au même traitement, vient rejoindre le club des cibles privilégiées d'al-Akhbar, à savoir les journalistes Omar Harqouss, Youssef Bazzi, Malek Mroué, Ali el-Amine, Moustapha Fahs, Hady el-Amine et Hanine Ghaddar, ou encore les dignitaires religieux comme Mohammad Hassan el-Amine, Ali el-Amine ou feu Hani Fahs. L'objectif du Hezbollah est de « lancer des anathèmes à l'encontre de tous ceux qui ne s'alignent pas sur le point de vue du
parti », pour « mieux les pointer du doigt et les stigmatiser comme l'ennemi de l'intérieur à abattre absolument, parce qu'il rompt les rangs », souligne l'association, qui a publié un communiqué hier dans ce cadre.
Une preuve de faiblesse
Joint par téléphone par L'Orient-Le Jour, Lokman Slim, qui se trouve à Paris, où il contribue actuellement à la réalisation d'un film sur la prison assadiste de Palmyre, a indiqué que « si peu ont compris l'importance de ce que nous étions en train de faire, le Hezbollah, lui, a très bien saisi ce que c'est que d'œuvrer au niveau des fondations de la communauté, loin du chahut sur la place publique ».
« Ces attaques ne sont pas nouvelles. Tout récemment, certains pôles du Hezbollah, dont Mohammad Raad, s'en sont pris à Ahmad Hariri et Achraf Rifi, preuve que ce ne sont pas seulement les chiites qui sont dans le collimateur, mais tous ceux qui ne pensent pas comme Hassan Nasrallah », a indiqué M. Slim.
« Cette agressivité cache une incapacité du Hezbollah à expliquer à sa communauté pourquoi elle doit payer un tel prix exorbitant en Syrie, pourquoi le lumpenprolétariat chiite doit aller au massacre... sans compter tous les problèmes de financement qui s'accumulent », a-t-il souligné.
« Ils tentent de discréditer toute protestation émanant de l'intérieur de la communauté chiite à leurs actes comme n'étant pas authentique. Le Hezbollah n'arrive pas à expliquer à son public comment lui peut gagner en Syrie alors que, sur le terrain, Assad est en train de perdre. C'est aussi pour cela qu'ils font tout ce tintamarre autour de la bataille du Qalamoun », a ajouté l'éditeur.
Interrogé enfin sur le fait de savoir s'il se sent menacé physiquement, Lokman Slim répond qu'il poursuivra ses activités normalement, sur base de ces paroles de l'imam Ali : « Si tu as peur d'un danger, cours-y vite au-devant. »
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commentaires (8)
Le terme "accusé" est mal choisi. On "accuse" quelqu'un d'un forfait, or travailler à détruire le Hezbollah n'en est pas un, bien au contraire: c'est un acte éminemment patriotique!
Yves Prevost
07 h 14, le 19 juin 2015