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Nos Lecteurs ont la Parole - Emmanuel RAMIA

Le Liban entre « francisation » et « helvétisation »

Prenez un terrain méditerranéen de 10 452 kilomètres carrés, retirez l'emploi de 21 % de ses citoyens, facilitez un afflux monstre de réfugiés, ouvrez vos portes aux menaces terroristes internes et externes, faites perdurer presque un an une vacance au plus haut poste de la pyramide républicaine, organisez une fuite quasi automatique des cerveaux, permettez une omniprésence d'intérêts géopolitiques antipodiques, légitimez une milice inféodée à l'étranger, faites tout remuer bien fort 71 ans durant, puis dégustez enfin... Mmm ! Quel délice que ce gâteau à 18 parts ! Dégustez-le bien, et au plaisir de vous rencontrer en enfer.
Malgré tout, le jour se lève tous les matins sur ce Liban. Tous les matins aussi, Hassan se réveille avant le soleil pour aller ouvrir la boulangerie de son père à Bourj el-Barajné. Louis attend patiemment près du vieux souk de Jounieh qu'un touriste vienne louer une de ses Peugeot, tandis que Omar tente de garer la sienne à Tripoli pour aller bosser dans une célèbre pâtisserie, et que Taymour sert du maté dans un bistrot druze de Aley, alors que Haïg découpe vaillamment les morceaux de chawarma au soujouk à Bourj Hammoud. Puis, le soir venu, ils vont tous prier dans des lieux de culte imposés par leur naissance, avant de retrouver des copains autour d'un verre de whisky, d'arak, de thé ou de maté en chantonnant un refrain de Feyrouz. Ils aiment tous le Liban, le vénèrent même. Mais chacun à sa façon. Jamais ils ne verseraient d'impôts à l'État par exemple. Mais verser des « aides » au Hezbollah, au CPL, au FL, au Tachnag, au PSP ou au Futur leur est plus que naturel. « Ils nous protègent, eux, au moins! » disent-ils. Peut-on leur en vouloir ? Ils ont raison. Sans leurs partis, ils seraient rien aujourd'hui. S'ils ont un travail, c'est grâce à eux. S'ils ont des routes, des écoles, des églises, des mosquées, des cafés et des restos c'est aussi grâce à eux. En somme, ils ont été forcés de vendre leur âme aux diables du confessionnalisme et de la corruption pour survivre.
Le pacte national édifié par nos aïeux était supposé ouvrir la voie à une démocratie consensuelle capable de digérer avec succès et pérennité cette mosaïque confessionnelle, culturelle et politique. Mais le bilan aujourd'hui est amer. On voit jour après jour que notre formule libanaise a échoué. L'idée était-elle trop belle pour être réalisée ?
Devant une telle réalité, on peut réfléchir de deux façons. La première façon consisterait à se révolter et à la nier. La seconde chercherait au contraire à en tirer avantage. Ceux qui empruntent le premier chemin sont partisans d'un État fort, centralisé, régalien, peut-être même laïque. Ils ont au fond de leur mémoire l'expérience réussie du chehabisme. Les seconds, plus réalistes, estiment que ce confessionnalisme régional aigu ne pourra guère être surmonté. Il devrait par conséquent être sainement légalisé à travers un système confédéral plus efficace. Ici s'opposent la France et la Suisse, le dogmatisme et le pragmatisme, l'utopie et le réalisme. Lequel des deux choisir ?
Malgré tout, depuis l'indépendance, nous nous sommes efforcés de suivre le premier chemin. Mais nous nous sommes heurtés à diverses dépendances. Et ce parce que le citoyen libanais n'est pas encore né. La question qu'on devrait se poser donc est la suivante : va-t-il, ou plutôt doit-il naître un jour ? Nous savons que ce qui sans aucun doute favoriserait son avènement est une réforme radicale de l'éducation. Une identité englobant toutes les facettes historiques, idéologiques et culturelles du Grand Liban est nécessaire pour aboutir au pays centralisé. Une citoyenneté ne peut exister sans une histoire nationale commune. D'un autre côté, une partie importante de la société civile, avec ses associations prônant la culture, la tolérance et le dialogue, tout en critiquant le féodalisme, la censure et l'extrémisme, devrait aussi avec le temps se concrétiser politiquement. Ainsi si l'effort, l'énergie et l'intention nécessaires y étaient accordés, un mouvement nationaliste libaniste pourrait voir le jour et épauler l'éducation de même nature que l'on prêcherait dans les écoles. Cette troisième voie gagnerait petit à petit du terrain, telle une nébuleuse expansive, en répondant positivement aux deux phobies et exigences du citoyen, à savoir, d'une part, la peur pour son identité confessionnelle et, d'une autre, l'instabilité chronique sociétale, économique et politique qui le trouble au quotidien, tandis que les partis traditionnels actuels ne garantissent que la première de ces deux exigences. Ainsi, Hassan n'aura plus besoin du Hezbollah pour survivre, Haïg pourra découper ses morceaux de viande et les écouler dans tout le pays, peu soucieux de ses contacts dans le Tachnag, Louis n'aura plus besoin de verser une part de ses gains à Joe le douanier pour qu'il lui facilite l'import. Taymour ne priera plus pour Joumblatt mais pour Dieu, et Omar pourra garer sa caisse là où bon lui semble, indépendamment des quotas réservés aux partisans haririens dans la capitale du Nord. Ils auront cela de surcroît en étant assurés de la préservation des droits et acquis de leurs communautés.
Il est tout aussi naturel de se demander si tout cela demeurera indéfiniment du domaine des rêves. Ne serait-il pas plus simple de suivre un modèle confédéré, à la suisse? Pour cela, imaginons un Liban divisé en une quinzaine de cazas (cantons libanais) avec des politiques, des lois et des économies spécifiques. De sorte que dans chaque fédération se trouveraient un président, un gouvernement et une police régionaux. Le tout serait cependant cimenté par la présence d'un président protocolaire, une armée nationale forte et un fonds souverain nourri par les ressources gazifières et pétrolières. Alors que chaque caza pourrait définir sa politique interne et externe, la neutralité de l'État serait de mise en tant que devise nationale. Et le président des présidents et son gouvernement se devraient de coopérer exclusivement avec les États reconnaissant leur neutralité. Les économies régionales seraient spécifiques mais avec quotas, ce qui inciterait la compétition entre régions tout en avantageant les spécificités géographiques. Comme aujourd'hui, les citoyens de base payeraient leurs impôts aux présidents régionaux qui leur ressemblent idéologiquement et confessionnellement. Et qui, à leur tour, transmettraient un pourcentage de leurs gains à l'État-ciment. Louis, Hassan, Haïg, Taymour et Omar vivraient ainsi chacun dans son petit monde cantonné, comme durant la mouttassarafiyé du XIXe siècle. Des mouttassarafiyyé qui, cette fois-ci, ne connaîtraient plus de conflits intestinaux grâce à une armée forte et à un service militaire obligatoire.
Entre la France et la Suisse, le système libanais du futur ne cesse de balancer sans trancher. Des partisans du premier et du second des modèles ont défilé au long des décennies sans qu'ils puissent imposer leurs visions et briser le statu quo. Ne serait-il pas grand temps que le débat s'installe solidement dans nos journaux, nos médias et dans les cercles les plus élevés de la société ? J'estime qu'il s'agit désormais d'une nécessité existentielle.

Emmanuel RAMIA
Paris

Prenez un terrain méditerranéen de 10 452 kilomètres carrés, retirez l'emploi de 21 % de ses citoyens, facilitez un afflux monstre de réfugiés, ouvrez vos portes aux menaces terroristes internes et externes, faites perdurer presque un an une vacance au plus haut poste de la pyramide républicaine, organisez une fuite quasi automatique des cerveaux, permettez une omniprésence...

commentaires (3)

Bonjour Monsieur Emmanuel Ramia, Vos idées et propositions sont excellentes ! Cela fait vraiment plaisir de voir que certains réfléchissent à l'avenir de leur patrie ! Mais je pense que pour y arriver...faudrait mettre TOUS les Libanais en hibernation pendant que quelques Libanais vraiment patriotes et citoyens (il en existe) organiseraient le Liban d'après le modèle Suisse, par exemple, tout en l'adaptant à notre pays. Une fois le Liban reorganisé, on reanimerait les "hibernés" en leur faisant un lavage de cerveau pour éliminer leur fausses idées et convictions, tout en leur inculquant les nouvelles. Je dis cela sur le ton de la plaisanterie...car je constate chaque jour combien les mentalités n'ont pas changé...malgré des décennies de guerres diverses et de problèmes journaliers ! Je remarque aussi que le Libanais n'aime pas qu'on lui dise qu'il a tort...persuadé qu'il est le meilleur en tout ! Il n'a aussi pas l'envie de changer...car il sait que cela demandera des efforts et du courage, préférant tout mettre sur le dos des dirigeants...qui, eux...ont la même mentalité... Et le pays est ainsi pris dans un cercle vicieux catastrophique... Pauvre Liban !!! Irène Saïd

Irene Said

10 h 50, le 23 décembre 2014

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Bonjour Monsieur Emmanuel Ramia, Vos idées et propositions sont excellentes ! Cela fait vraiment plaisir de voir que certains réfléchissent à l'avenir de leur patrie ! Mais je pense que pour y arriver...faudrait mettre TOUS les Libanais en hibernation pendant que quelques Libanais vraiment patriotes et citoyens (il en existe) organiseraient le Liban d'après le modèle Suisse, par exemple, tout en l'adaptant à notre pays. Une fois le Liban reorganisé, on reanimerait les "hibernés" en leur faisant un lavage de cerveau pour éliminer leur fausses idées et convictions, tout en leur inculquant les nouvelles. Je dis cela sur le ton de la plaisanterie...car je constate chaque jour combien les mentalités n'ont pas changé...malgré des décennies de guerres diverses et de problèmes journaliers ! Je remarque aussi que le Libanais n'aime pas qu'on lui dise qu'il a tort...persuadé qu'il est le meilleur en tout ! Il n'a aussi pas l'envie de changer...car il sait que cela demandera des efforts et du courage, préférant tout mettre sur le dos des dirigeants...qui, eux...ont la même mentalité... Et le pays est ainsi pris dans un cercle vicieux catastrophique... Pauvre Liban !!! Irène Saïd

    Irene Said

    10 h 50, le 23 décembre 2014

  • VOTRE ANALYSE A BIEN COMMENCÉ MAIS PART MAL. C'EST À CAUSE DE CES PARTIS QUE LES LIBANAIS SONT DES "RIEN" CHER MONSIEUR RAMIA ! LES "VAURIENS" ONT ENGENDRÉ LES "RIEN" !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 28, le 23 décembre 2014

  • N'ayons aucune crainte ! Un chouia de patience s'il vous plaît ! Cette "ca(r)ntonalisation" est en pleine préparation, mais tout le monde attend ; yâ wâïyléééh ; son démarrage en premier en sœur-syrie à côté ! Yâ hassértéééh !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    03 h 15, le 23 décembre 2014

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