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Nos Lecteurs ont la Parole

Pourquoi Maupassant et Saint-Exupéry se complètent-ils ? Pour une meilleure littérature

Les sourceurs vieillis de la matière des œuvres sont des explorateurs qui redécouvrent des lectures abandonnées de l’adolescence ou de la jeunesse, des vestiges que nous hissons à un statut de monuments sacrés. Notre esprit alors plus libre, coudoyant les bordures de la retraite, est conquis à nouveau par ces récits, neutralisant le cynisme de l’expérience avec ce recul que la sagesse nous dicte. Dans le même temps, ces lectures fréquentées lors de notre jeune âge reprennent forme et corps dans une résurrection du souvenir telle cette madeleine immatérielle de Proust.

J’ai achevé hier la relecture de Vol de nuit d’Antoine de Saint-Exupéry (Saint-Ex pour les familiers). La première lecture fut effectuée au cours de la jeune adolescence (14/15 ans) ayant découvert cet ouvrage dans la bibliothèque paternelle autorisée dans une autre édition que NRF Gallimard que j’ai adopté cette semaine. Juste après avoir été fasciné par la relecture de Bel Ami de Maupassant, lu il y a deux semaines, j’ai eu du mal, je l’avoue, à rentrer dans la narration de Vol de nuit et d’apprivoiser à nouveau Saint-Ex. Maupassant est trop ancré dans le réel, son récit relate des thématiques intemporelles et universelles : l’arrivisme et l’ambition sous toutes ses formes, le complexe de la basse extraction qui veut combler l’écart et qui cherche sa place quels que soient le moyen, le comportement du parvenu ou même le profil parvenu, une description croustillante, le matérialisme exacerbé via des montages pour les héritages et les successions et remaniements testamentaires, des mariages déviant de l’idylle de l’amour. Le rôle et l’émergence des femmes brillantes qui guident et orientent via une intelligence mondaine et relationnelle, érigeant des ponts entre les différentes strates sociales. Elles étaient et le sont probablement toujours les régulatrices de la dynamique sociale et sociétale capables d’affermir la masculinité des hommes et leur pouvoir tout en l’ôtant ou l’altérant en fonction de leur protection, leurs intérêts mais aussi le fait d’être séduites ou pas. Les réseaux et la capillarité des contacts sans barrières pour les conflits d’intérêt foisonnaient, faisant prospérer la puissance de la manipulation et entraîner le deuil graduel des candeurs. A contrario, en progressant dans la lecture de Saint-Ex, j’ai été émerveillé au bout de quelques chapitres par l’envergure poétique de ces héros de l’ombre de tous les jours, de ce ciment qui lie les hommes de mission dans un stoïcisme à toute épreuve. Saint-Ex a su concilier la poésie souvent céleste convoquant les étoiles comme havre de vie pour échapper à l’angoisse, un remède pour surmonter sa peur et la philosophie d’autre part dans sa doctrine sénèquienne et aurélienne. Ce dilemme cornélien entre le devoir et les délices de la vie et comment, au péril de notre vie, la mission devient sacrée, primant sur l’amour ou plus communément le désir. Cet enchantement mêlé à cette philosophie du sacrifice distillée avec tact, des caresses lexicales simples et prodigieuses nous pénètrent d’une manière implacable. Maupassant et Saint-Ex s’entrechoquent dans mon esprit, ils y habitent pour quelque temps. Maupassant est-il Racine ? « Je peins les hommes comme ils sont. » Saint-Exupéry est-il Corneille ?

« Je peins les hommes comme ils devraient être. »

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Les sourceurs vieillis de la matière des œuvres sont des explorateurs qui redécouvrent des lectures abandonnées de l’adolescence ou de la jeunesse, des vestiges que nous hissons à un statut de monuments sacrés. Notre esprit alors plus libre, coudoyant les bordures de la retraite, est conquis à nouveau par ces récits, neutralisant le cynisme de l’expérience avec ce recul que la...
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