Vous avez été récemment embauchée sur base d'un contrat écrit, d'horaires de travail clairs, d'un salaire fixe. Vous n'êtes pas encore installée qu'on vous confisque votre passeport et votre téléphone portable. Vous vous attelez quand même à la tâche, pleine d'enthousiasme, mais plus le temps passe, plus vous croulez sous le travail qui ne finit jamais. Pas de pause café, ni de pause repas, ni même le moindre moment de repos durant la journée. Pas non plus l'autorisation d'appeler vos proches. Tout au mieux, vous donne-t-on des restes de pizza largement entamés que vous mangez en tapant votre courrier. Au moment de rentrer chez vous pour vous coucher, en fin de soirée, vous réalisez que vous êtes enfermée, condamnée à passer votre vie sur votre lieu de travail. Tous les jours, vous subissez le même sort, le même rythme de travail, les mêmes contraintes, la même frustration. Et lorsqu'à la fin du mois vous tendez la main pour recevoir votre salaire, c'est des broutilles qu'on vous paie, parce que votre employeur a pris la liberté d'amputer votre salaire. The Contract, ce petit film d'animation réalisé par Chadi Aoun et Kamal Hakim, pose une question simple à la femme libanaise. Pouvez-vous vivre ainsi ? Sinon, comment le pourrait-elle ? demande-t-il, montrant une employée de maison migrante.
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Pour un syndicat des employées de maison
C'est par ce film choc invitant la femme libanaise à expérimenter ne serait-ce qu'en pensée, quelques-unes des atteintes aux droits des employées de maison migrantes, qu'a démarré jeudi la session de clôture du Programme d'action pour la protection des employées de maison migrantes (Prowd). Un programme étalé sur trois ans, mis en place par l'Organisation internationale du travail (OIT), avec le financement de l'Union européenne et de l'Agence suisse pour le développement et la coopération. « L'objectif de Prowd était de faire du travail décent une réalité pour les employées de maison étrangères au Liban », note la responsable régionale de l'OIT pour les pays arabes, Nada el-Nashif. Il a nécessité les efforts conjoints notamment des autorités libanaises, des différentes associations partenaires de l'OIT, du syndicat des bureaux de placement et de nombre d'employées de maison qui multiplient les actions pour que leur quotidien s'améliore.
Ces femmes n'hésitent d'ailleurs pas à prendre la parole et à lancer un appel aux autorités libanaises pour que soit autorisée la création d'un syndicat des employées de maison. « Nous méritons d'être traitées avec dignité. Nous méritons que notre travail soit reconnu comme tel par le code du travail », martèle la porte-parole du Comité des employées de maison, Lillie Jaqueline. Car assurer des conditions de travail décentes aux employées de maison passe avant tout par l'adoption d'une loi qui les protège. Mais en l'absence d'une décision politique de considérer ce dossier comme une priorité nationale et vu la crise que traverse le pays, « aucune avancée n'a été réalisée à ce niveau », constate Zeina Mezher, responsable du programme. C'est dans cette optique que l'Union européenne, représentée par Marcello Mori, invite les autorités libanaises « à engager les réformes nécessaires pour prévenir et empêcher les violations des droits des employées de maison ».
(Pour mémoire : Dans les Souks de Beyrouth, les délices des travailleuses domestiques émigrées)
Trois ans d'initiatives et d'activités
Prowd a toutefois mené des campagnes de sensibilisation dans les établissements scolaires, organisées par l'association Amel. Il a également permis à nombre d'employées de maison, plus particulièrement à Beyrouth, d'acquérir des compétences et de s'organiser en un mouvement pionnier, avec l'aide du syndicat Fenasol. De son côté, le syndicat des bureaux de recrutement a élaboré un code de déontologie, s'engageant ainsi à réglementer la profession. Quant au Centre des migrants de Caritas, il a développé un centre d'écoute afin de permettre aux femmes en détresse de recevoir de l'aide. Enfin, l'Agenda légal publiera très bientôt les résultats de l'étude qu'il a réalisée sur l'accès à la justice des employées de maison migrantes.
Mais il reste tellement à faire. Alors dans l'attente d'une loi qui pourrait radicalement changer les choses, l'OIT a mis en place un code de bonne conduite à l'égard de la main-d'œuvre domestique migrante. Un code qui édicte des règles que tout employeur pourrait et devrait s'engager à appliquer, comme la journée de congé hebdomadaire, le nombre d'heures de travail par jour, l'obligation de paiement du salaire à la fin du mois, l'interdiction de confisquer le passeport... Pour ce faire, l'organisation onusienne a invité les médias à prendre position et à s'impliquer ferme dans le processus, d'abord sur le plan institutionnel puis au niveau des employés et enfin auprès de son public.
L'Orient-Le Jour a signé ce code de bonne conduite et s'engage, quels que soient les écueils, à le promouvoir, tant au sein de son institution qu'auprès de ses lecteurs.
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