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Économie - Enquête

Liban : cette immigration asiatique qui consomme local

Le Liban compte un grand nombre de personnes issues de l'immigration en provenance d'Asie du Sud. En l'absence de statistiques officielles détaillées sur leurs habitudes de consommation, « L'Orient-Le Jour » est parti à la rencontre de Sri Lankais, de Bangladais et d'Indiens afin de chercher à définir leur degré de participation à l'économie locale.

Photo Thomas Hage Boutros

L'immigration en provenance des pays d'Asie du Sud à destination du Liban (Sri Lanka, Bangladesh, Inde) s'est réduite comme peau de chagrin ces dernières années. Contacté par L'Orient-Le Jour, le personnel de l'ambassade du Sri Lanka confirme en effet que « les demandes de visas pour travailler sur le territoire libanais ont énormément diminué ». « Nos services ont traité 1 500 demandes environ depuis le mois de janvier, ce qui correspond à notre moyenne mensuelle il y a encore cinq ans », ajoutent-ils pour illustrer ce constat. La situation sécuritaire mais aussi la dégradation de la qualité de vie au Liban figurent parmi les explications avancées pour comprendre cette baisse. Pourtant, le pays du Cèdre compte encore de nombreux immigrés en provenance d'Asie de l'Est. Bien qu'il soit difficile d'estimer leur nombre avec précision, un rapide tour d'horizon permet néanmoins de constater que leur présence est loin d'être résiduelle et qu'ils se sont plutôt bien adaptés au tissu économique libanais. Comment se répartissent leurs dépenses ?

Une consommation essentiellement effectuée sur le marché local
Sur les 400 à 500 dollars, en moyenne, que gagnent les immigrés sri lankais, bangladais et indiens qui ne sont pas logés au domicile de leur employeur, 100 à 200 dollars sont d'abord réservés chaque mois aux dépenses de logement. Ce prix, auquel il faut parfois ajouter environ 40 dollars de charges pour payer l'eau et l'électricité, permet généralement aux immigrés de louer des chambres de 10 m², la plupart du temps équipées de sanitaires. Le fait que les loyers aient augmenté depuis l'aggravation de la crise syrienne (2011-2012) est un constat partagé par toutes les personnes interrogées. « Avant les événements, les loyers ne dépassaient pas les 150 dollars », confie par ailleurs Shay, une Bangladaise de trente ans qui travaille comme auxiliaire de vente dans un magasin de vêtements bon marché à Bourj Hammoud.

 

(Pour mémoire : Au Liban, les employées de maison étrangères dans la rue pour réclamer leurs droits)



Il faut rappeler que les immigrés ne sont pas épargnés par les conséquences de la précarité du réseau de distribution en électricité et en eau au Liban et doivent donc, eux aussi, s'accommoder d'une double facture énergétique. Ceux qui s'en sortent le mieux se permettent généralement quelques extras, comme un abonnement au câble (10 dollars environ) ou de petits investissements en matière d'équipements domestiques. Enfin, si la plupart des Sri Lankais interrogés sont réticents à partager leur logement avec plus d'un compatriote, les Indiens et les Bangladais sont plus sensibles à la rentabilité et aux économies qu'au confort.

Le deuxième poste budgétaire concerne l'alimentation. Là aussi, les sommes engagées mensuellement varient sensiblement d'une nationalité à l'autre. Si les Bangladais plafonnent généralement leur budget nourriture à une centaine de dollars par mois, les Sri Lankais, eux, peuvent débourser le double pour remplir leur garde-manger (les Indiens se situent, eux, entre ces deux extrêmes). Au sommet du classement des dépenses par type d'aliment, les viandes (blanches et rouges) et le poisson caracolent en tête, avec un budget moyen pouvant facilement dépasser les 40 dollars par personne et par mois. Les légumes occupent la deuxième place avec un panier mensuel plafonné à quelque 40 dollars également, suivis par le riz (25 dollars par mois) et les épices (10 à 15 dollars par mois). Le gérant de Babour Market, une petite épicerie spécialisée dans les produits exotiques en plein Bourj Hammoud, avance même « qu'il s'agit certainement du produit qui s'écoule le mieux », en exhibant une boîte de chili de 200 grammes à 2 500 livres. En tout état de cause, l'écrasante majorité de ces immigrés effectuent l'intégralité de leurs dépenses alimentaires sur le marché local. Naveesha, une Sri Lankaise qui travaille comme femme de ménage dans un centre commercial, confie qu'à part « la kebbé nayyé, je mange tout ce que les Libanais mangent ». Une restriction « d'ordre hygiénique », selon la jeune femme.

À ces dépenses s'ajoutent aussi les transports, qui peuvent atteindre jusqu'à 100 000 livres en moyenne, par personne et par mois, en fonction des déplacements à effectuer. Sur ce sujet, la plupart des personnes interrogées ont tenu à manifester leur agacement par rapport à la « malhonnêteté de certains chauffeurs de bus, qui n'hésitent pas à mentir sur leur destination ». « Au début, les gens se laissaient faire, concède Ashouka, mais de plus en plus d'immigrés lèvent désormais le ton lorsque le conducteur du véhicule leur annonce, en cours de route, qu'il n'empruntera pas tel ou tel trajet, contrairement à ce qu'il avait affirmé à l'origine. »

(Pour mémoire : Dans les Souks de Beyrouth, les délices des travailleuses domestiques émigrées)



Un lot de dépenses diverses vient compléter cette liste. Il y a par, exemple, le prix des communications, locales et vers l'étranger. Pour un employé du cybercafé Soul Link, situé à Adonis et accueillant principalement des ressortissants des trois pays sur lesquels se focalise cette enquête, « ce type de dépenses a drastiquement baissé avec les récentes avancées des technologies de l'informatique ». Le montant des dépenses mensuelles par personne pour ces services varie, quant à lui, d'un individu à l'autre, et la grande majorité des immigrés est désormais équipée de téléphones portables. Les frais de renouvellement de permis de séjour (environ 500 000 livres par an), l'enveloppe destinée à l'achat de vêtements (50 dollars tous les deux ou trois mois) ou encore les aides financières à destination du pays d'origine, qui peuvent dépasser les 1 000 dollars par an, figurent également parmi les postes budgétaires récurrents.

Il faut enfin noter que malgré leurs habitudes voisines, Sri Lankais, Bangladais et Indiens ne sont pas forcément solidaires les uns des autres. Par ailleurs, les Bangladais sont généralement les moins bien rémunérés lors de leurs premiers emplois occupés sur le territoire libanais (100 dollars par mois au lieu de 250 pour les autres ressortissants, à l'entrée). Enfin, il est intéressant de relever que l'écrasante majorité des Indiens qui émigrent au Liban sont des hommes. Une spécificité liée à la politique d'immigration de leur pays d'origine, lequel doit composer avec un déficit de femmes dans la population indienne. Une problématique régulièrement remise sur le tapis depuis le début des années 2000.

Quelques remarques s'imposent enfin pour expliquer le choix des communautés identifiées. Tout d'abord, les résultats de cette enquête ont été dégagés par une série d'entretiens avec une quarantaine de ressortissants du Sri Lanka, d'Inde et du Bangladesh. Ce choix d'orientation a été motivé par une concertation avec le personnel de l'ambassade sri lankaise, à l'issue de laquelle il a été possible de diviser la population, émigrée au Liban et en provenance d'Asie, en deux grandes catégories : les ressortissants d'Asie du Sud (Sri Lankais, Indiens et Bangladais) et ceux issus d'Asie de l'Est (Philippins essentiellement). Les habitudes de consommation, le niveau d'éducation ou encore le salaire moyen à l'arrivée varient en effet d'un groupe à l'autre pour justifier cette dissociation. Les Africains (Guinéens, Éthiopiens, Soudanais, pour la plupart d'entre eux) constituent, eux aussi, une catégorie à part, tout comme celle des immigrés du Moyen-Orient (Syriens et Égyptiens, principalement).

Enfin, la majeure partie des personnes interrogées a préféré garder l'anonymat, alors qu'un grand nombre de propriétaires de points de vente divers, qui accueillent une clientèle essentiellement immigrée, n'ont pas tenu à donner suite à l'enquête.

 

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L'immigration en provenance des pays d'Asie du Sud à destination du Liban (Sri Lanka, Bangladesh, Inde) s'est réduite comme peau de chagrin ces dernières années. Contacté par L'Orient-Le Jour, le personnel de l'ambassade du Sri Lanka confirme en effet que « les demandes de visas pour travailler sur le territoire libanais ont énormément diminué ». « Nos services ont traité 1 500...

commentaires (1)

De plus en plus ces gens d'Asie du Sud refusent le Bonheur dans l'esclavage au Liban .

Sabbagha Antoine

12 h 04, le 04 octobre 2014

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Commentaires (1)

  • De plus en plus ces gens d'Asie du Sud refusent le Bonheur dans l'esclavage au Liban .

    Sabbagha Antoine

    12 h 04, le 04 octobre 2014

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