Au Liban, c'est bien connu, le danger peut bien frapper aux portes, et même plus près encore, rien ne dissuadera jamais les gens du cru de discuter du sexe des anges. Le débat du moment porte sur le thème suivant : faut-il attribuer au Hezbollah le mérite d'avoir, par sa participation à la guerre en Syrie, empêché que « l'État islamique » (EI, ex-Daech) ne s'étende jusqu'à Jounieh ? Ou bien, au contraire, faut-il croire qu'en continuant de louer ainsi les propriétés antiterroristes tout récemment découvertes du parti de Dieu, du régime de Damas et de leur mentor iranien, on finira bien par attirer Daech à Jounieh ?
Pendant qu'on s'efforçait hier d'impliquer Bkerké dans ces discussions byzantines, le principal concerné avait, lui, la tête ailleurs. Surpris dimanche sur les hauteurs de Brital par le Front al-Nosra, l'autre épouvantail jihadiste, à peine plus présentable que l'EI, le Hezb réagit deux jours plus tard au Liban-Sud, rallumant subitement face à Israël un front complètement éteint depuis huit ans, en l'occurrence le secteur des fermes de Chebaa, occupé par l'État hébreu depuis 1967.
La question qui se posait, hier après-midi, après la revendication par le Hezbollah de l'attaque ayant fait deux blessés dans les rangs des militaires israéliens, était : pourquoi ?
L'interrogation est d'importance, sachant que l'opération avait été savamment dosée, de façon à ce qu'elle ait un impact psychologique certain au Liban sans pour autant déclencher un conflit majeur avec le voisin du Sud. C'est ce qui explique notamment que l'attaque ait été menée dans les fermes de Chebaa, où elle est susceptible de revêtir un caractère plus ou moins licite, sinon légal, et non pas ailleurs sur la frontière libano-israélienne.
D'après des sources politiques bien au fait des dossiers sécuritaires, le Hezb aurait pris cette décision essentiellement pour quatre raisons : en premier lieu, la situation était parvenue à un tel point qu'il était devenu nécessaire pour lui de rappeler son statut de « résistance anti-israélienne ».
Deuxièmement, il lui fallait barrer la route à toute velléité du Front al-Nosra de transposer dans le secteur oriental du Liban-Sud le statu quo qu'il a réussi à imposer ces derniers mois du côté syrien du Golan.
Troisièmement, le parti de Dieu anticipe une nouvelle action contre lui d'al-Nosra, à Brital ou ailleurs, dans les prochains jours. Après son attaque dans les fermes de Chebaa, il s'estime en mesure de dénoncer une « collusion » entre Israël et les jihadistes, étant contraint de faire face aux deux en même temps.
Enfin, quatrièmement, l'affaire de Brital, qui aurait fait selon certaines sources douze morts, et non pas huit, dans les rangs du parti, aurait eu un impact sérieux dans les milieux chiites, de plus en plus gagnés par la peur. Il fallait donc impérativement redonner confiance à la base du Hezb en lui montrant que la direction du parti contrôle bien la situation.
Cette peur est en grande partie motivée par le sentiment général qu'al-Nosra, qui semble savoir jouer des contradictions interlibanaises bien mieux que Daech, cherche à éviter la confrontation avec l'armée libanaise et à n'engager que le Hezbollah dans ses fiefs.
En tout état de cause, il est parfaitement clair que pour avoir décidé d'agir au Liban-Sud comme il l'a fait hier, c'est-à-dire en violation de la résolution 1701 du Conseil de sécurité, après huit ans d'une politique d'abstention totale, le Hezbollah devait avoir des raisons très sérieuses.
Sur le plan politique, l'actualité a été marquée hier par la rencontre à l'Élysée entre le président François Hollande et le chef du courant du Futur, Saad Hariri. Trois thématiques ont dominé l'entretien : la situation régionale et ses retombées au Liban, la crise de la présidentielle et le dossier de l'aide militaire à l'armée libanaise.
Sur ce dernier point, M. Hariri a fait état d'un avancement de la procédure en cours, mais sans donner de détails. Au sujet des frappes de la coalition internationale anti-jihadistes, il a souligné qu'il fallait faire « bien plus », confirmant ainsi son positionnement de leader sunnite modéré dépourvu d'états d'âme à l'égard des groupes extrémistes. Enfin, s'agissant du dossier des élections au Liban, M. Hariri a pratiquement signé l'acte de décès, avant naissance, des législatives, en invitant ceux qui y tiennent à les organiser « sans le courant du Futur », ce dernier ne voulant pas entendre parler de la tenue de ce scrutin avant qu'un président de la République n'ait été élu.
Sur ce plan, on apprend de sources concordantes qu'une dynamique nouvelle est en cours d'éclosion sur le plan diplomatique, à partir du sentiment que la persistance de la crise présidentielle, étant donné le contexte régional, met sérieusement le Liban en péril. Or il semble que ce sentiment commence à gagner de nombreuses capitales.
L'un des arguments de plus en plus mis en avant consiste à dire que les puissances ne sont pas en mesure d'inciter les chrétiens d'Orient à rester sur leur terre et à continuer à croire en leur avenir à l'heure où tout le monde est témoin de l'incapacité à élire le seul président chrétien de la région.
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LA LIBRE EXPRESSION
09 h 40, le 09 octobre 2014