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Liban - Analyse

Montée aux extrêmes : nous y sommes!

René Girard ne croyait pas si bien dire lorsque écrivant à propos du conflit sunnito-chiite en 2007 dans son essai apocalyptique Achever Clausewitz, il prévoyait que le Proche-Orient serait le théâtre d'une effroyable montée aux extrêmes de la violence.


Plus d'une fois, depuis l'invasion par les miliciens du Hezbollah de Beyrouth et de la Montagne le 7 mai 2008, nombreux sont ceux qui avaient mis en garde contre l'inexorable progression d'une violence réveillant et mobilisant, avec un acharnement et une fureur de plus en plus forts, les démons identitaires les plus vils et les plus bas. Non que la non-violence eût pu assurer le triomphe d'un camp sur l'autre : tel n'était pas l'enjeu de la bataille – même si certains esprits en panne de manœuvres, à l'époque, avaient pu voir dans la stratégie du rameau d'olivier la possibilité d'un triomphe durable sur le camp adverse. En fait, l'objectif était d'assurer le salut de tous. Et, pour cela, il fallait nécessairement recréer du politique – en dépit de la médiocrité ambiante – et neutraliser le pouvoir des armes. Faute de quoi, la montée aux extrêmes emporterait tout un chacun, sans distinction, dans une spirale de violence incontrôlable.
Les premiers révolutionnaires syriens ne s'y sont d'ailleurs pas trompés. C'est pourquoi ils ont insisté, durant les six premiers mois de la dynamique civile, à opposer à la répression armée du régime Assad des chants, des danses folkloriques, comme pour célébrer déjà la joie du vouloir-être libres face aux ternes perspectives dans lesquelles la tyrannie clanique s'obstinait à vouloir les emmurer. Avec la montée en flèche de la répression armée, le régime Assad a gagné son sursis. L'état de guerre, couplé, qui plus est, à une discorde sectaire savamment concoctée par ses cerveaux russes et iraniens, lui permettait, aux yeux d'une communauté internationale plus cynique que jamais, de faire oublier son statut de despote sanguinaire et de devenir rien de bien plus qu'un belligérant supplémentaire. Le petit monstre de Frankenstein engendré par la répression avec l'aide active des services de renseignements syriens, l'État islamique, deviendrait bientôt la nouvelle star de ce cirque de monstres. Avec les progrès de l'islamophobie aveugle à l'échelle de la planète, le tour de force valait le coup d'œil : bientôt, tout le monde ne parlerait plus que de Daech, et si peu du monstre alpha, Bachar el-Assad, et de ses sbires libanais, iraniens et russes.

 

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En Syrie, le stratagème de la montée aux extrêmes a bien fonctionné pour assurer la survie du régime, ou, au moins, un long sursis sanguinolent.
Au Liban, le Hezbollah ne cache plus son jeu sordide, selon les mêmes principes et pour aboutir aux mêmes objectifs. Dès le lendemain de la guerre de juillet 2006, le parti chiite, confronté depuis le printemps de Beyrouth à une dynamique politique locale et internationale cherchant à lui ôter ses armes illégales, s'est employé à affaiblir par tous les moyens la ligne sunnite modérée incarnée par le courant du Futur, renforçant ainsi, une humiliation après l'autre, la ligne dure de cette communauté. Passons outre tous les actes et toutes les déclarations qui prouvent l'existence d'une collusion objective d'intérêts entre le Hezbollah et certains courants et personnalités takfiristes au Liban, tels que cheikh Omar Bakri, qui se trouve aujourd'hui fort heureusement aux arrêts après avoir échappé une première fois à la prison en 2010 grâce aux bons soins du tandem Hezbollah-Assad... Il était clair pour le Hezbollah que plus le péril takfiriste deviendrait réel, plus son intégrisme à lui deviendrait acceptable, vieille France. Soigneusement travesti derrière de vieux artifices de séduction sournoise, comme par exemple sa participation aux consultations électorales, aux institutions libanaises et au jeu politique, ainsi qu'un discours ambigu sur le respect de la formule libanaise et des enjeux démocratiques, il pouvait ainsi se faire passer tranquillement pour un enfant de chœur. Cela ne l'a pourtant pas empêché d'annuler de fait des résultats de scrutins, de renverser sous la contrainte des armes des gouvernements, d'assiéger des sièges institutionnels et de provoquer, à l'aide de ses alliés, un état de pourriture et de blocage grandissant au niveau des institutions, notamment la Chambre des députés et la présidence de la République.

 

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Mais surtout, et cela était prévisible, la montée du péril takfiriste a permis au Hezbollah de récupérer une fois pour toutes la vieille foutaise que le régime syrien tentait de vendre depuis belle lurette à la communauté internationale, à savoir que c'est lui et son parrain iranien qui défendent désormais les minorités du monde arabe, surtout les chrétiens. La farce est bien bonne et ne mérite vraiment aucun commentaire, quand bien même il se trouve aujourd'hui un pan important de chrétiens capables de gober de telles sornettes et d'y croire dur comme fer. Il ne faudra pas trop s'étonner si, ayant décompensé face au terrorisme médiatique et militaire croissant de Daech, certains chrétiens un peu trop candides commencent à voir en Hassan Nasrallah la réincarnation de saint Maron ou de Jésus-Christ, angoisse de fin des temps oblige.


Ce qui est effrayant, c'est que, dans tout cela, l'on tend à oublier l'essentiel pour le Liban, coalition internationale contre Daech ou pas : le Hezbollah constitue une organisation paraétatique financée et armée par l'Iran qui, pour le compte de la stratégie régionale de Téhéran, s'est rendue, par miliciens libanais interposés, en Syrie pour aider le régime à réprimer les manifestants, à l'heure où il n'y avait pas encore de péril islamiste, et qui commet, depuis, des crimes contre l'humanité sans vergogne contre la population civile syrienne. Il s'agit là d'actes que l'on peut qualifier sans détour de terroristes. Le Liban
mérite-t-il d'être représenté symboliquement de cette manière dans le concert des nations, lui qui s'enorgueillit d'une tradition, quoique fragile, de vivre-ensemble et de dialogue des cultures et de civilisations, et qui sombre aujourd'hui, notamment par le biais de son chef de la diplomatie (entre autres...), dans des plaidoyers de cette ingérence inqualifiable en Syrie, doublés d'une xénophobie abjecte à l'encontre des réfugiés syriens ?


La déroute du parti chiite ce week-end à proximité de Brital, dans la Békaa, pourra-t-elle constituer un rappel à l'ordre, susciter dans ses rangs une crise de conscience inespérée pour qu'il retire enfin ses combattants de Syrie et cesse de donner aux mouvances islamistes des prétextes pour violer la souveraineté du pays du Cèdre, et pour lâcher définitivement la bride à la montée aux extrêmes ? Est-il si difficile de comprendre que, face aux répressions et aux humiliations successives, et face à l'impuissance des forces modérées à réagir avec la détermination qu'il faut, la communauté sunnite soit de plus en plus tentée par le démon de l'extrémisme et des armes ? Ne pas vouloir le comprendre à l'heure actuelle relève soit de la bêtise la plus crasse, soit de la criminalité la plus diabolique.


Ce qui est certain, comme le dit si bien notre consœur Hanine Ghaddar, c'est qu'une fuite en avant vers le front sud dans une tentative suicidaire de relégitimation sous le label de la « résistance » ne servira à rien. Au contraire, ce sera peut-être un moyen de déclencher une guerre totale, quand bien même il serait difficile de comprendre pourquoi Israël, l'un des grands bénéficiaires des actes sanguinaires de Téhéran, d'Assad et du Hezbollah dans la région, viendrait s'immiscer dans ce doux spectacle, pour lui, des guerres interislamiques à proximité. À moins qu'en Israël aussi, l'on se soit aussi « orientalisé » au point de rejoindre les tentations suicidaires eschatologiques du Hezbollah et de prier de tous ses vœux en faveur de l'Armageddon.


Une coalition internationale pour venir à bout de 20 000 monstres assassins, et dans un but de rétablissement de la stabilité et de la paix, voire de recréation du politique pour venir à bout de la violence, c'est très bien. Mais quand les assassins en chef sont toujours au gouvernail, n'est-ce pas là prendre un peu les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages ?

René Girard ne croyait pas si bien dire lorsque écrivant à propos du conflit sunnito-chiite en 2007 dans son essai apocalyptique Achever Clausewitz, il prévoyait que le Proche-Orient serait le théâtre d'une effroyable montée aux extrêmes de la violence.
Plus d'une fois, depuis l'invasion par les miliciens du Hezbollah de Beyrouth et de la Montagne le 7 mai 2008, nombreux sont ceux qui...

commentaires (8)

BIEN DÉPASSÉS ! L'HYSTÉRIE ET LA FOLIE RÈGNENT EN MAÎTRESSES ABSOLUES...

LA LIBRE EXPRESSION

17 h 36, le 08 octobre 2014

Tous les commentaires

Commentaires (8)

  • BIEN DÉPASSÉS ! L'HYSTÉRIE ET LA FOLIE RÈGNENT EN MAÎTRESSES ABSOLUES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 36, le 08 octobre 2014

  • Un grand Merci..pour cette evidence...qu'on a toujours du mal a assimiler..

    Houri Ziad

    17 h 28, le 08 octobre 2014

  • Merci Mr. Pour cette belle analyse, l'une des plus objectives et complète que j'ai lu dans les colonnes de l'olj à ce jour et qui résume très bien la drame qui se joue au Liban et pourquoi la descente aux enfers de notre pays demeure inéluctable tant que des extrémismes théocratiques moyenâgeux et aberrants veulent imposer leur logique de l'absurde par la violence! Le dernier paragraphe résume bien le mélodrame horrible qui se joue dans la région et lorsque j'ai voulu utiliser la dernière phrase de votre article pour un commentaire récent, je ne fus pas publie! Merci de le faire cette fois- ci

    Saliba Nouhad

    15 h 01, le 08 octobre 2014

  • Ce faisant, les stratèges sionistes avaient une certitude : le Hezb a dépensé trop d’énergie, trop de force en Syrie pour pouvoir conserver encore son caractère multi opérationnel : un Hezbollah affaibli est bref, le moindre des cadeaux que l’aventure syrienne aurait à offrir à Israël, seule entité après la Syrie à faire encourir un risque majeur à la pérennité de l’entité sioniste! L’ouf de soulagement que les israéliens émettaient il y a encore deux jours à la seule pensée d’un Hezb enlisé en Syrie et au Liban face l’afflux wahabodaec vient toutefois de faire long feu et pour cause : 1 l’attaque est survenue deux jours après une incursion sioniste contre l’armée libanaise, et elle signifie donc les liens à jamais indélébiles qui unissent le Hezb et l’armée libanaise,2-l’attaque a visé une patrouille en lien direct avec les alliés takfiris d’Israël au Golan. Elle donne donc un avant-gout de ce qui va être dans les mois à venir, la réaction du Hezb contre l’alliance Israël /Takfiri,3-il a coupé court à toutes ces critiques qui accusaient le Hezb d’avoir lâché le Liban pour « les beaux yeux » d’Assad et d’avoir laissé le pays du Cèdre à son sort ; et non , le Liban est la mère parties de tous les disciples de H.N au même titre qu’elle l’est pour Hariri et Cie bien que ce dernier ait le cœur qui bat plutôt à l’heure saoudienne. 4 l’ultime ennemi Du Hez est loin d’être Daach , al Nosra et autres. C’est contre Israël qui va toute haine et animosité du Hezb

    FRIK-A-FRAK

    14 h 42, le 08 octobre 2014

  • Chapeau !!!! Analyse très réaliste

    Bery tus

    14 h 15, le 08 octobre 2014

  • Pourquoi cette montée aux extrêmes ne fait pas place au double ennemi? A la frontière turco-syrienne Kobané en est pourtant le témoin tragique!

    Beauchard Jacques

    11 h 16, le 08 octobre 2014

  • La meilleure et la plus lucide des analyses jamais écrites. Merci Michel!!!

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 25, le 08 octobre 2014

  • Excellent. Ca veut tout dire. Rien à ajouter. Malheureusement, vous prêchez dans le vide car tous les malfaiteurs que vous citez n'ont aucun état d'âme ou le moindre scrupule pour changer de cap. Nous ne sommes pas encore dans l'oeil du cyclone mais nous nous y dirigeons à grande vitesse.

    Tabet Karim

    09 h 25, le 08 octobre 2014

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