Au début du mois de juin l'an dernier, la majorité des députés se réunissaient au Parlement pour décider de la prorogation de leur mandat pour 17 mois, au terme de huit mois de fébriles tractations pour tenter de s'entendre sur une nouvelle loi électorale. Aujourd'hui, et alors qu'approche à grands pas la fin du délai des 17 mois, rien ne laisse croire que les choses ont évolué au niveau du dossier de la loi électorale. Pire, la vacance présidentielle menace de causer un imbroglio constitutionnel si d'éventuelles législatives étaient organisées avant l'élection d'un nouveau président. Et tout cela rend de plus en plus probable le scénario d'une nouvelle prorogation du mandat des députés, élus en 2009 selon la loi de 1960.
Interrogés par L'Orient-Le Jour sur leur opinion en ce qui concerne ce sujet à controverse, de nombreux Libanais ont bien évidemment dit « non » à une nouvelle rallonge du mandat de la Chambre. Il y a, entre autres, ceux qui ont trouvé que « rien ne justifie qu'on récompense cette mafia de députés de gros menteurs ». « Qu'ont-ils fait durant toutes ces années pour qu'on les reconduise dans leurs fonctions ? Nous les avons essayés quatre ans et cela nous a suffi » est une réponse qui revient souvent. Il y a, aussi, ceux qui refusent le scénario d'une prorogation « par principe ». « Nous avons élu ces députés pour une durée déterminée. La démocratie ne permet pas qu'ils signent eux-mêmes leur propre maintien en fonctions », racontent certains, outrés par cette idée. Ce sont d'ailleurs ces gens-là qui ont été nombreux (enfin, relativement) à participer à la manifestation organisée il y a quelques jours devant le ministère de l'Intérieur en arborant le slogan « Non à la prorogation ».
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Mais au-delà de cette opinion dénonçant le scénario aujourd'hui de plus en plus probable, apparaît un tout autre son de cloche. En effet, l'on serait tenté de croire que la majorité des Libanais est de cet avis. Mais surprise ! Dans la rue, nombreuses sont les voix discordantes qui affichent un désintérêt général vis-à-vis de la question, et nombreuses sont les voix qui disent : « Oui à la prorogation ! »
« Stagner est meilleur qu'une descente aux enfers »
« La situation ne permet pas d'organiser des législatives. Les circonstances actuelles ne le permettent pas », s'exclament ainsi deux hommes suivant les nouvelles sur un poste de télévision au balcon de leur maison. Dans son magasin de boissons alcoolisées, un jeune homme répond avec dépit : « Que vont-elles changer ces élections ? Rien. Ce sont les mêmes visages qui reviennent à chaque fois et ils reviendront cette fois encore. »
Et d'ajouter : « Tout au long de la journée, mes clients ne discutent que de politique ici. Mais personne ne s'intéresse franchement au sort des députés et à la question de la prorogation. Les gens attendent juste l'élection d'un président fort, et c'est ce qui leur importe. Qui s'en fout des députés ? Qu'ont-ils changé et que changeront-ils à l'équation ? Rien. Qu'on leur proroge leur mandat donc ! On n'a jamais attendu grand-chose de leur part en tout cas. »
« Ça va changer en quoi, qu'on fasse de nouvelles élections ? » renchérit pour sa part une jeune étudiante, qui assure ne pas être intéressée par la question. Son camarade, plus féru de politique, assure de son côté que « si les législatives vont se faire selon la loi de 1960, très mauvaise, mieux vaut qu'elles ne soient pas tenues ». « Qu'ils s'autoprorogent et qu'ils soient des députés illégitimes », dit-il.
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Pour sa part, Fadi, 26 ans, employé dans une compagnie de distribution de cigarettes, affirme que « l'important est d'élire un président maintenant et non pas d'organiser des législatives ». « C'est ce qui intéresse les gens aujourd'hui, surtout avec la menace Daech que vous les médias avez aidée à grandir, ajoute-t-il. Vous avez fait trop peur aux gens. »
Quant à Gergès, un Libanais résidant entre Lyon et Beyrouth, il pèse le pour et le contre. « D'une part, dit-il, il est dégoûtant pour un peuple de se sentir dirigé par des députés dont il ne veut plus. Mais d'autre part, on peut se demander si la situation actuelle permet d'organiser des élections aux résultats significatifs. Je serai beaucoup plus horrifié par des élections qui se feraient à la hâte sans réflexion sur la loi électorale et qui mèneraient au Parlement les mauvaises personnes. » « Puisque nous vivons déjà dans le dégoût, tant que les conditions ne sont pas réunies, aussi bien au niveau régional que local, le statu quo reste la meilleure alternative. Stagner est meilleur qu'une descente aux enfers », conclut-il.
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« Tout cela n'est que folklore »
Pendant ce temps, les députés des différents blocs parlementaires assurent refuser la prorogation. Contacté par L'Orient-Le Jour, le député Yassine Jaber du bloc Amal a assuré que les candidats du bloc ont déjà présenté leurs candidatures pour les législatives. Le député Nadim Gemayel a pour sa part affirmé que « les candidatures du parti Kataëb et des chrétiens du 14 Mars seront probablement présentées la semaine prochaine ». Des affirmations reprises par le député du courant du Futur, Mohammad Kabbani, qui a déclaré que son bloc entreprendra cette démarche mardi ou mercredi au plus tard. Quant au député Ibrahim Kanaan, il a assuré que le bloc du Changement et de la Réforme le fera bientôt. « Tout cela n'est que folklore. Les blocs parlementaires et les partis présentent ces candidatures pour la forme. L'important est qu'ils refusent la prorogation le moment venu », a-t-il confié à L'Orient-Le Jour.
Ne faisant apparemment pas confiance aux affirmations des politiciens qui se veulent contre la prorogation, la société civile a sur un autre plan appelé de nouveau il y a quelques jours à la tenue de sit-in le 11 septembre dans différentes régions du pays pour dire non à la prorogation. Un appel qui, vraisemblablement, ne réussira pas à mobiliser les foules nécessaires pour contrer un tel scénario. Si les Libanais étaient vraiment intéressés par la question, auraient-ils permis une première prorogation du mandat des députés, qui s'en sont sortis sans une égratignure, mis à part quelques éclaboussures de jus de tomate ?
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SINCÈREMENT ? PAUVRES LIBANAIS !
15 h 52, le 08 septembre 2014